Pendant que la guerre faisait rage et que les armées européennes et en leur sein des dizaines de milliers de colonisés, dont la majorité des Algériens, dans le secret des casbahs, dans les masures, les gourbis se chuchotait, comme une prière nouvelle loin des oreilles des policiers et gendarmes qui quadrillaient le pays, ce mot aussi doux que le lait maternel : «El Istiqlal». Clé du rêve ancestral. Le mot le plus interdit d’entre tous !
C’est toujours avec Sid-Ali Abdelhamid, militant du CARNA, dont il nous a entretenus dans notre précédente édition, que nous poursuivons cette quête pour lever un voile, encore un, sur la naissance du CRUA, chrysalide politique, de ce qui sera le Front !
Par Boukhalfa Amazit
Le CARNA s’était donc fondu dans le PPA …
Oui mais seulement à partir de 1944. Je rappelle qu’il avait été créé en 1938. Une fois réglée la question des quelques militants qui s’étaient compromis avec les nazis, entre 1938 et 1940, la situation s’est normalisée et l’on pouvait y adhérer comme on adhère à un quelconque parti. A partir de 1940, la question de la relation avec les Allemands était définitivement close. Les gens rejoignaient le CARNA plutôt que la PPA parce que notre programme politique les intéressait. Ou vice-versa
Quelle était la raison des adhésions au CARNA ?
C’était sur une base personnelle. Un contact. Moi, par exemple, j’ai rejoint le CARNA, grâce à Mohamed Taleb. C’était sur la base d’affinités politiques personnelles. Temmam et Asselah avaient été incorporés par Abdoune. Pour nous, c’était le mouvement national qui excluait tout contact avec les Allemands. Nous n’étions d’ailleurs pas au courant de relations qui avaient été tissées. Je le répète, c’était par affinité. Nous, les habitants du deuxième arrondissement, quant à Mohamed Taleb ou Abdoune c’était la ville. En même temps, pour la petite histoire, nous étions tous dans la section de basket.
Alors qu'Asselah et Temmam pratiquaient le basket, mais avec le Mouloudia.
Ce qui nous amène à la période du Manifeste du peuple algérien.
Pour le manifeste, le PPA avait délégué son responsable de l’époque, le docteur Lamine Debaghine, pour participer à sa rédaction. Il a visé et validé toute la formulation politique, je dirais mot pour mot. Définition des objectifs politiques et participation à leur définition. A ce moment-là nous avions pris contact avec Ferhat Abbas. Je me souviens que je me suis moi-même rendu chez lui à l’hôtel, rue d’Isly, je crois que c’était «Les Négociants» pour un rendez-vous avec Asselah et Abdoune. C’est comme ça que notre groupe a commencé à négocier avec Abbas avant même notre intégration. Lorsque notre incorporation est intervenue, à la direction se trouvaient des ténors comme Mezerna, Chadli El Mekki. Asselah restera toutefois le plus proche d’Abbas. Il faut dire qu’Asselah a abattu un travail de titan. Ce n’est pas exagéré et encore moins s’éloigner de la vérité que de reconnaître que le Parti a été le moteur des AML, même si aujourd’hui on attribue à Abbas l’essentiel de l’œuvre politique. La tête pensante était certes Abbas, mais l’activité organique c’était le PPA. C’est lui qui a structuré d'anciens militants, en a recruté d’autres, ce qui fait que pratiquement toutes les sections d’une façon générale, mais pas à 100%, étaient organisés par les éléments du PPA.
Qu’est-ce qui vous a séduit chez les AML ? Abbas passait pour un assimilationniste...
Notre dénominateur commun était l’indépendance. Le manifeste ne parlait pas, car les mots «indépendance» ou «Istiqlal» étaient bannis du langage courant. Pour nous, c’était un moyen de rassembler, puisque le Parti a été dissous. C’est un moyen légal pour contacter le peuple et l’organiser. C’était un porte-voix. L’essor des AML a inquiété l’administration.
Ce qui fait que les Français attendaient la moindre occasion pour réprimer le Parti. Les événements qui vont suivre n’étaient pas une occasion, c’était une excuse. Le 1er mai, le parti avait décidé de défiler seul et pas avec le PCA pour démontrer la force du PPA. Le PCA a défilé le matin et nous le PPA avons décidé de manifester à partir de 17h.
