Le comédien et metteur en scène palestinien Ghanam Ghanam a présenté, samedi 17 février, le spectacle Bi oumi ayni 1948 (avec mes propres yeux 1948), au Musée national archéologique de Sétif, à la faveur de la 2e édition des Journées théâtrales arabes de la capitale des Hauts-Plateaux.
Le titre du spectacle est inspiré d’un livre de l’avocate israélienne Felicia Langer. «Cette avocate, qui a défendu les militants palestiniens, a abandonné la nationalité israélienne pour s’installer en Allemagne jusqu’à son décès en 2008», a précisé Ghanam Ghanam.
En prélude à son spectacle, qui rassemble autant à un one man show qu’à un conte, l’artiste a fait un constat : «Les Palestiniens sont divisés entre ceux de 1948, ceux de 1967, ceux du Golan, ceux de Ghaza. Le Palestinien le reste où qu’il sera. Et chaque homme libre dans ce monde est palestinien jusqu’à la libération de la Palestine».
Le spectacle est construit sur un voyage intérieur effectué par Ghanam Ghanam, installé actuellement aux Emirats arabes unis, en Palestine en 2017.
A cette date, il était à Ramallah où il assurait une formation sur le théâtre scolaire avant de présenter son spectacle Sa’amoutou fil el manf’a (je vais mourir en exil). «Je rencontrais les artistes qui vivent à l’intérieur de nos terres occupées depuis 1948 et je leur exprimais ma douleur de ne pouvoir m’y rendre. Je voulais revoir mes deux filles qui vivaient à Tarshiha aux frontières avec le Liban.
L’occupant les empêche de venir de Tarshiha à Ramallah pour me rencontrer. Je n’ai assisté ni au mariage ni aux premiers accouchements de mes deux filles», a-t-il confié. Il a raconté comme une femme l’avait aidée à entrer en Israël sans se déclarer (Ghanam Ghanama est porteur d’un passeport jordanien). «J’ai annoncé sur Facebook que je quittais Ramallah pour Aman. C’était une condition. Et je devais garder secret ce voyage. Samir, un arrière-petit-cousin m’a proposé de me transporter. Avant cela, je devais animer un spectacle à l’université de Beir Zeit, en présence du ministre de la Culture palestinien Ihab Bseiso et de la grand-mère Fakhria Ghanam. Après, je devais suivre Samir, 21 ans, en pensant aux barrages. Le groupe a opté pour le barrage de Hizma», a raconté le comédien.
«Où est l’occupant ?»
Il a expliqué toute la difficulté de passer par un barrage militaire israélien. «En route vers Al Nassira, je regardais ma terre par la vitre de la voiture. A Al Nassira, j’ai rencontré Lotfi Nouisser, un artiste qui ressemble au Père Noël.
Il a ouvert Masrah el hanine où des formations de musique, d’art plastique, de danse et de théâtre sont assurées aux jeunes. Lotfi Nouisser a libéré 1000 mètres carrés de notre terre et en a fait un théâtre pour les enfants du pays. Là, je me suis posé une question surréaliste : ‘’où est l’occupant ?’’», s’est interrogé Ghanam Ghanam, surnommé Abou Ghassan. Il a décrit la ville d’Al Nassira (Nazareth) qui ressemble à Damas, Baghdad, au Caire ou à Tripoli. «Tout dans cette ville est arabe. C’est le ville de naissance de Jésus Christ aussi. Bien que je sois entré clandestinement, j’ai logé dans un hôtel avec mes deux filles. L’une d’elle m’a proposé d’aller dîner à Haïfa (distante de 50 km) et manger du shawarma. Nous sommes partis à Haïfa comme dans un cortège de mariage. Je me suis souvenu de Retour à Haïfa de Ghassan Kanafani», a confié l’artiste.
La nouvelle Retour à Haïfa a été écrite par Ghassan Kanafani en 1970. Ghanam Ghanam, qui a rappelé que Haïfa était tombée en avril 1948, a repris les propos de Said S., le personnage de cette nouvelle, le jour de l’occupation : «Ils nous poussaient à nous diriger vers le port où des embarcations nous attendaient pour nous sauver. Des embarcations de l’armée britannique qui nous prenaient vers Beyrouth ou Akka (Acre)».
C’était la Nakba. «A Haifa, on m’a dit que les habitants palestiniens achetaient leurs maisons des autorités de l’occupation pour y revenir. Ma fille m’a proposé encore de prendre un café, alors qu’il faisait déjà nuit, à Akka (située à 26 km au nord). Quelle chance, en une seule journée, j’ai visité Al Nassira, Haifa et Akka. Touché par la brise marine, je me suis dit : ‘’je rêve ou je suis réellement à Akka. Et j’ai chanté Kouli dah kan lih (une chanson de Mohamed Abdelwahab)», a souligné Ghanam Ghanam qui jouait son propre rôle.
