Il aura suffi d’une émission au ton équilibré et contradictoire, pour que Nedjib Sidi Moussa bascule dans le camp des personnes à faire taire. Son tort : avoir estimé qu’on pouvait avoir des réserves sur le piédestal que l’extrême droite, curieusement rattrapée par l’ensemble des médias, dresse pour Boualem Sansal
Une pétition, signée par les plus grands noms des historiens anticoloniaux, a été publiée sur le Club Médiapart pour soutenir l’universitaire Nedjib Sidi Moussa, vilipendé pour des propos tenus dans l’émission «C Politique» (France 5) après l’arrestation à Alger de l’écrivain Boualem Sansal. Ils dénoncent «une rhétorique qui vise à assimiler tous les hommes d’origine algérienne qui montreraient un peu de nuance dans leurs propos à un terroriste islamiste en puissance».
Les signataires notent que «sans jamais justifier l’arrestation (…), Nedjib Sidi Moussa a tenu à rappeler que l’auteur s’était signalé par des prises de position récentes dans la presse d’extrême droite française. Aussi a-t-il invité le public à prendre un peu de recul», écrivent les signataires, qui ajoutent qu’«en faire un héraut (et un héros) des droits humains peut poser problème».
Sidi Moussa contestait que Sansal soit un «homme des lumières»
On se souvient de ce qu’avait affirmé Nedjib Sidi Moussa à propos de Sansal : «Il alimente un discours d’extrême droite fait d’hostilité à l’égard des immigrés et des musulmans, il défend les thèses d’Eric Zemmour.»
Et d’ajouter qu’il contestait qu’il soit un «homme des Lumières». Sidi Moussa réagissait ainsi aux personnalités qui avaient mis en avant l’étrange notion d’«homme libre» et «indépendant», le «dissident critique du pouvoir algérien et de l’islamisme» pour lui tresser des lauriers. Non, cela n’est pas conforme à la réalité, postulait calmement l’universitaire, sans jamais entrer dans le débat sur la justification ou pas de son inculpation.
Mais Sidi Moussa avait ouvert la boîte des démons, désormais contrôlés par l’extrême droite, attirant comme un aimant même ceux qui sont loin de cette mouvance. La liste est longue. Prenons le dessinateur Xavier Gorce, lui même viré du journal Le Monde en 2021 pour un dessin que la direction n’avait pas apprécié.
N’a-t-il pas franchi le passage vers la droite nauséabonde en disant à propos de Sidi Moussa : «Qui est ce petit voyageur de commerce qui, derrière un discours de sonnette d’entrée, met le pied dans la porte pour fourguer ses tapis de prière islamistes ? Il y a de l’égorgeur en puissance dans cet argumentaire.»
La poisse puante qui sert désormais en France de «libre expression»
Ahurissant propos, repris du reste par un chroniqueur de Libération, peu suspect d’accointance avec l’extrême droite. «Egorgeur», le mot qui a déjà largement été popularisé dans Houris par Kamel Daoud, sur injonction dont ne sait quel sponsor pour salir l’Algérie. Cette errance sémantique commanditée résume la poisse puante qui sert désormais en France de «libre expression».
Du reste où travaille aujourd’hui Gorce ? A l’hebdo Le Point, où sévit depuis de longues années Daoud… Gorce y a rameuté dans sa dernière édition de nombreux dessinateurs, dont Dilem, pour défendre Sansal en dessins, avec l’Algérie en bouc émissaire.
D’ailleurs, le site d’analyse des médias Arrêt sur images note à propos du duo Daoud-Sansal que ce sont «deux figures littéraires et médiatiques en France qui, depuis plusieurs années, épousent les obsessions de l’extrême droite française sur l’islam et l’immigration». Tous deux sont déifiés en France par leurs encenseurs extrémistes, rejoints par une cohorte de bons penseurs.
Ainsi, la pétition défendant Sidi Moussa a peu de chance d’être amplifiée par les médias car elle remet en cause leur ronron, en mettant un peu de douceur dans cet univers brutal que les deux écrivains ont instillé dans le monde culturel français.
Les signataires estimant que le propos de Nedjib Sidi Moussa sur Sansal «était énoncé calmement et n’a pas déclenché de polémique sur le plateau. Tout juste un débat poli et posé, où chacun a pu dérouler ses arguments dans le respect».
Et les signataires insistent : «Dans cette ambiance délétère, il nous semble important non seulement d’informer le grand public, mais aussi de montrer la complexité de l’actualité contemporaine, d’autant plus si elle renvoie à un passé douloureux, comme celui des relations franco-algériennes.
C’est exactement ce qu’a voulu faire Nedjib Sidi Moussa et d’autres avec lui ce dimanche (24 novembre), sur une chaîne de service public. Qu’il soit attaqué de manière aussi virulente et inacceptable est intolérable et prouve une fois de plus que certains réseaux sociaux où prospèrent l’injure publique, le racisme et le complotisme sont des dangers pour le débat démocratique, qui nécessite l’acceptation sans haine de la pluralité des opinions.»