C’était une démonstration de force. La réunion du 1er mai a été préparée par trois réunions préliminaires. Deux à Belcourt, une chez Mohamed Zekkal, l’autre chez Mohamed Dekkar, tous deux chauffeurs de taxi. La Casbah c’était Djemaâ Arezki. Parmi les gens qui ont participé, il y avait aussi Abdelkader Benhammouda
Moi-même j’étais recherché, donc je n’ai pas participé. Les réunions étaient présidées par Asselah Hocine. Parmi ceux qui ont assisté avec la direction, il y avait Saïd Amrani, Mohamed Abdoune, Ahmed Bouda. Le représentant d’Alger c’était Abdelkader Hamouda, celui de Belcourt Mohamed Belouizdad et Belhaffaf. Il y avait Khetib de Hussein Dey et Djemaâ Arezki de la Casbah. Voilà les réunions préparatoires. Ces réunions avant que Messali ne soit déporté le 18 avril. Parce que certains pensaient que les premiers mots d’ordre c’était pour la libération de Messali. C’est faux. Les premiers mots d’ordre c’était pour l’indépendance. Et en même temps ensuite c’était la libération.
Messali a été expulsé à Brazzaville. En réalité c’était plus, loin dans un coin perdu du Congo, à Bakouma : un bagne à plusieurs kilomètres de Brazzaville, ndlr.
Le 1er mai avait été réussi sur le plan manifestation, mais malheureusement les premiers martyrs de la Révolution, ce sont des manifestants du 1er mai 1945, en l’occurrence Belhaffaf, Ziar Abdelkader, Boualem Allah. On a dénombré un mort aussi à Blida et plusieurs militants blessés à Oran.
Les réunions préliminaires avaient donc programmé des manifestations à l’échelle nationale ?
Pour le 1er mai. Il y a des villes qui ont pu organiser des manifestations d’autres non. Il y a eu à Oran, à Saïda. Comme la fin de la guerre avait été prévue pour la fin mai, le Parti avait décidé de manifester le huit mai en solidarité, avec les alliés. Il n’y avait pas encore la date de la fin de la guerre, mais en prévision de cette fin le Parti avait appelé à organiser des marches de solidarité avec les Alliés. Cela aurait pu être le 7 ou alors le 9 ou le 20.
Les instructions avaient été, par conséquent, données de manifester pacifiquement donc et surtout d’éviter de porter des armes. Naturellement, l'instruction avait été donnée de déployer l’emblème national. Ce qui fait que l’administration, sur suggestion, qui avait été faite par Carbonnel et d’autres, de provoquer des événements, d’abord en empêchant le déploiement de l’emblème et la suite, qui est connue, la répression.
Sur ces entrefaites, le Parti avait, suite à la répression, décidé de faire une contre-manifestation pour soulager le Constantinois. Entre-temps, il a été décidé d’envoyer des instructions pour une action généralisée pour le 23 mai. Une insurrection L’administration a réussi à mater les insurgés. Ce qui fait que la direction a donné un contre-ordre.
Comment passer à l’action, sachant qu’il n’y avait pas les moyens ?
La direction était convaincue qu’il fallait faire quelque chose. C’est une erreur. Il fallait faire quelque chose, n’importe quoi mais agir. Faire du bruit, mener des actions pour amener les troupes vers l’Ouest pour soulager la région du Constantinois qui était meurtrie. C’est pour ça que quand on parlera plus tard du déclenchement, cette question de l’ordre et du contre-ordre resurgira.
Malheureusement, il y a donc eu ce contre-ordre, ou du moins il n’est pas parvenu partout. Les instructions de suspendre les actions ne sont pas arrivées en Kabylie. Cette région était dirigée par Mohamed Zeroual, et il y a eu un bon nombre d’arrestations, dont Mohand-Saïd Mazouzi, condamné à dix-sept ans de prison. De 1945 jusqu’à 1962.
En juin 1945, il y eu des élections. Le Parti a appelé au boycott, mais des éléments se sont présentés comme des indépendants. L’activité a continué. Juste après les événements, soit en septembre, le parti a envoyé des cadres pour reprendre la situation en main. Ainsi, a-t-on dépêché Mohamed Belouizdad dans le Constantinois, l’Oranie, c’était Amrani, Ben M’Hel pour le Titteri. Bref, le Parti a recommencé à se réorganiser après la répression.
Par qui était alors dirigé le Parti ?
Toujours le groupe Asselah, Ben Cherchalli, Lamine Debaghine. Juste avant le 8 mai, Lamine était parti à Sétif, et la direction n’avait pas eu de ses nouvelles pendant longtemps. Ce qui fait que lorsqu’il est revenu, il a été déféré devant le conseil de discipline.
- Où étais-tu ? Pourquoi n’as-tu pas donné signe de vie ? Lui a-t-on demandé. Certains pensaient qu’il était l’initiateur du mouvement des manifestations du 8 Mai à Sétif. Ce qui bien évidemment était faux. Dans le feu de l’action, on soupçonne tout le monde. Quoi qu’il en soit, il a continué à diriger.
