L’illustre chanteur d’expression kabyle, Slimane Chabi, a eu l’ingénieuse idée de regrouper toute son œuvre dans un livre édité, il n’y a pas longtemps, chez les éditions Talsa.
L’auteur prolifique, plus connu pour ses chansons et ses sketchs comiques qui nous font rire de nos travers, a eu, en fin de semaine écoulée, dans ce qui constitue une première, à se mettre en face du public.
C’était sur l’initiative de l’association culturelle Tanekra qui l’a convaincu à être le sixième invité de son atelier Si Amer Boulifa exclusivement dédié à la littérature amazighe instauré il y a un plus de trois mois. Car l’homme est réputé pour être très réservé et extrêmement rétif à se mettre devant un public, lui, qui durant sa carrière qui frôle le demi-siècle, n’a eu à animer qu’un seul gala en France.
Et dans son intervention devant une assistance à très forte dominance féminine, Slimane Chabi a expliqué de prime abord ce qui l’a motivé à consigner toute son œuvre dans un ouvrage non sans s’appesantir sur certaines haltes qui ont jalonné son parcours. «C’est une ancienne idée qui remonte à assez loin.
Un de mes petits-fils, installé depuis quelque temps en France, titulaire d’une licence en langue et culture amazighes, a bien entamé la transcription de mes œuvres avant que je ne reprenne le projet sur insistance de mon ami Djamal Laceb qui, ces derniers temps, m’a forcé la main à aller au bout. Et c’est lui qui s’est occupé du projet de bout en bout et je ne saurai comment l’en remercier», soutient-il.
Un projet qui viendrait, en quelque sorte, colmater le «manque de visibilité» de son œuvre qui, avoue-t-il, est beaucoup moins connue que moi puisque seule une dizaine de mes chansons sont enregistrées à la Chaîne II de la Radio nationale sur l’initiative de l’illustre poète et animateur radio Ben Mohamed.
Ce qui intervenait pourtant après son renvoi de l’émission. Les chanteurs de demain du même canal radiophonique qu’il explique par une «différence de point de vue avec l’animateur de ladite émission à propos d’une chanson que j’avais entamée de chanter».
Un épisode qui ne l’a pas pour autant découragé puisque celui qui a commencé son parcours par un 45 Tours en arabe dans le style sahraoui, lui qui est né et a grandi à Laayoune, dans la wilaya de Tissemsilt, et a fait du théâtre de scène entre 1963 et 1964 à Blida, a enregistré son premier 45 Tours en kabyle à son arrivée en France en 1970.
Un Hexagone où il n’a pas fait comme ses compatriotes artistes qui écumaient les bars, considérant cela comme «dévalorisant». «Moi, je travaillais en même temps que ma carrière artistique pour avoir été successivement préparateur de caisse, chef de chaîne dans de grandes entreprises et enfin couturier à mon compte, métier de jeunesse que j’ai ainsi repris», soutient Chabi.
Da Slimane pour ses fans
Après trois années de suite passées en France, notre illustre chanteur renoue avec la terre des aïeux, tout en faisant des descentes sur Paris pour les besoins des enregistrements de ses œuvres. Et de son exil en France, Da Slimane, comme aiment l’appeler ses fans, retient notamment deux haltes qu’il affectionne de rapporter lors de ses rencontres entre amis. Ce qu’il ne s’est pas privé de relater à l’occasion rappelant presque dans le menu détail des rencontres avec l’illustre Slimane Azem et le non moins célèbre sur le tard, il est vrai, Mohia. Sa première rencontre avec le premier était à l’instigation du tenancier d’un bar de Djama Saharidj, chez qui il travaillait.
C’était à l’occasion d’un concert qu’il animait dans un bar sous forme de «grand couloir», se rappelle-t-il. «Après l’avoir écouté, un ami commun m’a présenté à Azem qui, par la suite, m’a fait monter sur scène pour lui déclamer un poème à défaut de chanter. C’était un moment inoubliable et depuis, nos rencontres étaient régulières jusqu’à la toute dernière, vers fin décembre 1982, quelques semaines avant son décès», témoigne dda Slimane pour qui le fils d’Agouni-Gheghrane était l’idole en qui il dit «s’identifier» et qui avait le mérite et pas des moindres, d’avoir «introduit la chanson dans les foyers». Évoquant sa rencontre avec Mohia, Slimane Chabi la situe à l’année 1972, juste à l’arrivé du célèbre dramaturge en France.
Depuis, poursuit-il, «une complicité est née entre nous deux et il m’est arrivé souvent de lui retoucher les habits qu’il achetait au marché aux puces». Et cette complicité a accouché d’une collaboration puisque dda Slimane a eu à interpréter une «dizaine d’œuvres», avec, précise-t-il, «quelques retouches apportées à certaines d’entre elles avec l’accord de Mohia».Et pour revenir à son livre, l’illustre chanteur précise y avoir repris l’ensemble de son œuvre éditée, que ce soit des chansons, des sketchs ou simplement de la poésie dont il a partagé avec l’assistance bien de compositions, situant le contexte de création de chacune d’elles. Une poésie dont «chaque vers est un fil tissé dans la tapisserie complexe de l’existence, révélant des motifs insoupçonnés dans la trame du familier.
Depuis sa source jaillissante jusqu’à son embouchure tranquille, le fleuve de sa poésie ne cesse de surprendre. L’eau de ses mots chantonne, fredonne, gronde, hésite souvent et rit toujours, ou presque», écrit Djamal Laceb dans sa préface dudit livre. Ceci avant d’ajouter que «ce courant lyrique, tantôt doux, tantôt tumultueux, invite le lecteur à une immersion totale, à se laisser porter par les flots d’une créativité sans cesse renouvelée, où chaque méandre cache une nouvelle révélation». M. K.