Ibrahim Thiaw. Secrétaire exécutif de la Convention de l’ONU sur la lutte contre la désertification : «Il faut plus de solidarité pour faire face à la sécheresse et à la désertification»

17/12/2023 mis à jour: 15:58
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Photo : D. R.

Dans cet entretien, Ibrahim Thiaw, secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), revient sur la lancinante problématique de lutte contre la désertification. Rencontré en marge des travaux de la COP28 à Dubaï, il estime que les questions liées à la sécheresse ne sont pas assez débattues lors des différentes conférences des parties des Nations unies pour le changement climatique. Selon lui, les pays affectés ont plus que jamais besoin aujourd’hui de mettre tous les moyens nécessaires pour une lutte efficace contre ce phénomène naturel. Des efforts sont à faire pour répondre aux besoins de 1,8 milliard de personnes souffrant de la sécheresse à travers le monde.

  • Après deux semaines d’âpres négociations, la dernière mouture du texte d’accord de la COP28 a été adoptée le 13 décembre. Comment évaluez-vous cet accord? A-t-il été à la hauteur de vos attentes ?

Il est primordial que les questions liées à la terre et à la sécheresse soient davantage prises en compte dans ce genre de discussions. Je souhaiterais que les pertes et dommages discutés au début de cette conférence concerneront toutes les conventions. Les questions relatives à la sécheresse et à la désertification n’étaient malheureusement pas assez débattues lors de cette conférence, alors qu’il n’y aucune frontière entre le climat et la sécheresse.

Les négociations se font souvent de manière sectorielle. J’espère que les différentes conférences des Nations unies continueront à travailler ensemble, puisqu’il s’agit des mêmes leaders et que les décisions globales soient traduites au niveau local et toucheront la communauté de base.

  • L’année 2024 marquera le 30e anniversaire de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification. Quel bilan en faites-vous ?

En 1992, les Etats membres ont mis en place trois conventions, dont la Convention de la désertification avec objectif principal d’arrêter la dégradation des terres à travers des mécanismes spéciaux, en particulier dans les zones arides et semi-arides. L’idée est surtout d’atténuer les impacts négatifs de la sécheresse sur les communautés et les écosystèmes.

Il s’agit d’une convention en trois parties : les populations, les écosystèmes et la planète. Jusque-là, il faut dire que beaucoup d’efforts ont été consentis, même si dans un premier temps, les programmes en question étaient appliqués localement. Chaque pays était en effet chargé de mettre en place son propre programme.

Au fil des années, nous nous sommes rendu compte que les écosystèmes sont sans frontières. Avec l’avancée scientifique et les différentes recherches, nous sommes aujourd’hui conscients de l’interconnexion entre le climat, la biodiversité, la désertification, l’immigration, la pauvreté, les conflits…Un phénomène très complexe. Nous nous sommes rendu compte aussi qu’il ne suffit pas de régler la désertification par les activités biophysiques (reboisement, par exemple), mais aussi trouver des mécanismes pour répondre aux besoins des populations pour les nourrir.  Plusieurs groupes de population deviennent de moins en moins productifs.

Etat des lieux : la fertilité des terres baisse et la demande de consommation est en hausse. Une disproportion des données est enregistrée. En matière de lutte contre la désertification, nous avons toujours du mal à atteindre le plateau. Notre extraction en ressources est compensée par la capacité des terres à se régénérer. Nous sommes toujours loin de cet équilibre.

  • Les données du rapport rendu public lors de la COP28 en disent long sur l’urgence de s’attaquer à ce problème. Le rapport préconise des actions immédiates...      

Beaucoup de phénomènes s’accélèrent avec de plus en plus de sécheresse. Les cycles ont changé. La sécheresse est de plus en plus fréquente, avec des périodes de répit trop courtes pour redonner vie aux zones et régions affectées.

L’intensité a changé et le nombre de personnes vulnérables a augmenté. Aujourd’hui, il existe 1,8 milliard de personnes affectées par la sécheresse dans le monde avec de plus en plus de pays qui déclarent la sécheresse. Les pays riches déclarent leur sécheresse, même si les conséquences ne sont pas les mêmes.

Les pays insulaires sont les plus vulnérables, où les capacités de réaction à ce phénomène restent faibles. Ces derniers sont non seulement sans réserves mais aussi incapables de mettre en place un système d’assurance pour garantir un équilibre. Nous avons plus besoin aujourd’hui de mettre les moyens pour lutter contre la désertification que par le passé.

  • Quels sont les mécanismes mis en place pour aider les populations et les pays les plus vulnérables ?

Tous les deux ans, nous nous réunissons pour mettre tous les pays ensemble pour leur faire comprendre que les solutions doivent être globales, car celles établies localement ne suffisent plus. Il faut plus de systèmes de solidarité pour faire face à un phénomène ravageur comme la sécheresse et à la désertification, qui pénalisent lourdement les populations.

