Amar Ezzahi, l’homme et la légende

30/11/2023 mis à jour: 03:08
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«Mourir ainsi, c’est vivre» Kateb Yacine

 

Déjà sept années que Amar Ezzahi, la célébrissime Icône de la jeunesse, nous a hélas quittés au soir de ses 75 ans le 30 novembre 2016 à l’âge d’or de l’art «Zahlen» éponyme d’inventivité qui est le sien dans sa fulgurante et novatrice création de renouveau de juvénilité de la chanson chaâbi.
 

Cette brutale disparition a, par ailleurs, affligé profondément la source féconde et fertile de son génial éclat, Boualem Bellemou, son fidèle compagnon de toujours, voisin, ami d’enfance et intime confident, qui, malheureusement, l’a rejoint le 19 juin 2023 à l’âge de 79 ans dans la quiétude d’un monde meilleur en retrouvailles d’une commune destinée pour un repos céleste d’éternelle fraternité. Un événement mémoriel et patrimonial marquant par l’impact de son impressionnante dimension populaire que l’auteur de ces modestes lignes tient à évoquer une fois de plus en la circonstance à dessein de le pérenniser à travers la republication médiatique consacrée au fabuleux et mythique parcours de Amar Ezzahi parue sur les colonnes d’El Watan du 17 décembre 2016.

 

Cette phrase en titre de Kateb Yacine s’applique bien à la légende, sinon au mythe, de celui qui vient de disparaître dans l’intense affliction de ses foules d’admirateurs de l’ensemble des régions d’Algérie relayées par notre diaspora dans le monde. 

La nouvelle est tombée, ce funeste mercredi 30 novembre 2016, vers 18h, tel un couperet qui a coupé le souffle à toute la communauté du monde de la culture, du patrimoine et des arts aux aguets et en attente fébrile d’informations rassurantes sur l’évolution de l’état de santé du grand maître Amar Ezzahi, affaibli par la maladie et en instance de transfert pour soins à l’étranger. 

La destinée en a décidé autrement et celui qui, de son vivant, n’avait jamais traversé les frontières de son pays, bien que perpétuellement sollicité et admiré par de nombreuses associations de notre émigration en Europe et dans le monde, a rendu l’âme en son domicile, dans son quartier d’adoption, dès l’âge de 9 ans, à l’ex-Rampe Valée, actuellement Louni Arezki «Amimar», diminutif affectueux usité par ses innombrables adeptes, majoritairement jeunes, était pour l’état-civil Amer Alt-Zai, né le 1er janvier 1941 au village d’Ighil Bouamas, dans la commune d’Iboudrarène, daïra de Beni Yenni, wilaya de Tizi Ouzou. 

Son village est devenu célèbre pour avoir été le berceau de deux phares de la chanson algérienne Lounis Aït-Menguellet et lui- même. Retracer les sources de l’avènement, du parcours, de l’ascension et de l’apport éclatant de ce génie au patrimoine de la chanson chaâbie, relève d’une démarche scientifique et méthodologique d’anthropologie culturelle lyrique et musicale qui nécessite un cadre d’élaboration approprié et nous espérons que des recherches en histoire de l’art le permettront.

UN CAS INÉDIT

Il s’agit, en l’espèce, d’un cas inédit et sans précédent dans l’univers de la chanson chaâbie à laquelle Amar Ezzahi a insufflé une vitalité et un enrichissement culturel qui s’est transformé en phénomène sociétal avec un impact et un ancrage particuliers dans la jeunesse et une extension territoriale qui dépasse les frontières de l’Algérie. 
Dans ce contexte, son apport s’est avéré novateur pour la chanson chaâbie supplantée, dans la conjoncture des années 60, par d’autres genres nationaux ou étrangers.

Ainsi s’est érigée une véritable école «zahienne» intégrée à la dynamique temporelle en son cycle de mutations générationnelles qui, chose remarquable et nouvelle, a drainé un grand nombre des femmes converties à la chanson chaâbie d’interprétation masculine. 

Cette évolution a été impulsée par un autre monument culturel, Mahboub Bati qui, en fin scrutateur avisé, a su percevoir en Amar Ezzahi une révélation pour l’accomplissement de cette œuvre lumineuse de sauvegarde du chaâbi dans une autre dimension. Ceux (dont l’auteur de ces lignes) qui ont eu le privilège d’avoir vécu cette étape fondatrice d’un authentique sursaut de rayonnement du chaâbi contribueront à ce devoir de reconnaissance et de gratitude dans la mission d’anthologie à l’égard de ces deux personnages emblématiques.

 Il s’agit là d’un centre d’intérêt culturel majeur en vue de l’étude académique d’une œuvre immense et novatrice qui a essaimé la chanson chaâbie sur l’ensemble du territoire national, tandis que son «envoûtement» en a fait une source vivante d’appartenance patrimoniale pour de larges pans de la jeunesse.

 L’université algérienne, l’Institut national supérieur de musique, les chercheurs en musicologie, en anthropologie culturelle, le Centre de recherches d’anthropologie sociale et culturelle d’Oran (CRASC) devraient s’investir dans l’investigation de cet univers «zahien» afin de capitaliser les enseignements d’un legs générationnel d’une incommensurable créativité et fécondité.
 

