Aberrahmane Bergui. Ancien arbitre international, président de Ouled el Houma : La violence dans les stades, un fléau mortel...

08/01/2024 mis à jour: 04:00
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«Le sport consiste à déléguer au corps quelques-unes des vertus les plus fortes de l’âme.»

Jean Giraudoux

 

Aberrahmane Bergui a été un grand arbitre, au sens propre et figuré par l’application stricte des règlements et la manière souple de les appliquer et par... la taille, ce qui n’enlève rien à sa compétence et à la passion du foot qui l’a envahi dès son jeune âge. Abderrahmane est cet homme à l’air affable et réservé et à la mine qui ne détonnerait pas en raison d’une gentillesse assumée qu’il revendique.

Passages professionnels à l’Onaco, Sonatrach et à la Casoral, et carrière sportive à la JSM Alger au début des années soixante, sans caresser des espoirs justifiés, car dit-il, «je ne possédais pas la vocation de figurer parmi les joueurs susceptibles de percer, n’ayant pas les qualités nécessaires. 

C’est mon frère aîné Mohamed, dit Hamid, ancien dirigeant de l’ESMA, ancien arbitre qui m’a mis les pieds à l’étrier en m’orientant vers l’arbitrage, où j’estime avoir effectué un bon chemin, tant au plan national qu’international où je pense avoir tiré mon épingle du jeu. Je dois avouer que cette réussite n’est pas tombée du ciel. J’ai bénéficié du soutien conséquent d’anciens arbitres, notamment Ahmed Khelifi et Abdelkader Aouissi qui n’ont ménagé aucun effort pour me conseiller et compléter mes connaissances, je ne les remercierai jamais assez, Allah yerhemhoum.»
 

Comment et pourquoi l’Association Ouled el Houma a-t-elle été créée ? 

Pendant la période difficile traversée par notre pays à travers la décennie sanglante de 1990 et connaissant parfaitement la vie des quartiers livrés à eux-mêmes et leurs problèmes, surtout la frange juvénile, j’ai convenu avec un groupe d’amis de créer cette association destinée aux activités sportives pour les jeunes non structurés afin de les prémunir contre les maux sociaux, dont la délinquance, la drogue et autres déviations. L’initiative a vite pris forme et suscité l’adhésion de tout ce qui nous a encouragé à persévérer et à étendre nos programmes à d’autres horizons. 

C’est ainsi que nous avons lancé, sous l’égide du ministère de la Justice, les activités sportives en milieu carcéral qui ont connu un succès éclatant et qui nous ont valu les félicitations des instances tutélaires, ce qui a renforcé nos convictions et notre devoir de poursuivre cette expérience. C’est dans ce cadre que j’ai été invité sur le plan international, dans plusieurs pays, notamment en Italie, en France, en Argentine, aux Etats-Unis et à Kobé au Japon. Sur place, j’ai pu m’enquérir des conditions de détention et des moyens dévolus à la pratique sportive en milieu pénitentiaire. Je peux dire modestement et honnêtement que la réussite de notre programme s’inspire en grande partie des expériences que j’ai pu observer dans ces pays visités. J’y ai constaté qu’ils aident les détenus à la réinsertion dans la vie active dès leur sortie de prison, sans grands encombres. Ici, j’ai organisé plus de 10 Coupes d’Algérie, en collaboration avec la direction générale des établissements pénitentiaires. 
 

LUTTE CONTRE LA VIOLENCE, LUTTE SANS MERCI

Nous avons eu la reconnaissance des autorités, et cela m’honore. J’ai été nommé par arrêté du 31 mai 2023 membre de la Commission nationale exécutive de prévention et de lutte contre la violence dans les infrastructures sportives. Bergui a élaboré une charte qui définit les lignes à suivre pour lutter contre ce fléau : «L’urgence aujourd’hui est de s’attaquer aux vraies causes de la violence qu’à ses effets. 

Malheureusement, à ce jour, on fait face à ce fléau qui gangrène notre football et plus particulièrement notre jeunesse que par des constats et des débats qui n’ont aucune incidence sur le terrain. Les comités de supporters sont aussi une alternative pour juguler même à un degré moindre ce fléau, à condition que ces comités, pour activer légalement, se constituent en associations agréées. 

Quant aux stadiers, ils doivent être formés par des structures qualifiées en matière de connaissance de la pratique du football, de prévention des incidents de secourisme dans l’urgence, de l’accueil et l’orientation sélective des spectateurs l’observation des comportements et agissements des supporters...» Mais qu’est-ce qui suscite l’engouement de nos concitoyens pour le foot et ses matches qui réveillent tant de passions dans des stades dont on ne sait s’ils sont seulement des défouloirs où des lieux de ferveur et de communion entre passionnés ? 

Car de plus en plus, au-delà des rituels, le match de foot se décline comme le support d’une identification, comme un langage universel sur lequel chaque collectivité imprime sa marque propre. Les galeries opposées qui transgressent parfois les règles établies se donnent elles-mêmes en spectacle, jusqu’à ravir la vedette aux acteurs sur le terrain censés être au cœur du spectacle. Pourquoi cet état de fait ? 

L’exemple du récent derby algérois entre l’USMA et le MCA peu fertile en créations, a fait dire au reporter de la télé, déçu et dépité, que le rituel exécuté dans les tribunes a éclipsé la piètre prestation des joueurs. Car, selon les psychologues, la foule n’est pas un simple agrégat d’individus dès lors que dans les stades, chacun se sent emporté, sans résistance possible, dans la conviction de tous. «Ainsi, les individus, devenus égaux, anonymes et semblables, ne forment plus qu’un seul corps et une seule âme.»
 

