Ce mercredi marque la Journée du prisonnier palestinien, célébrée, en effet, le 17 avril de chaque année, et ce, depuis 1974. Un choix qui s’explique par le fait que le 17 avril 1974 a eu lieu «la libération du premier prisonnier palestinien, Mahmoud Bakr Hejazi, lors du premier échange de prisonniers entre les Palestiniens et l’occupant israélien» explique l’agence Wafa.
A l’occasion du 50e anniversaire de cette Journée commémorative, plusieurs évènements ont été organisés en Palestine, en soutien aux détenus qui subissent toutes sortes d’exactions dans les geôles israéliennes. Selon l’Office central palestinien des statistiques, 13240 détenus palestiniens sont recensés dans les prisons israéliennes, dont 8240 en Cisjordanie et 5000 à Ghaza. «La Journée du prisonnier de cette année survient au milieu de l’agression brutale et du génocide commis contre notre peuple dans la bande de Ghaza, et de l’escalade sans précédent pratiquée par les forces d’occupation et les milices coloniales terroristes en Cisjordanie», a déclaré, hier dans un communiqué, la ministre palestinienne chargée des Affaires féminines, Mona Al Khalili.
La représentante de l’Autorité palestinienne a dénoncé, dans la foulée, le recours massif à «la torture, à l’humiliation et à des pratiques honteuses », à l’encontre des prisonniers palestiniens en mettant l’accent sur les violences faites aux femmes dans les établissements pénitentiaires sionistes. Ces exactions constituent, insiste-t-elle, «une violation du droit international humanitaire et de la Convention de Genève (relative au traitement des prisonniers de guerre, ndlr)» et «s’inscrivent dans le cadre des crimes de guerre commis par l’occupant».
«Les femmes détenues, prévient-elle, vivent le martyre dans les prisons de l’occupant, en particulier celles qui ont été arrêtées dans la bande de Ghaza». La ministre palestinienne a évoqué, au passage, le cas de détenues «dont le sort était inconnu» qui ont été enfermées «dans des centres de détention ou des camps secrets qui ne sont soumis à aucune surveillance ni visite de la Croix-Rouge».
Marwan Barghouti, en prison depuis 22 ans
De son côté, la Commission des prisonniers et des ex-détenus qui dépend de l’Autorité palestinienne a, dans un communiqué diffusé hier, établi un topo détaillé de la situation des prisonniers palestiniens en faisant un focus sur l’évolution de la population carcérale palestinienne après le 7 octobre. «Depuis le 7 octobre, 16 prisonniers sont tombés en martyrs (dans les prisons israéliennes, ndlr), dont le leader, l’écrivain et penseur Walid Daqqa», affirme la Commission. A noter que ce chiffre ne concerne que les cas recensés en Cisjordanie. La même instance ajoute que «27 prisonniers de la bande de Ghaza sont morts en détention», précisant que ces cas «ont été révélés par des médias israéliens».
«Des milliers de prisonniers sont exposés à la faim, à l’oppression et à la privation de soins, de médicaments et d’examens médicaux», accuse la Commission. L’organe de défense des droits des prisonniers palestiniens parle même de «crimes sanitaires», en citant le cas de Walid Daqqa, emporté par un cancer de la moelle osseuse à l’âge de 62 ans, après le rejet systématique de plusieurs demandes de libération pour pouvoir se soigner. Parmi les plus anciens prisonniers palestiniens qui croupissent dans les geôles israéliennes figure, faut-il le rappeler, le charismatique Marwan Barghouti, figure emblématique du Fatah qui était pressenti pour succéder à Mahmoud Abbas. Arrêté en 2002, il a été condamné cinq fois à la prison à perpétuité. Il convient de citer également Ahmad Saadat, secrétaire général du FPLP, embastillé lui aussi depuis 2002.
«Le nombre de mises en captivité dans les prisons israéliennes a dépassé les 9 500 cas, dont 80 femmes prisonnières, plus de 200 enfants et environ 600 prisonniers condamnés à la perpétuité ou en attente d’une condamnation à perpétuité», révèle la Commission des prisonniers et des ex-détenus palestiniens. Le détenu le plus lourdement condamné est Abdallah Al Barghouti, indique la même source. «Il a été condamné à 67 peines de réclusion à perpétuité, suivi d’Ibrahim Hamid, qui a été condamné à 54 peines d’emprisonnement à vie.»
La Commission dénonce l’abus de la détention administrative. Jusqu’à début avril, 3660 détenus administratifs ont été enregistrés, relève la même instance. La répression qui a suivi l’opération Tofane Al Aqsa «s’est accompagnée de campagnes d’arrestation à grande échelle impliquant des enfants, des femmes, des personnes âgées et des malades», énumère-t-elle.