L’AMI DES DÉMUNIS

En outre, Amar Ezzahi était aussi l’incarnation de valeurs humaines empreintes de générosité, de modestie et de simplicité. Cette philosophie humaniste animait son existence, systématiquement éloignée des pesanteurs de la célébrité, des feux de la rampe, et du matérialisme cupide dans un choix sereinement assumé, en phase avec ses profondes convictions et ses principes d’humilité et de liberté. Ses funérailles populaires grandioses, sans doute sans précédent dans l’histoire de la capitale, ont rassemblé des foules impressionnantes composées de milliers d’admirateurs et, essentiellement, de jeunes venus de l’ensemble du pays. 

A l’apparition intense et émouvante de son cercueil drapé de l’emblème national, des milliers de youyous stridents ont fusé des balcons et des terrasses où des femmes agglutinées et en pleurs rendaient un ultime hommage à Amar Ezzahi, dont le talent, la simplicité et la générosité avaient été depuis longtemps récompensés par le titre magnifique de «h’bib ezzaoualiya» (l’ami des démunis). 

Pour exprimer son affection envers un symbole adulé, la jeunesse a tenu à porter son catafalque sur ses épaules avec de pathétiques soupirs de chagrin et des visages livides ruisselants de larmes. Une gigantesque procession l’a ainsi mené à sa dernière demeure au cimetière d’El Kettar, démonstration émouvante de l’enracinement populaire du défunt. Rarissime, même certains policiers du service d’ordre pleuraient et l’un d’eux a même parlé d’«un être cher qui éclairait de sa voix d’exceptionnelle sublimité l’existence et la vie».
 

DE MARENGO À EL KETTAR

A sa pensée, des femmes se sont spontanément rassemblées au jardin de Prague (ex-Marengo), en face du domicile mortuaire, à l’endroit de prédilection habituel de l’artiste où il se rendait pour d’interminables moments de méditation Parmi elles, nous avons remarqué l’interprète renommée de musique andalouse, Zakia Kara-Terki. Tout le gotha des chanteurs et artistes accompagnait l’immense cortège, l’image de Smaïn Hini, voisin d’immeuble et ami de l’icône pendant plus d’un demi-siècle, Mokdad Zerrouk. Hamidou, Sid Ali et El Hadi El Anka, Mokhtar et Hakim El Ankis, Dahmane Kobbi, Mahdi Tamache, Boualem Rahma, Kamel Ferdjallah, Nacer Mokdad, Ahcène Lebdjaoui, Abdelkader Chercham, Naguib le célèbre banjoïste, Mabrouk Hamai le chef d’orchestre, Hadj Khellil mélomane du cru, fin connaisseur du chaâbi et l’une des relations proche du Cheikh et d’autres encore, trop nombreux pour être tous cités ici. 

A ce propos, et dans une approche mémorielle de la genèse du parcours de Amar Ezzahi et de ses premières intrusions et découvertes dans la chapelle du chaâbi à la fin des années 1950, il est nécessaire d’évoquer le chanteur Mohamed Lagueb, connaissance de longue date du cheikh et témoin privilégié de cette étape passionnante et décisive de l’itinéraire lyrique et musical d’une révélation artistique de légende sur la quelle nous reviendrons en temps opportun. Etaient également présents le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, et plusieurs personnalités parmi lesquelles Yacef Saâdi, chef de la Zone autonome d’Alger de la guerre d’indépendance, le président de l’APC de La Casbah, le célèbre entraîneur de football, Mahiedine Khalef, la vedette populaire, le footballeur Ali Bencheikh, et d’autres encore, impossibles à reconnaître dans cet océan humain. 

Amar Ezzahi est désormais entré dans l’immortalité du panthéon de la culture algérienne pour l’avoir génialement servie sa vie durant. Le resplendissement pérenne de la chanson chaâbie «zahienne» est désormais hissé au rang de legs testamentaire pour la jeunesse et les générations futures. 

L’événement national qu’a constitué sa mort et l’immense hommage populaire qui lui a été rendu par la nation est aussi un message de toute une jeunesse qui a exprimé dans la douleur, la reconnaissance et l’infinie gratitude, son amour pour l’Algérie et son attachement viscéral à sa culture et à son patrimoine ancestral. 

Adieu l’artiste, le virtuose de génie pour lequel des foules entières ont exprimé un serment de fidélité de mémoire à leur «Cheikhna» (notre maître), symbole affectueux d’attachement par lequel ils aiment l’évoquer, implorant en la circonstance le Tout- Puissant de l’accueillir dans la miséricorde de son Vaste Paradis. «A Allah nous appartenons et à Lui nous retournons.» Ainsi l’homme s’en va mais sa légende reste et dans le souvenir et l’éternité, «Dik Echemaâ (cette bougie-là) continuera à briller.» 
 


Par Lounis Aït-Aoudia 

Président de l’Association les Amis de la Rampe Louni Arezki, Casbah

 

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