UNE CARRIÈRE BIEN REMPLIE, CONVERSION RÉUSSIE 

Bergui a dirigé des centaines de matches au cours de sa riche carrière d’arbitre. «Mais celui qui m’a marqué, c’est le fameux match entre le RCK et le MC Alger au stade Benhaddad de Kouba.  Lors de cette rencontre, il y a eu un but marqué par les Koubéens que je n’ai pas vu, car mal placé, et que mes juges de touche ne m’ont pas signalé. L’action était tellement rapide. Depuis ce match, j’ai noué des relations avec le RCK, dont les dirigeants, à aucun moment, ne m’ont accusé de tricherie. Au contraire, ils ont été indulgents à mon égard. 

A ce jour, j’ai de bonnes relations avec Salah Assad. Et ce n’est sans doute pas par hasard», relève-t-il avec fierté. Après ma carrière, j’ai été porté à la tête de la commission des arbitres de la FAF pendant dix ans, sous le règne des regrettés MMs Harraigue et Omar Kezzal. De plus, M. Bergui a reçu les félicitations de la FIFA qui porte toujours un grand intérêt aux campagnes et programmes menés à travers le monde, et nous souhaiterions saluer et féliciter de telles initiatives. Votre engagement et votre dévouement sont essentiels à l’unification du monde du football. De même que notre ancien arbitre international a reçu un diplôme du Comité international olympique, signé de la main de son ex-président Jacques Rogge, «pour votre contribution à la promotion de l’idéal olympique et de ses valeurs  auprès de la jeunesse algérienne.»
 

LE MILIEU DU FOOT S’EST INTOXIQUÉ

Bergui reconnaît que le foot est un plaisir, un loisir et une passion qui peut engendrer aussi la violence et la colère, les frustrations, avec de nouveaux ingrédients qui n’ont rien à voir avec l’éthique et l’honnêteté.

Abderrahmane nous fait part de sa colère à l’encontre des intrus qui ont investi le football et qui sont en grande partie à l’origine de sa descente aux enfers. Cela me rappelle l’histoire de cet homme qui se permet de donner des leçons sur le foot, en pénétrant sournoisement ses arcanes alors qu’il est loin d’en avoir les compétences, puisque les siennes en la matière sont maigres, pour ne pas dire insignifiantes, en arborant son nouveau statut, toute honte bue. Ce «monsieur»,   qui philosophe sur la balle ronde, avait longtemps pensé que jouer à l’extérieur signifiait jouer à ciel ouvert. 

Les caprices de l’histoire ont fait hélas qu’il s’est retrouvé du jour au lendemain en train de vouloir rivaliser de compétence avec les vrais spécialistes. Remarquez que des spécimens de ce genre tendent à proliférer en voulant, contre vents et marées, se donner une image d’eux, qui n’est pas la leur. Une véritable imposture. 

Abderrahmane a compris depuis belle lurette que le pouvoir de l’argent, dans le sport, affaiblit celui des valeurs intrinsèques nobles et les bonnes manières. Le milieu du sport a changé, regrette-t-il, je suis un amoureux du ballon rond que je pratique depuis ma tendre enfance. Je sais que ce sport, lorsqu’il reste dans la philosophie qu’il s’est choisie, apporte énormément à ceux qui le pratiquent, notamment la jeunesse, commente-t-il, en ajoutant qu’«il se bat continuellement pour faire aboutir son projet  destiné aux jeunes non structurés, en leur offrant des espaces et des moments heureux, les arrachant aux dangers de la rue et des risques qu’elle charrie à travers les fléaux que tout le monde connaît». 

Abderrahmane, l’air tranquille, comme toujours, jusque dans les déconvenues et les vicissitude de la vie et il en a révélé, dans un glissement d’yeux, que «ces moments avec les gosses, malgré les difficultés, la sueur et les infortunes, c’est le bonheur ensemble, j’ai choisi cette voie et je ne le regrette pas».

 Dans cet océan nourri de tant d’égoïsme et de frilosité qui recroquevillent nos sociétés, Abderrahmane paraît bien solitaire, mais il est convaincu que même s’il n’y a d’autres voix que la sienne, pour faire ce qu’il fait, il n’abdiquera pas, car, dit-il, elle permet l’espoir. 

Par Hamid Tahri

 

 

Parcours : 
Abderrahmane Bergui est né le 6 août 1947 à la rue Porte Neuve (Bab Djedid). Alors qu’il était encore bébé, sa famille déménage à Climat de France où Aberrahmane passe son enfance. Comme tous les jeunes de Bab El Oued et d’ailleurs, il est attiré par le foot, seule distraction qui vaut la peine d’être vécue. Il tente sa chance à l’ESM Alger, mais sa vocation se trouve dans l’arbitrage dans lequel son frère aîné Hamid a fait ses sillons. Ce sera alors une belle aventure pour Aberrahmane qui le hisse au rang tant envié d’arbitre international ayant à son actif des centaines de rencontres qui sont autant de découvertes. A la fin de sa carrière, notre referee étoilé s’occupera des jeunes en créant Ouled El Houma qui s’occupe des jeunes non structurés des quartiers populaires en étendant ses missions sociales en direction du sport en milieu carcéral, sans oublier ses actions généreuses en luttant contre l’oubli, en honorant régulièrement d’anciens héros jetés aux oubliettes. Grand bravo à ce grand monsieur !

 

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