Il est important de trouver un mécanisme de solidarité entre les pays qui permet de mettre en place des mesures multilatérales, neutres et durables, comme les fonds globaux, tel le Fonds mondial pour l’environnement, le Fonds pour le climat et aussi le Fonds de pertes et dommages qui vient d’être mis en place lors de cette COP.

  • Les mesures déjà prises sont-elles suffisantes pour faire face à des phénomènes qui s’accélèrent d’année en année ?

Cela ne suffit pas et nous sommes loin du compte. Nous sommes à notre début et les besoins sont de loin supérieurs aux offres disponibles. Le secteur privé est censé jouer un rôle important, notamment dans la lutte contre la dégradation des terres.

Nous devons, en effet, passer de l’extraction des ressources – qui est malheureusement la tendance dominante aujourd’hui – à la gestion intelligente des terres. Il faut  investir pour garder et préserver ces terres, ce qui est dans l’intérêt de tous les pays, et ce, compte tenu des risques climatiques, économiques et sociaux. Car jusqu’à quand les peuples déshérités vont patienter, avant qu’ils se révoltent et jusqu’à quand peut-on contenir l’immigration… ?

Le déplacement climatique est malheureusement là. Les gens migrent parce que leurs terres ne peuvent plus produire. Ils migrent à cause de la dégradation du milieu naturel. Le monde vit avec deux facteurs : quelques millimètres d’eau et quelques centimètres de sol. Des désastres naturels, humains et économiques sont enregistrés quand la sécheresse survient sur des terres dégradées. Des situations de famine sont ainsi déclarées.

  • Quels sont vos engagements pour la transformation de ces terres ?     

La richesse mondiale diminuera de 50% à cause de la dégradation des sols. La sécheresse touche en effet l’agriculture, l’élevage, l’écotourisme, la faune et toutes les ressources qui peuvent bâtir une économie. Si par contre nous pouvons restaurer ces milieux naturels, nous serons en mesure de récupérer ces pertes et nous construirons un équilibre prospère dans le temps.

Dans cet objectif, 2024 est une année de sursaut pour que nous puissions d’abord revenir littéralement sur terre. Car, nous sommes hors sol. Triste de constater que le monde a aujourd’hui des œillères qui l’empêchent de voir autour de lui. La production et la consommation au détriment de la nature. En parallèle, la nature n’arrête pas de nous envoyer des alertes, sous formes de désastres.

  • Vous vous engagez pour que l’année 2024 soit un tournant décisif en matière de lutte contre la désertification. Quelle est votre feuille de route ?

Nous sommes en traité et nous avons la capacité d’inviter tout le monde autour de la table, avec 197 pays. Ils se retrouvent tous les deux ans dans une COP. Nous préparons ainsi notre COP16 en 2024 qui se tiendra en Arabie Saoudite.

Elle sera une année décisive, celle du trentenaire de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, où le bilan sera établi et débattu. Il s’agit d’une Cop particulière pour nous. Nous espérons qu’elle sera l’année où seront prises les mesures nécessaires pour lutter contre la sécheresse et surtout sensibiliser les parties que cela n’affecte pas que des pays pauvres. L’idée est de créer un mécanisme de mobilisation de ressources financières et de faire en sorte qu’il y ait une réelle prise de conscience sur la question.

En 1994, la communauté mondiale a posé un jalon en ratifiant le seul traité juridiquement contraignant promouvant une bonne gestion des terres. La restauration des terres et des sols dégradés constitue le terrain le plus fertile pour prendre des mesures immédiates et concertées en faveur de la santé de notre planète. Il est temps de réaffirmer cet engagement mondial en libérant le potentiel des terres pour les générations actuelles et futures.

Bio express

De 2013 à 2018, Ibrahim Thiaw était directeur exécutif adjoint du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Il était en charge de l’élaboration d’une nouvelle vision stratégique de cette organisation, de sa stratégie de moyen terme et de son programme de travail, ainsi que dans le renforcement de la collaboration avec les gouvernements et les autres organes de gouvernance environnementale, y compris l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement.

Il entame sa carrière à l’ONU en 2007 comme directeur de la Division de la mise en œuvre des politiques environnementales au sein du PNUE.  Avant de rejoindre l’Organisation, il avait travaillé à l’Union internationale pour la conservation de la nature et des ressources naturelles (UICN) en tant que directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest, puis en tant que directeur général par intérim. Dans son pays d’origine, la Mauritanie, il a exercé pendant 10 ans des fonctions au ministère du Développement rural.  Il est titulaire d’un diplôme supérieur en techniques et gestion forestières.

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