La Journée d’étude consacrée par la direction de la culture de Boumerdès pour des lectures averties sur l’œuvre de Rachid Mimouni a mis en lumière sa dimension d’être un lieu du «Dire son pays : variation autour d’un artefact esthétique».
Le thème s’est voulu, selon Mme Bendou, directrice de la culture, une manière de contextualiser l’événement dans le cadre des manifestations commémorant le 5 Juillet, Fête de l’indépendance. Ainsi, le choix du thème recentre l’œuvre mimounienne dans son sens profond du regard d’un homme de lettres sur son pays.
Trois universitaires de l’institut des études pragmatiques de la faculté d’Alger II se sont relayés pour débusquer «la crise du personnage dans Tombéza» (Nawel Karim), «Non-lieu et sémiotique du vide dans La Ceinture de l’ogresse» (Youcef Imoun) et «Etude de la dimension symbolique de l’espace dans La Malédiction» (Lamia Kerah).
Devant un public non moins averti mais malheureusement réduit, l’honneur d’exprimer le souci majeur de Mimouni «d’écrire son pays» a échu à Mme Karim qui a qualifié cette écriture comme celle de «la dénonciation et du désenchantement».
Tombéza est un personnage qui raconte sa vie depuis son lit d’hôpital dans l’attente de la mort. Son récit est «l’expression de l’exploration mnémonique d’un renouveau identitaire à travers le décryptage des insondables tabous et des hypocrisies sociales». Le déferlement de la parole fait converger la petite histoire avec la grande.
Ce sont des moments de l’histoire algérienne qui sont suggérés par des pans de la narration sans masque du personnage principal. En fait, «Mimouni se révèle comme un éveilleur de conscience», conclue Mme Nawel Karim.
Pour le directeur de l’institut des études pragrammatiques, M. Imoun, le contexte historique dont a été imprégné la génération des auteurs comme R. Mimouni, offre une indication sur leurs influences intellectuelles, politiques et artistiques : «Le Mai 45 est la matrice qui a généré les premières formes de la littérature algérienne dans son genre romanesque. Mimouni est l’héritier d’une littérature de combat et d’éthique.»
Le but avoué est de faire «advenir une littérature algérienne esthétiquement reconnue dans le monde» où la modernité est un défi et où la sur-modernité se profile déjà. Les nouvelles dans La ceinture de l’ogresse apparaissent comme des mises en abymes à travers des récits denses et tragiques sur des personnages solitaires face à des non-lieux, «des espaces pour une identité à construire».
La floraison de personnages (Le manifestant, le jardinien, un évadé, le gardien de la gare, l’ingénieur, l’instituteur ou encore le saisonnier) se confond avec la multitude des lieux amnésiques ou dénués de sens (la rue, le jardin, la placette, la gare, la plage, la poste...). «Des espaces qui nourrissent la connaissance avec des enjeux politiques, économiques et culturels» perçus comme des non-lieux où la mobilité des personnages est sans attachement. «La mort des personnages symbolise, selon M. Imoun, l’échec des projets nationaux».
En fait, le non-espace, tout juste fonctionnel, vide les personnages de leur identité, de leur histoire, de leur vie. Dans l’Algérie contemporaine, de nouveaux espaces sont érigés à la place d’autres séculaires.
Les cités dortoirs ont effacé les quartiers populaires à la densité identitaire mémorielle. Mimouni fait acte post-mortem d’une vision profonde du développement de la société algérienne et de son devenir. «La déconstruction de l’espace en un non-lieu traduit une crise mémorielle», conclut le conférencier. L’espace dans La Malédiction est une tragédie algérienne dédiée par Mimouni à son ami Tahar Djaout assassiné par les intégristes, explique Mme Kerah Lamia. Trois lieux (Le Désert, L’hôpital et la Mosquée) apparaissent comme des espaces référentiels des émotions symboliques de drames et de souffrances. «Ce sont des tableaux qui dénoncent un contexte particulier, la tragédie algérienne des années 90» et que Mimouni revendiquait en tant que sa propre «voie d’engagement».
Le débat a été marqué par l’intérêt toujours vivace suscité par l’homme et son oeuvre. Au-delà des interprétations esthétiques, des lecteurs et des participants ont, surtout, fait part de la nécessité de «démocratiser» plus l’accès à cette œuvre à travers des traductions en arabe, l’enrichissement des bibliothèques ou la présence plus importante d’extraits dans des manuels scolaires.
Bref, la mise en place d’une politique de promotion du livre avec une primauté accordée à nos écrivains s’impose comme indispensable gage d’un devoir de mémoire que l’espace livresque peut contribuer à élever à l’universalité.