L’Egypte considère ce mégabarrage comme une menace existentielle, car elle dépend du Nil pour 97% de ses besoins en eau et irrigue 60% de ses terres agricoles, un secteur qui emploie 31% de sa main-d’œuvre. En trente ans, les précipitations ont chuté de 22% dans le pays, selon la Banque mondiale.
Le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a annoncé, hier, la fin du remplissage du grand barrage de la Renaissance sur le Nil, présenté comme le plus grand d’Afrique, menaçant de relancer les tensions régionales avec l’Egypte et le Soudan situés en aval, rapporte l’AFP.
Cette annonce intervient alors que des négociations entre les trois pays, interrompues depuis avril 2021, ont repris le 27 août. «C’est avec grand plaisir que j’annonce que le quatrième et dernier remplissage (d’eau) du barrage de la Renaissance a été réalisé avec succès», a déclaré Abiy Ahmed, dans un message posté sur le réseau social «X» (ex-Twitter).
«Il y a eu beaucoup de défis, nous avons souvent été poussés à faire marche arrière. Nous avons eu un défi interne et des pressions extérieures. Nous avons atteint (ce stade) en faisant face avec Dieu», a-t-il ajouté. «Je crois que nous terminerons ce que nous avons prévu», a-t-il affirmé.
Jugé vital par Addis-Abeba, le grand barrage de la Renaissance éthiopienne (Gerd), qui a coûté environ 3,5 milliards d’euros, est au coeur d’un conflit régional depuis que l’Ethiopie a entamé les travaux en 2011. Avec ce mégabarrage de 1,8 km de long et 145 mètres de haut, l’Ethiopie entend doubler sa production d’électricité, à laquelle environ seulement la moitié de ses quelque 120 millions d’habitants ont accès.
De leur côté, l’Egypte et le Soudan craignent qu’il ne réduise leur approvisionnement en eau. Khartoum et Le Caire ont, à plusieurs reprises, demandé à l’Ethiopie de cesser le remplissage du réservoir du Gerd, en attendant un accord tripartite sur les modalités de fonctionnement du barrage.
Le 27 août, des négociations ont repris au Caire, dans le but de parvenir à un accord «tenant compte des intérêts et des préoccupations des trois pays», a affirmé le ministère égyptien de l’Eau et de l’Irrigation, Hani Sewilam. «Il est important de mettre un terme aux mesures unilatérales», a-t-il ajouté.
Fini le droit de veto
Quelques semaines plus tôt, mi-juillet, le président égyptien, Abdel Fattah Al Sissi, et Abiy Ahmed se sont donné quatre mois pour parvenir à un accord sur le remplissage et l’exploitation du barrage, lors d’une rencontre tenue en marge d’un sommet de dirigeants africains sur la guerre qui fait rage au Soudan.
L’Egypte considère ce mégabarrage comme une menace existentielle car elle dépend du Nil pour 97% de ses besoins en eau et irrigue 60% de ses terres agricoles, un secteur qui emploie 31% de sa main-d’œuvre. En trente ans, les précipitations ont chuté de 22% dans le pays, selon la Banque mondiale.
Le Caire estime que ce projet priverait de 130 milliards de mètres cubes, chaque année, le lit aval du Nil, et exige ainsi une gestion concertée, à l’exemple de celle partagée entre la Mauritanie, le Mali, la Guinée et le Sénégal autour du fleuve Sénégal. L’Ethiopie veut ¬garder le contrôle exclusif du barrage et a accusé l’Égypte, en février dernier, d’armer les combattants rebelles du Tigré.
La position de Khartoum a varié ces dernières années. Après plusieurs mois de front commun avec l’Egypte, en 2022, le dirigeant soudanais, le général Abdel Fattah Al Burhane, s’est dit, en janvier dernier, «d’accord sur tous les points» avec Abiy Ahmed à propos du Gerd. Sachant qu’Addis-Abeba et Khartoum sont en conflit sur le triangle d’Al Fashaga, une région fertile à la frontière entre les deux pays.
Entre-temps, le Soudan voit le Gerd utile pour réduire l’ampleur des inondations provoquées chaque année par les crues du Nil. Mais le pays est ravagé, depuis mi-avril, par un conflit entre deux généraux : Abdel Fattah Al-Burhan, qui dirige l’armée, et Mohamed Hamdane Daglo dit «Hemeti», chef des Forces de soutien rapide (RSF) et numéro deux de la junte au pouvoir.
Le traité de 1929 entre la Grande-Bretagne et l’Égypte a accordé, à l’époque, un droit de veto au Caire sur les aménagements en amont. Depuis, Le Caire se base sur cet accord pour rappeler qu’il s’est vu reconnaître des «droits naturels et historiques sur les eaux du Nil».
L’Égypte considère ainsi qu’elle a des droits historiques légaux sur le Nil. L’accord de 1929 sera complété en 1959 par un second traité entre l’Égypte et le Soudan qui a proclamé son indépendance en 1956. De par cet accord, le Soudan s’est vu reconnaître un droit de veto sur les aménagements en amont. Comme les deux pays accaparent près de 87% du débit du Nil.
Ce fleuve traverse 11 pays. L’Éthiopie n’accorde aucune valeur juridique aux traités de 1929 et 1959. Elle signe avec l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie, le 14 mai 2010, un accord demandant un partage plus équitable des eaux du Nil et, de facto, l’abrogation des traités de 1929 et 1959. Cinq jours plus tard, le Kenya se joint à cet accord.