Chawki Mostefa est, quant à lui, parti à Paris pour poursuivre ses études. Donc, la direction était surtout entres les mains d'Asselah, Cherchalli, Amrani, etc. A un certain moment, il était pratiquement le principal responsable du PPA, puisque il en était depuis 1940. C’était un homme qui avait une influence certaine au sein de la direction. Un homme à idées. Mais d’un caractère cachottier. Je dirai même secret. Un homme qui ne s’ouvre pas facilement et qui acceptait mal la contradiction. Un peu comme tous les intellectuels.
Bref, voici qu’intervient l’amnistie. Moi aussi, j’ai été libéré et c’est à cette occasion que j’ai rencontré Hocine Lahouel. Alors que j’étais indirectement la cause de son transfèrement de Méchéria sur Alger suite à l’épisode des articles que j’avais laissés à la boulangerie. (Voir El Watan du 2 novembre 2024)
A quelque chose malheur est bon, puisqu’il a été déplacé vers Alger et mis en détention avec de vieux militants. Ce qu’il m’a d’ailleurs dit : «J’étais isolé à Méchéria et à cause ou grâce aux articles qui ont été découverts par la police, ils m’ont changé de prison.»
C’est à cette époque que j’ai été désigné comme responsable de l’organisation pour le Grand-Alger.
Nous avons repris nos activités partisanes. Il y a eu les élections à l’Assemblée française auxquelles ont participé des futurs «udmistes». Je dis «futurs», car à l’époque, ce n’était pas encore l’UDMA, elle n’avait pas été créée. Notre tour est venu vers novembre. Auparavant Messali avait été libéré, précisément pendant l’été. De Brazzaville, il est évacué vers Paris, où il a pris contact avec les responsables du PPA, tels que Maïza Brahim et les personnalités politiques qu’il connaissait. Parce qu’il avait connu pas mal de gens avant 1939 qui lui ont suggéré la participation. C’est surtout l’action d’Azzam Pacha, lequel était secrétaire général de la Ligue arabe, qui lui avait dit : «Il vaut mieux participer pour faire connaître le mouvement.» C’est pour cela, qu’en octobre, il est venu et a rejoint Bouzaréah quelques jours après. Les élections ont été annoncées pour le 10 novembre, notre direction se réunissait en octobre. Réunions marathon pendant trois jours.
Le Comité central existait à ce moment-là, pour discuter de la participation. A ce propos, Ben Khedda a cité les membres, dans son livre Aux origines du 1er Novembre. Pratiquement personne n’était favorable à la participation, en dehors de Messali et Maïza qui se trouvait en Algérie. Réexaminant les choses, à la fin, ils ont compris qu’il voulait la participation à tout prix. L’argument des opposants, comme Lahouel, était de ne pas participer à l’Assemblée, mais de commencer par les élections locales, auxquelles on avait déjà participé en 1937, année où nous avions pris part aux municipales et conseillers généraux.
Nous n’avions pas été élus aux conseils municipaux et à la deuxième présentation, on a eu Boumendjel, natif de Ténès en 1938, il y a eu les élections à l’assemblée du Conseil général où Messali s’est présenté. Il a été déchu et c’est par la suite Douar Mohamed, conseiller général, qui est mort en prison. Les victimes du nationalisme avant 1945, on oublie de les citer. Ce sont aussi des Chouhada. Ils sont morts pour l’Algérie. Je les cite à chaque fois, car on leur doit bien ça. Ils sont morts pour la cause et nous avons le devoir de ne pas les oublier.
Pour revenir aux élections, participer au niveau de l’Assemblée française, alors qu’on a fait tout un travail de boycottage, en fin de compte, la majorité a accepté, sauf Lahouel, qui a laissé faire et qui est resté contre la participation. Ceci ne l’a pas empêché de prendre part à la propagande du Parti pour la campagne et il a défendu avec acharnement la participation. En militant discipliné, il s’est soumis.
Naturellement la participation n’a pas été bien appréciée par beaucoup de militants. Ceci est une vérité.
Est-ce qu’ils considéraient cela comme de la compromission avec le système ? Car comment participer à des élections et demander l’indépendance de l’autre côté ?
Pourquoi participer dans une Assemblée française ? Sur réclamation des militants, il y a eu surtout l’appel des responsables de la Kabylie, une conférence à Bouzaréah, dans le même lieu où plus tard il y aura la réunion du Congrès, Mahdi Omar, qui est devenu conseiller municipal ensuite. Dans la conférence, il y a eu un grand brouhaha, y participaient Aït Ahmed et ses compagnons. Bref, à la fin, il a été décidé que le Parti tienne un Congrès. C’est ainsi qu'il a été tenu en 1947et les nouvelles orientations avaient été définies.
Prochain article :
III – QUAND S'ACCÉLÈRE L’HISTOIRE