Madame,
Avec mes sincères condoléances, je m’associe à votre chagrin. Je partage également votre douleur parce que je perds plus qu’un ami, un frère qui a lutté à nos côtés, en s’éloignant de sa communauté d’origine.
Pierre Colonna, l’étudiant en médecine actif, ne cachait pas ses sentiments anticolonialistes en soutenant notre combat au sein de l’Union générale des étudiants musulmans algériens. L’indépendance acquise, d’abord agrégé en dermatologie puis en hématologie, Pierre a formé avec le plus grand dévouement les jeunes médecins qui ont choisi de pratiquer une de ces spécialités.
Reconnaissants, ces derniers honoreront certainement le «Patron» qui les a encadrés jusqu’à son exil forcé en France pendant la triste période qui a endeuillé toute l’Algérie. Il a bien sûr cessé de venir à la bibliothèque universitaire qu’il fréquentait de façon assidue. Ces rencontres fréquentes nous ont rapprochés et c’est ainsi qu’à l’occasion d’une visite, il m’a trouvée souffrant d’une forte douleur intestinale suite à une amibiase contractée pendant ma détention.
Grâce à son intervention auprès d’un confrère gastro-entérologue, j’ai pu suivre un traitement sérieux. Il m’a ensuite prodigué des soins relevant de sa spécialité. Il a même suivi ma «sœur» de détention, Fatima Zekkal Bensmane, jusqu’à son décès. J’ai dû à mon tour quitter l’Algérie en catastrophe en octobre 1994, menacée par l’étudiant Mohamed Guesmia à qui l’on attribue l’assassinat du ministre de l’Enseignement supérieur Liabès, ainsi que celui du haut fonctionnaire directeur de la stratégie globale Boukhobza et le directeur de l’Ecole des beaux-arts, Ahmed Asla, et son fils. J’étais hélas la quatrième sur la liste parce que j’étais le prof qui enseignait le module que suivait ce sinistre étudiant islamiste.
Le hasard a voulu que je retrouve Pierre Colonna au service d’oncologie de l’hôpital Georges Pompidou, où j’étais suivie pour les suites d’un cancer. Pierre y a, je crois, terminé sa carrière médicale ! Me revoilà sollicitant Pierre, en avril 2024, parce que j’avais besoin d’un contrôle sérieux. Grâce à lui, j’ai pu obtenir un rendez-vous avec un de ses confrères qui m’avait suivi en 2010 à l’hôpital Pompidou. J’ai dû revenir à Paris pour une coloscopie et une fibroscopie que je ne pouvais pas faire sous anesthésie à Alger. De retour à Paris pour subir cet examen, j’appris l’hospitalisation de Pierre dont l’état de santé s’était très détérioré. Je ne l’ai pas revu, et son épouse m’affirme ce matin qu’il s’est éteint ! Paix à son âme. Il va rejoindre dans un monde meilleur d’autres grandes personnalités de la médecine qui ont servi l’Algérie.
Frantz Fanon, Mohamed Seghir Nekkache, qui nous a formés pour rejoindre le maquis, Pierre Chaulet, Jean Massebœuf, grand militant actif à Ténès ainsi que Jean Marie Larribère à Oran (j’ai été incarcérée avec ses filles Paulette, étudiante en médecine, enceinte, et sa sœur Aline). Enfin, la «grande» N’fissa Hamoud qui a précédé les confrères au maquis (ses jeunes confrères oublient qu’elle a exercé les fonctions de chef de service dans l’hôpital qui porte son nom).