Il est l’un des plus grands écrivains européens du XXe siècle : L’écrivain albanais Ismail Kadaré n’est plus

02/07/2024 mis à jour: 03:53
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Photo : D. R.

Auteur d’une œuvre exceptionnelle sous la tyrannie communiste d’Enver Hoxha, l’écrivain albanais Ismaïl Kadaré, 88 ans, est décédé, hier matin, d’une crise cardiaque.

M. Kadaré est décédé d’une crise cardiaque», a précisé l’hôpital de Tirana. Il y est arrivé «sans signe de vie», les médecins lui ont fait un massage cardiaque, mais il «est mort vers 6h40 GMT» (8h40 locales)», a dit l’hôpital. A la fois ethnographe sarcastique, romancier alternant grotesque et épique, Ismaïl Kadaré a exploré les mythes et l’histoire de son pays, pour disséquer les mécanismes d’un mal universel, le totalitarisme. L’Albanie a vécu des décennies sous la dictature d’Enver Hoxha, l’une des plus fermées au monde.

«L’enfer communiste, comme tout autre enfer, est étouffant», avait dit à l’AFP l’écrivain dans une de ses dernières interview, en octobre. «Mais dans la littérature, cela se transforme en une force de vie, une force qui t’aide à survivre, à vaincre tête haute la dictature.» La littérature «m’a donné tout ce que j’ai aujourd’hui, elle a été le sens de ma vie, elle m’a donné le courage de résister, le bonheur, l’espoir de tout surmonter», avait-il expliqué, déjà affaibli, depuis sa maison de Tirana, la capitale albanaise.

Renommée internationale

Ismaïl Kadaré a étudié les lettres à l’université de Tirana et à l’Institut de littérature Maxime-Gorki de Moscou. En 1960, la rupture avec l’Union soviétique l’oblige à revenir en Albanie où il entame une carrière de journaliste. Il commence à écrire très jeune, au milieu des années 1950, mais ne publie que quelques poèmes dans un premier temps. En 1963, la parution de son premier roman Le Général de l’armée morte lui apporte la renommée, d’abord en Albanie et ensuite à l’étranger grâce à la traduction française de Jusuf Vrioni.

Son  œuvre est alors vendue dans le monde entier et traduite dans plus de quarante-cinq langues. Kadaré est considéré comme l’un des plus grands écrivains et intellectuels européens du XXe siècle et, en plus, comme une voix universelle contre le totalitarisme. En 1981, il publie Le Palais des rêves, un roman anti-totalitaire écrit et publié au cœur d’un pays totalitaire7. L’ouvrage  en question est interdit.

Kadaré finit par être qualifié d’«ennemi» lors du Plénum des écrivains en 1982. Le dictateur albanais lui-même pense que Kadaré est un agent de la France.  Il est  alors contraint de publier ses romans à l’étranger. Se sentant menacé, il émigre en France où il obtient l’asile en octobre 1990. Son œuvre  est des plus considérables. Il excelle dans la  littérature contemporaine, concentre romans, nouvelles, essais, poésie et pièces de théâtre. Ses thèmes essentiels sont  axés sur l’histoire des Balkans,  de l’Albanie et la dénonciation du totalitarisme à travers des métaphores habiles et des légendes anciennes.

Les mythes du pays natal

Il se plaît à puiser ses images romanesques dans le passé yougoslave et dans ses souvenirs d’enfance. Il revisite les grandes étapes historiques, notamment le folklore et les mythes de son pays natal dans une prose dramatico-bouffonne d’une ironie mordante. Son talent de conteur volubile se double d’un rôle de moraliste corrosif et percutant dans la dénonciation du totalitarisme à travers des fictions situées à des époques révolues.

Son style puise son inspiration dans les grands classiques de l’histoire littéraire : Homère, Eschyle, Dante Alighieri, William Shakespeare, Miguel de Cervantes ou encore Nicolas Gogo. «La vraie littérature a son propre calendrier, sa propre liberté qui n’a rien à voir avec la liberté extérieure», avait-il déclaré dans une interview publiée dans le journal Libération en 25 octobre 1999. Depuis 1996,  l’écrivain est membre associé (à vie) de l’Académie des sciences morales et politiques, où il a remplacé le célèbre philosophe Karl Popper.

En 1992, il reçoit le prix mondial Cino-Del-Duca. En 2005, il devient lauréat du premier prix international Man-Booker. En 2009, il remporte le prix Princesse des Asturies, une des plus prestigieuses récompenses littéraires internationales «écrivain, essayiste et poète, Ismail Kadaré, l’une des plus grandes figures de la littérature albanaise, a traversé les frontières pour s’ériger en voix universelle contre le totalitarisme», a souligné le jury du prix.

La même année, il a reçu un diplôme honorifique en sciences sociales et de la communication institutionnelle de l’université de Palerme, en Sicile, demandée et vivement souhaitée par les Arberèches de Piana degli Albanesi Il est l’auteur albanais le plus lu à l’étranger. Kadaré est considéré comme l’un des plus grands écrivains contemporains et son nom a d’ailleurs été plusieurs fois cité comme favori au prix Nobel de littérature sans jamais l’obtenir.

En Albanie, Kadaré est souvent présenté et désigné comme le «Victor Hugo albanais», ou le «Charles Dickens albanais» du fait de ses vues à caractères sociétales. En 2019, il remporte le prix Neustadt. Les œuvres complètes (à l’exception des essais) d’Ismaïl Kadaré ont été publiées par les éditions Fayard, simultanément en français et en albanais, entre 1993 et 2004. Depuis 2000, la traduction française est assurée par le violoniste albanais Tedi Papavrami. 
 

 

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