L’évolution positive de la superficie agrumicole s’est faite au détriment d’autres espèces arboricoles.
Les agrumes, ces alliés naturels de la santé, sont très recherchés pendant la saison froide en raison de leur forte concentration en vitamine C. Les espèces sucrées sont particulièrement les plus appréciées. Dans la région de Béjaïa, au début de la saison de la cueillette, notamment, de l’orange et de la mandarine, les prix étaient élevés et paradoxalement, la qualité n’était pas au rendez-vous.
La longue période de stress hydrique avait considérablement impacté les vergers d’agrumes. «La marchandise se négociait entre 300 DA et 400 DA pour des fruits complètement déshydratés. Avec le retour des pluies, à partir de fin novembre, la récolte comme sa qualité ont été sauvées, l’eau a permis aux fruits de regorger de jus», dira Bachir, un habitant d’El Kseur, dans la wilaya de Béjaïa. «A présent, on a au moins trois variétés d’oranges et autant de mandarine sur le marché.
Elles sont cédées entre 100, 150 et 200 DA, généralement selon le calibre. Mais cela reste relativement cher. Les commerçants font le tri pour proposer plusieurs prix, ce qui permettra aux ménages à faible revenus d’accéder à cette source de vitamine C», ajoute-t-il. Quant à Hacen, un résidant de la commune de Lakhdaria, le fief des agrumes à Bouira, les prix sont abordables par rapport à l’année passée.
«Le prix des oranges a considérablement baissé cette année, passant de 200 DA à seulement 100 DA. En ce qui me concerne, j’achète 3 kilos chaque semaine. Bien que la réduction des prix soit un soulagement bienvenu, c’est toujours un défi pour un père comme moi, qui a une famille nombreuse à nourrir», a-t-il déploré.
Une filière qui perd la boussole
Côté officiel, les statistiques du ministère de l’Agriculture, publiées en 2019, font état de la prédominance de trois variétés d’agrumes, à savoir les oranges, les clémentines et les mandarines couvrant une superficie totale de près de 69 000 hectares.
Quant à la production moyenne annuelle, elle estimée à près de 15 millions de quintaux. Et c’est toujours l’orange qui domine le haut du podium avec une production d’environ 12 millions de quintaux, représentant plus de 75% du total de la production agrumicole nationale.
Loin de la cupidité de certains commerçants, les exigences et plaintes des consommateurs et les chiffres officiels, l’état des lieux de l’agrumiculture n’est pas reluisant. Elle patauge dans d’inextricables problèmes. Les différentes politiques agricoles, lois et orientations, parfois contradictoires, qu’a connues le secteur depuis l’indépendance ont déboussolé la filière.
Ali Salem, président de l’association professionnelle agricole des agrumiculteurs de la wilaya d’Alger (APAAWA) et membre du Conseil interprofessionnel de la filière des agrumes (CNIFA), estime qu’il est impératif de restructurer la filière.
Durant les années 1970/80, le potentiel agrumicole algérien était fort intéressant et multi-variétal, que ce soit pour la consommation fraîche ou la transformation. Cependant, tout a basculé à partir de la restructuration de 1987 suivie d’une descente aux enfers lors de la décennie noire. «Après le lancement du Plan national de développement agricole (PNDA) en 2000, le soutien de l’Etat a bénéficié à certaines variétés, essentiellement les précoces, au détriment d’autres.
La superficie agrumicole, qui était de 60 000 ha, a certes augmenté à 80 000 ha en 2023, cependant, sur le plan variétal, la filière a connu une régression. En outre, l’évolution positive de la superficie agrumicole s’est faite au détriment d’autres espèces arboricoles, et ce, à travers l’arrachage et le remplacement par les agrumes», a-t-il expliqué.
Rareté de la ressource hydrique
L’autre problème majeur qui galvaude la filière est celui du manque de la ressource humaine qualifiée. Les actuelles exploitations agricoles sont encore en activité grâce aux expériences acquises depuis des décennies par des agrumiculteurs, alors qu’auparavant, les coopératives disposaient de cadres, de techniciens, d’ingénieurs, etc.
Cette problématique, soulevée à travers les rencontres et manifestations qu’ont organisées l’APAWAA et le CNIFA, attend toujours de vraies solutions, notamment à travers l’implication et l’intégration des universitaires, la création des start-up, etc. «Il faut remettre en place l’environnement économique favorable autour des exploitations et des producteurs», insiste notre interlocuteur.
Un autre facteur non négligeable qui commence à impacter de plein fouet la filière agrumicole est le changement climatique qui entraîne une série de complications. Le Nord algérien a connu des périodes prolongées de stress hydrique, ce qui constitue une menace pour les vergers d’agrumes qui ont besoin d’importantes quantités d’eau.
Des études indiquent qu’un oranger a besoin d’une moyenne de 80 litres d’eau pour produire un kilogramme de fruits. En outre, le stress hydrique et la rareté des ressources en eau constituent un fardeau supplémentaire pesant lourd sur les épaules des agrumiculteurs qui doivent assurer un constant apport en eau afin d’éviter les pertes.
A ce propos, Ali Salem, est catégorique, le seuil critique a été atteint. «Le constat fait par l’Agence nationale des ressources hydrauliques en dit long. Pour accéder aux poches aquifères au niveau de la Mitidja, considérée comme un bassin agrumicole du pays, il faut désormais creuser au-delà de 200 mètres de profondeur, alors qu’il y a quelques années, une profondeur maximale de 150 mètres était suffisante.»
Pour remédier à ce problème crucial, une série de recommandations ont été formulées par des experts lors d’un colloque national et ont été soumises au ministère de tutelle. «Parmi ces recommandations, la nécessité de revoir la cartographie de la filière arboricole algérienne et la création de nouveaux pôles où la ressource en eau est plus ou moins disponible.
En deuxième lieu, miser sur le recyclage de l’eau pour l’irrigation, sachant que l’Algérie dispose de plus de 200 stations d’épuration dont certaines sont à réhabiliter. Enfin, remettre en place les réseaux d’irrigation existants et la création de nouveaux», a détaillé le président de l’APAAWA.
Un circuit commercial à revoir
La commercialisation des agrumes est elle aussi livrée, depuis de longues années, à l’informel et l’anarchie. Pourtant, le marché était plus ou moins structuré avant les réformes de 1987. A l’époque, les coopératives agricoles de service disposaient d’un segment qui chapeautait toutes les transactions commerciales.
Les excédents de production dans les communes sont acheminés vers les coopératives des fruits et légumes au niveau des wilayas, puis vers l’Office des fruits et légumes d’Algérie (OFLA) qui les proposent pour l’exportation. «Après la disparition de ce système en 1988, nous avons basculé dans l’informel.
Un nouveau mode commercial s’est donc imposé, en l’occurrence la vente sur pied qui défavorise énormément les producteurs. Les acheteurs sur pied, qui suivent l’évolution du marché et la fluctuation des prix, peuvent ralentir ou accélérer la cueillette, obligeant ainsi le producteur au non-respect de l’itinéraire technique», explique le président de l’APAWAA.Et de poursuivre que cela pourrait avoir de graves conséquences sur la santé publique.
«Quand les conseils techniques concernant le délai de récolte après le traitement avec des produits chimiques ne sont pas respectés, cela expose la santé des consommateurs au danger. Il y a même un risque qu’ils développent des cancers. Par ailleurs, lorsque la cueillette est effectuée avant la maturation des fruits, c’est la qualité qui est remise en question. En somme, je crois qu’il est urgent de revoir le système de commercialisation», suggère-t-il.