Ces dernières années, plusieurs pièces de théâtre mettent en avant le sujet de la santé mentale faisant évoluer des personnages dans des hôpitaux psychiatriques ou des hospices d’aliénés. Il n’existe encore aucune explication à cet intérêt persistant des créateurs algériens pour cette thématique. Un marqueur d’époque ?
Un phénomène social ? Mardi 3 octobre, l’association Okd Loklok de Béjaïa a présenté D Sbitar, une pièce écrite par Yessad Yazid et mise en scène par Abdelaziz Hamachi. Ce psychodrame, joué en tamazight, se déroule dans un hôpital. Une femme perd l’esprit après avoir échoué à gérer «le conflit» entre ce qu’elle est, et ce, qu’elle veut dans un environnement social hostile.
Une femme médecin et deux infirmiers tentent de l’aider en installant un dispositif d’effet miroir pour lui permettre d’extérioriser ses démons, ses traumatismes et ses chocs. Chacun joue le rôle d’une personne enfouie en elle. La patiente se met alors à parler de toutes ses souffrances, de ses rêves brisés, de son enfance... Elle est à la fois rêveuse, méchante, en quête d’idéal. D Sbitar est une pièce bavarde avec un rythme lourd. Les dialogues se poursuivent sans interruption, ne laissant aucun moment de répit pour les spectateurs. Seule la chorégraphie exécutée par Halim Bouarouri a permis de donner un souffle au spectacle et alléger quelque peu de sa pesanteur.
«En Algérie, il existe beaucoup de personnes déprimées. On les retrouve souvent dans la rue. C’est un vrai phénomène chez nous. Chaque artiste interprète ce qu’il voit et ce qu’il vit au sein de sa société», a précisé Farès Meddouri, comédien, en réponse à une question sur la thématique de l’aliénation mentale.
Le fou, le juge et le poulet !
Cette thématique est également présente dans la pièce Le procès, produite par l’association Chabab ou Founoun de Tablat (Médéa), mise en scène par Mohamed Hellali et adaptée du texte Le conseil de justice du dramaturge égyptien, Tewfik El Hakim. Cette tragicomédie, qui se rapproche d’un conte populaire, se déroule dans un hospice d’aliénés où les patients jouent une pièce, se fabriquent des costumes avec ce qu’ils trouvent sur place et inventent une histoire.
C’est celle d’un juge qui avec son ami, un chef pâtissier, parle de ce qui passe dehors. Il lui apprend qu’un poulet a été volé d’un four. Mais qui a donc volé le poulet ? Et pourquoi ? Une dame, s’exprimant en kabyle, entre au «tribunal» et se plaint du chef pâtissier qui aurait provoqué la mort de son époux en... sautant sur lui. L’échange entre le juge et la dame est drôle. Un paysan débarque ensuite et évoque la curieuse histoire d’un âne sans queue. «Mais que fait-il pour se débarrasser des mouches ?», interroge le juge.
La pièce, qui puise dans le cynisme et un peu dans l’absurde, se déroule sur un rythme rapide avec un jeu dynamique des comédiens, surtout de Mourad Medjram, qui a interprété le rôle du juge, et avec des dialogues et des répliques comiques, parfois inattendus. Une certaine chimie a permis aux comédiens d’évoluer sur scène avec aisance. Un esprit de groupe forgé grâce à un travail d’atelier qui a duré plusieurs jours.«On travaillait toute la journée jusqu’à tard dans la nuit. Nous sommes devenus une seule famille. On passait plusieurs heures ensemble pour les répétitions.
On améliore le spectacle au fur et à mesure des observations qui nous sont faites», a confié Mohamed Hellali lors du débat qui a suivi la représentation. La scénographie est simple représentant le tribunal avec le siège du juge. Peu de travail a été fait sur l’éclairage par contre, la pièce se déroulant à plein feux. Mohamed Hellali dit avoir passé un mois à observer les patients et les soignants à l’hôpital psychiatrique Frantz Fanon, à Blida, avant de la mise en scène de la pièce.
«Les patients se retrouvent au niveau de la réception et discutent entre eux. J’ai parlé avec certains d’eux et j’ai été étonné par leur niveau d’instruction. J’ai vu aussi des infirmiers se comporter d’une manière brutale avec les malades», a-t-il dit.