La Commission des prisonniers palestiniens précise qu’après le 7 octobre, il a été enregistré quelque 8270 arrestations, chiffre comprenant majoritairement les personnes interpellées en Cisjordanie et n’inclut pas les Ghazaouis «détenus dans des camps militaires israéliens ou victimes de disparition forcée». Parmi ces 8270 arrestations, on dénombre 275 femmes, 520 mineurs et 66 journalistes dont 45 sont toujours en détention préventive.
La Commission ajoute que 5169 ordres de détention administrative ont été émis ces six derniers mois. «Les campagnes de détention s’accompagnent de nombreux crimes et violations tels que des passages à tabac brutaux, des actes de vandalisme et des destructions dans les maisons des détenus, la confiscation de voitures, d’or et d’argent, en plus de la destruction d’infrastructures, notamment dans les camps de réfugiés de Tulkarem et Jénine» détaille-t-elle dans son réquisitoire.
«Carcéralité à grande échelle»
Comme l’illustrent ces chiffres, les mineurs palestiniens ont toujours figuré en grand nombre dans les statistiques carcérales. «Depuis le début de l’agression, le nombre d’arrestations d’enfants en Cisjordanie a atteint plus de 500, l’arrestation d’enfants constituant l’une des politiques constantes appliquées par l’occupant», note la Commission des prisonniers palestiniens dans un autre rapport. «Depuis les premières années de l’occupation des territoires palestiniens, Israël a ciblé les enfants de façon directe, sans la moindre considération pour leurs droits», s’indigne la Commission. Et de faire remarquer : «L’occupant israélien est le seul État au monde à poursuivre systématiquement en justice entre 500 et 700 enfants palestiniens chaque année». Ces mineurs se voient «traduits devant des tribunaux militaires en étant dépourvus de leurs droits fondamentaux».
La branche palestinienne de l’organisation «Defence For Children International» a indiqué, dans un récent rapport, avoir réalisé un sondage auprès de 75 adolescents qui ont séjourné dans les prisons israéliennes. «Sur la base des témoignages de 75 enfants palestiniens arrêtés en 2023 par les forces d’occupation en Cisjordanie, y compris Jérusalem, il a été constaté que 61% d’entre eux ont été soumis à des violences physiques après leur arrestation, 96% ont été menottés, 88% avaient les yeux bandés et 47% ont été arrêtés à leur domicile au milieu de la nuit, 69% ont été victimes de violences verbales, d’humiliations ou d’intimidations, 65% ont été soumis à une fouille à nu au moins une fois, 72% ont été privés de nourriture et d’eau», rapporte l’ONG. Elle poursuit : «65% des mineurs arrêtés n’ont pas été correctement informés de leurs droits ; 97% ont été interrogés sans la présence d’aucun membre de leur famille ; 95% n’ont pas été informés du motif de leur arrestation ; 43% se sont vu proposer ou signer des documents en hébreu, une langue que la plupart ne comprennent pas ; 24% d’entre eux ont été mis à l’isolement pendant deux jours ou plus.»
Selon Francesca Albanese, rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, le nombre de Palestiniens faits prisonniers depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948 se compte par centaines de milliers, et ce recours massif à la «carcéralisation» s’est accentué de manière vertigineuse, après la guerre de 1967. Mme Albanese affirmait lors d’un exposé présenté devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, en juillet 2023, que «depuis 1967, Israël a détenu environ un million de Palestiniens dans les territoires occupés, dont des dizaines de milliers d’enfants».
«Cette carcéralité à grande échelle est une caractéristique essentielle des régimes coloniaux», souligne la rapporteuse spéciale. «Les pratiques carcérales illégales d’Israël équivalent à des crimes internationaux qui justifient une enquête urgente du procureur de la Cour pénale internationale», insiste la juriste italienne. Elle estime que nous sommes face à un véritable plan de «dépalestinisation» du territoire dont l’emprisonnement arbitraire à une échelle industrielle est l’une des facettes les plus violentes.
Majed Bamya, représentant permanent adjoint de l’État de Palestine auprès des Nations unies, avait déclaré, il y a quelques années, dans un entretien à la revue Confluences Méditerranée (novembre 2013) : «Pour comprendre l’importance de la question des prisonniers palestiniens, un seul chiffre suffit : 750 000. C’est le nombre de Palestiniens passés par les geôles israéliennes depuis 1967.
Cela signifie que cette problématique concerne quasiment chaque famille palestinienne». Le diplomate palestinien précise qu’un grand nombre d’entre eux étaient «des détenus sans charge ni inculpation».