«La Palestine est dans tous les coins»
L’artiste a été invité le lendemain pour animer un atelier de formation sur l’art du hakawati (conteur). «Avant de sortir, le patron de l’hôtel m’attendait et m’a dit que son établissement était le plus ancien que leur Etat (Israël). Et, il a ajouté : ‘’dis aux dirigeants arabes ne nous laisser nous occuper de notre cause».
Une vraie comédie noire ! Après, je me suis promené dans les rues d’Al Nassira et j’ai même mangé de l’herbe. J’ai visité Djebel Al Qafza (Le mont du Précipice au sud de la ville) où Jesus Christ, pourchassé par les habitants, avait sauté pour disparaître. J’ai été invité ensuite à déjeuner chez Saïd Salamé, l’un des plus grands artistes de pantomime au monde. Dans sa maison, la Palestine est dans tous les coins, tous les détails», a-t-il dit.
A Al Nassira, Ghanam Ghanam a joué son spectacle Sa amoutou fil el manfa’a. «Le spectacle de 55 minutes a finalement duré quatre heures parce que les spectateurs ont, chacun de leur côté, raconté leurs histoires avec l’occupation et l’exil. Nous avons chanté pour la patrie que nous voulons, pas pour la patrie qu’ils veulent. J’ai visité la maison de ma fille à Tarshiha. Elle habite dans un vieux quartier. J’ai retrouvé l’odeur de ma mère dans cette maison. Après, j’ai rendu visite à ma seconde fille qui habite à Ma’alot-Tarshiha, un quartier habité par des juifs russes. L’occupant a effacé la localité de Souhmata pour construire ce quartier», a confié l’artiste.
Il est revenu aussi sur sa visite à Akka où il s’est rendu à la maison de Ghassan Kanafani. «Les voisins de Ghassan Kanafani ont toujours peur de lui. Dès que des touristes viennent pour prendre des photos de la maison, ils lâchent les chiens. Ghassan a quitté cette maison à l’âge de 12 ans», a-t-il dit. Il s’est rendu ensuite au cimentière du Nabi Saleh où sont enterrés Mohamed Jamjoom, Fuad Hijazi et Atta Ezzir.
Mardi rouge
«Les habitants d’Akka reconstruisent les tombes de ces trois martyrs chaque année pour leur garder leur dignité. Mohamed Jamjoom, Fuad Hijazi et Atta Ezzir ont été exécutés par pendaison le 30 juin 1930 par les autorités britanniques après avoir manifesté contre les occupants britanniques et les colonisateurs sionistes.
Brahim Toqqan a écrit son célèbre poème El Thoulath’a al ahmar (Mardi rouge) en hommage à ses martyrs. Je suis sorti du cimetière en voulant crier encore : ‘’où est l’occupant ?’’. Je m’interroge mais ne pensez pas que l’occupant n’existe pas. Il existe avec cruauté et force. Je suis entré à la Citadelle Ahmed Bacha Al Jazzar d’Akka, malgré les contraintes sécuritaires, et je me suis dit : ‘’ces pierres m’appartiennent, les occupants n’ont absolument rien ici’’, a-t-il raconté.
Il a expliqué comment les habitants d’Akka avaient pris l’habitude de plonger dans la mer d’une hauteur de 17 mètres pour nager : ‘’On ne devient akkiote qu’après avoir plongé ! C’est la tradition. Savez-vous que depuis 1948, aucun occupant n’a pu sauter de cet endroit. Après une promenade en mer, nous sommes allés prendre du houmous chez Said. C’est l’échoppe la plus célèbre d’Akka. Dans le quartier historique, j’ai lu des écriteaux : ‘’notre maison n’est pas à vendre’’. L’écrit est en arabe, en anglais et en hébreu. Après, on s’est rendu à Tell Al Fakhar». Ghanam Ghanam est revenu sur l’échec de Napoléon Bonaparte de soumettre la ville d’Akka en 1799 lors de sa campagne d’Egypte, après avoir détruit Ghaza et occupé Al Qods.
«Les troupes de Napoléon Bonaparte avaient ajouté de la terre et des pierres à Tell Al Fakhar, l’endroit le plus élevé d’Akka, pour pouvoir bombarder la ville côtière. Après trois mois, il n’avait pas pu occuper la ville. En 2009, Ehud Olmert (ancien premier ministre israélien) a baptisé ce petit mont au nom de Napoléon pour tenter d’humilier Akka.
Il a dressé une statut de Napoléon sur son cheval avec en haut le drapeau de l’entité sioniste. Je me suis dit pourquoi. Après recherche, j’ai trouvé que Napoléon Bonaparte est le premier à proposer aux juifs de construire leur Etat sur les terres de la Palestine avant Arthur Balfour (secrétaire d’Etat britannique aux Affaires étrangères en 1917) de 118 ans.
Il avait appelé les juifs à reprendre ce qu’il considérait comme leur droit en précisant que la nation française se portait garante pour les protéger. On ne nous a jamais dit que Napoléon était le premier Balfour», a conclu Ghanam Ghanam.