Mardi 28 janvier 1997 à la place du 1er Mai, en plein centre d’Alger. Il était environ 13h. Abdelhak Benhamouda, secrétaire général de l’UGTA, venait de sortir d’une réunion au siège de la centrale syndicale. Il s’apprêtait à monter dans sa voiture, quand cinq hommes armés ont surgi et ouvert le feu. Benhamouda avait réussi à dégainer son arme et à tirer, blessant l’un des assaillants. Benhamouda sera atteint de quatre balles.
Il succombera à ses blessures à l’hôpital. Il avait 51 ans. Dans cet attentat ont été tués également Omar Chennouf, un de ses gardes corps et Akacha Bouderbala, un agent de l’UGTA. Vingt-cinq ans après, ces faits rapportés par la presse de l’époque, nationale et internationale, sont pratiquement oubliés. On n’en parle plus dans les médias, même lors des hommages rendus à Benhamouda à l’occasion de sa disparition.
Sur les rares biographies qui lui ont été consacrées, peu de choses ont été dites sur cet homme, qui a pourtant connu une vie pleine avec un parcours professionnel, syndical et militant bien chargé. Aujourd’hui, les jeunes générations en connaissent très peu de choses sur lui. Pourtant, l’histoire de la famille d’Abdelhak et sa présence à Constantine remontent aux années 1920, quand le père Ali Benhamada, né en 1907 dans la dechra d’Acharar, située sur une des montagnes de la région de Taher, dans la wilaya de Jijel, quitte sa terre natale, alors qu’il était encore adolescent. C’est le témoignage d’Abdelhamid, frère d’Abdelhak, qui nous révèle l’histoire de ce périple. «Mon père a décidé de suivre discrètement son oncle, parti travailler à Constantine, sans que ce dernier ne le sache. Il était parti sur ses traces à pied. Son oncle ne s’en apercevra qu’après avoir parcouru une longue distance, c’est ainsi qu’il décidera de l’emmener avec lui», a-t-il rapporté à El Watan. Quand l’oncle a décidé de s’installer pour une certaine durée à Mila, le jeune Ali profitera pour suivre des études à la vieille mosquée de la ville. Plus tard, il rejoindra la ville de Constantine pour habiter à l’ex-rue Bleue dans le quartier de R’cif, tout près de la maison d’une tante à sa mère.
Pour gagner sa vie, il exercera divers métiers. Il sera charpentier, charbonnier, ouvrier dans le bâtiment, tanneur et autres. Quelques années plus tard, il s’installera à la maison Djeghri dans l’impasse Khattabi sur l’avenue Bienfait (actuelle avenue Kitouni Abdelmalek), avant d’acheter un terrain sur lequel il construira sa propre maison. Pour être plus près de sa maison, Ali Benhamada louera un local à l’ex-rue Cherbonneau (actuelle rue Bensihamdi), qui deviendra la célèbre laiterie familiale, très connue dans la ville. Tous ses enfants y sont passés où ils ont appris à travailler. Membre actif de l’Association des Oulémas algériens, fondée par le défunt Cheikh Abdelhamid Benbadis, militant de la cause nationale, homme très respecté, Sidi Ali ou Ammi Si Ali, comme l’appelaient les riverains, était aussi un érudit, muezzin et imam d’une petite mosquée avant la construction dans les années 1960 de la mosquée Cheikh Bachir Ibrahmi, située dans le même quartier, dans laquelle il avait une grande contribution.
Une erreur sur le registre de l’état civil
Fils de Ali Benhamada et de Behidja Bouchelaghem, Abdelhak est né à Constantine le 12 décembre 1946. Il a passé son enfance à la maison Djeghri, habitée par la famille dans le quartier de l’avenue Bienfait. «Il avait porté ce nom suite à une erreur de transcription sur le registre de l’état civil, quand mon père avait renouvelé le carnet familial ; la page de Abdelhak, dont l’acte de naissance était inscrit sur les registres de l’état civil sous le n°3420 était la seule à porter le nom Benhamouda au lieu de Banhamada ; une erreur que Abdelhak ne pensera jamais à corriger», a révélé son frère Abdelhamid. Après l’école coranique, Abdelhak ne suivra pas les cours d’une quelconque école française à Constantine. «Mon père était un farouche opposant au colonialisme ; il était hors de question pour lui que ses enfants fréquentent des écoles françaises», a rajouté Abdelhamid. Ainsi, dans les années 1950, Abdelhak a été inscrit à l’école libre Essalam, qui a vu passer de nombreux Constantinois, dont certains seront parmi l’élite de la ville après l’indépendance. Sa scolarité sera perturbée durant la Révolution, en raison des activités de son père et de ses deux frères Amar et Mohamed, engagés dans la guerre de Libération. Mohamed avait rejoint le maquis, alors qu’Amar a été parmi les victimes du centre de torture de la cité Ameziane. La maison familiale servait de refuge pour les moudjahidine. Durant la grève des huit jours, du 28 janvier au 4 février 1957, entamée suite à l’appel du Comité de coordination et d’exécution (CCE) du FLN, à l’occasion de débat à l’ONU sur la question algérienne, l’administration coloniale à Constantine est passée à la répression. La laiterie sera mise sous scellés. Le père Hadj Ali sera arrêté et interné dans le camp d’El Djorf, près de M’sila. C’est avec grand courage que la mère Behidja assumera les responsabilités de chef de famille. À l’instar de ses frères, Abdelhak, qui avait 12 ans, l’aidait dans la gestion de la laiterie.
