Le dernier bilan du conflit au Soudan fait état de 512 morts. En moins de deux semaines d’affrontements et malgré les trêves signées par les parties belligérantes, la facture est très lourde.
Énième conflit armé entre frères ennemis. Voilà près de 70 ans que le drame de la guerre civile se joue dans ce pays africain. La fracture remonte à 1955, alors que le Soudan était encore sous domination britannique. Ce premier round durera jusqu’en 1972, soit 17 ans d’affrontements qui opposent le nord où se trouve lacapitale Khartou met sa périphérie urbanisée, au sud, peuplé par des ethnies, déconsidéré et relégué au statut de province utile et corvéable. Un schéma hérité du colonialisme et reproduit au grand dam des populations du sud qui vont donc se soulever contre le nord.
C’est au sud du Soudan que se trouvent les champs de pétrole. La bourgeoisie de Khartoum et dès l’accès à l’indépendance en 1956 avait imposé un racisme pour exploiter cette richesse sans contrepartie. Elle rompit d’emblée la promesse faite au Sud de créer un État fédéral, provoquant la dissidence des officiers issus de cette région et le début d’une guerre civile.
Elle prendra fin en 1972 à la faveur d’un accord signé à Addis-Abeba. La paix reste fragile cependant. Au sentiment de supériorité qui empoisonne la relation du nord au sud, se superpose désormais une autre source de fracture. En effet, en 1983, le colonel Djaafar An-Numeiri, au pouvoir grâce à un coup d’État mené en 1969, impose au pays une vision rigoureuse de l’Islam et introduit des éléments de la charia après avoir supprimé le parlement et les partis politiques. Inacceptable pour le sud dont la population est en majorité chrétienne.
La guerre civile reprend. L’antagonisme religieux se superpose désormais à celui ethnique, lui-même accentué par une lutte de classe entre le nord coupable de racisme et d’exploitation et le sud en quête d’émancipation et d’équité.
Mater le sud
La grande sècheresse qui frappe le pays au milieu des années 1980 accentue la détresse économique. Le FMI est aux portes, mais les syndicats opposent leur veto et déclenchent des grèves nationales qui vontprécipiter la chute d’An-Numeiri. Un autre militaire, le général Siwar ad-Dahab opère un coup d’État et restaure le pouvoir civil en 1985. Ce fut une parenthèse de quatre ans qui ne fera pas calmer le sud où se poursuivent les affrontements avec les rebelles.
En 1989, le général Omar el-Bachir reprend le pouvoir par la force et s’impose comme un autocrate capable de toutes les violences pour contrôler le pays en faillite. Là où se trouvent des richesses, l’armée commande et partage la rente entre ses factions. El Bachir créé en outre des milices pour sous-traiter l’étouffement des rébellions. Ce nouvel épisode de la guerre civile dure jusqu’en 2005. Il fait deux millions de morts et déplace plus de quatre millions d’habitants du Sud.
En 2003, alors que le conflit nord-sud touche à sa fin grâce à des pourparlers entre le gouvernement et les rebelles, un nouveau conflit éclate dans les provinces du Darfour à l’ouest du Soudan, et oppose le régime de Khartoum à des insurgés ethniques.
Pour mater cette rébellion, Omar el-Bachir s’appuie machiavéliquement sur la communauté arabe du Darfour qu’il va armer pour combattre les insurgés non arabes. C’est à ce moment de l’histoire que va émerger le nom de Mohamed Hamdan Dogolo, alias Hemeti.
Ce marchand de chameau va vite s’illustrer et prendre la tête des Janjawid (les cavaliers maléfiques), la plus puissante des milices arabes employées par Khartoum dans sa guerre contre les insurgés du Darfour. Mais Hemeti ne se contente pas de sous-traiter pour Khartoum et en quelques années seulement il devient un véritable seigneur de guerre tantôt en harmonie et tantôt en conflit avec son employeur, Omar el-Bachir.
L’armée et la rente
En 2011 et au bout d’un processus enclenché en 2005, les populations du sud mettent fin à 56 ans de conflit et de subordination au nord en votant la création de l’État indépendant du Soudan du Sud. Khartoum contrainte d’accepter les résultats du referendum perd du jour au lendemain le sous-sol qui lui assurait 75% de ses recettes pétrolières.
Une catastrophe ! El Bachir décide alors de se tourner vers l’exploitation des mines d’or. Une voie que son «allié» Hemeti avait déjà ouverte lui qui est depuis peu à la tête des Forces de soutien rapide (RSF), un corps paramilitaire qui a absorbé une grande partie des Janjaweed et qui rassemble des milliers d’hommes. Désormais,Hemeti est à la tête d’une armée et d’un empire économique qu’il va fructifier en investissant dans l’immobilier et dans la production d’acier tout en organisant une oligarchie proche.
A l’inverse, le régime d’El Bachir bat de l’aile face à la crise économique. Il est déposé en 2019 par des manifestants organisés autour d’une coordination des syndicats,l’Association des professionnels du Soudan (SPA), et une coalition de partis politiques d’opposition, les Forces de la liberté et du changement (FFC).
Le front civil va aller plus loin et exiger le retrait de l’armée de la vie politique. Une «lubie» impossible à satisfaire pour les militaires trop attachés à leur empire économique rentier. Le 3 juin 2019, l’armée tire sur les manifestants et fait 200 morts et plus de 900 blessés.
Sa réputation est largement écornée par ce massacre. Sous la pression internationale et celle des manifestants, l’armée signe un accord avec l’opposition en aout et accepte de transférer le pouvoir aux civils. Ce processus dans lequel est intégrée la RSF est interrompu par un coup d’État opéré par le général Abdel Fattah Al-Burhan, chef de l’armée soudanaise, qui reprend le pouvoir le 25 octobre 2021, en excluant les civils. Au premier plan, la place de Hemeti et sa force paramilitaire se veut comme l’enjeu de la nouvelle guerre au Soudan enclenchée le 15 avril dernier.
Mais en filigrane, apparait nettement la question du contrôle par les belligérants de la troisième réserve mondiale de l’or que veut leur soustraire l’état de droit.