Un parcours dans l’éducation
On ne peut pas dissocier Abdelhak Benhamouda du milieu dans lequel il a grandi, dans le quartier de l’avenue Bienfait. Un lieu qui a vu l’émergence d’intellectuels et de personnalités ayant joué un rôle important dans la prise de conscience populaire à Constantine à une époque difficile de l’histoire de l’Algérie. Tout son entourage témoignait de son intelligence, de sa motivation, de sa grande curiosité et de sa passion immodérée pour la lecture. Il était l’exemple du parfait autodidacte. «Ce que j’ai appris avec lui, je ne l’ai pas appris à l’université», note son frère Abdelhamid.
Le parcours professionnel d’Abdelhak Benhamouda sera entamé après l’indépendance dans le secteur de l’éducation, alors qu’il était très jeune. Après sa réussite au concours de moniteur primaire, il est affecté dans une école à l’ex-Gastu, aujourd’hui Bekkouche Lakhdar, commune située entre Azzaba (wilaya de Skikda) et Guelma, à 50 km de Skikda. Il rejoindra plus tard le même poste au petit village de Zeghaia, devenue aujourd’hui un chef-lieu de commune située à 7 km de Mila. À force de travail et de persévérance, il gravira les échelons pour devenir formateur d’enseignants. Après avoir fait ses preuves, il bénéficiera d’une affectation à la direction de l’éducation de Constantine et accéda au statut de formateur d’application. Une promotion lui permettra de devenir directeur d’une école à Sidi Mabrouk à Constantine. Ce parcours ne durera pas longtemps. Le destin lui avait choisi une autre voie, celle du syndicalisme.
Syndicaliste engagé et patriote
Dès son jeune âge, Abdelhak était doté d’une force de conviction, selon ses proches. Il montrait déjà une aptitude pour les débats et les discussions au sein de la famille et surtout avec son père. Il avait un caractère de contestataire. Alors qu’il était à ses débuts comme instituteur à Zeghaia, il avait protesté contre les conditions difficiles dont souffraient les enseignants et les élèves dans une école primaire de la région par un froid glacial. «C’est grâce à son action que l’école fut équipée de chauffage», rappelle Abdelhamid. En 1972, il intègre les rangs de l’UGTA, en militant dans les rangs de la célèbre Fédération des travailleurs de l’éducation et de la culture de Constantine (FTEC). Le nom de Benhamouda sera très lié à cette fédération qui dérangeait beaucoup les responsables à l’époque. Au fil des années, il gravira les échelons à l’union locale, puis l’union de wilaya de l’UGTA à Constantine. En juin 1990, alors qu’il avait 44 ans, il sera élu secrétaire général de l’UGTA à une période très critique de l’histoire de l’Algérie, marquée par la montée de la mouvance islamiste, représentée par le Front islamique du Salut (FIS) qui avait réussi à obtenir 54% des voix aux élections locales du 12 juin 1990. Les événements se suivront avec la grève menée par le FIS au mois de mai 1991, les législatives du 26 décembre 1991, puis leur annulation le 11 janvier 1992, l’arrivée de Mohamed Boudiaf à la tête du Haut Conseil d’État (HCE) puis son assassinat le 29 juin 1992 et la décennie noire qui avait plongé l’Algérie dans un bain de sang.
À l’image de son père et des membres de sa famille, Abdelhak était un farouche opposant aux islamistes, ce qui lui a attiré les foudres de ces derniers, qui le traitaient de «communiste», et de «kafir» (apostat) surtout qu’il avait été l’un des fondateurs du Comité national de défense de la République (CNDR) en 1991. Le 1er décembre 1992, il échappe à un attentat, en quittant son domicile à Alger. Son frère Abdelhamid a révélé à El Watan que le défunt Redha Malek, alors membre du HCE en juillet 1992, après l’assassinat de Boudiaf, avait proposé à Benhamouda le poste de Chef de gouvernement. «Il était venu me voir, pour avoir mon avis, je lui ai dit qu’à l’UGTA, ce sont les travailleurs algériens qui ont réclamé ton élection, mais une fois tu seras Chef de gouvernement, tu seras évincé à tout moment, tout en lui rappelant le triste sort du défunt Kasdi Merbah, c’est ainsi qu’il a décliné cette offre», a-t-il témoigné.
A Constantine, des membres du FIS ont fait circuler des rumeurs dans les mosquées avançant qu’il avait placé son père dans une maison pour vieillards. Tout cela dans le but de ternir son image. Tous les membres de sa famille, mais aussi ses voisins et amis qui ont pris sa défense, ont reçu des menaces de mort. Le 10 décembre 1993, son frère Si Mohamed, ancien moudjahid (Wilaya III, région IV) sera assassiné dans la laiterie familiale sous les yeux de son fils, en compagnie de son cousin Azzedine, policier, tué lui aussi sur le même lieu.
Un drame qui affectera énormément Abdelhak, son père et toute sa famille. Trois ans plus tard, Abdelhak Benhamouda connaîtra le même destin tragique. Vingt-cinq après, les mêmes questions se posent toujours au sujet de son assassinat, ses raisons et qui sont ses «vrais» commanditaires ? Un jour, peut-être, la vérité sera connue.