Hassan Remaoun. Sociologue, historien et chercheur : « Le 1er novembre a permis la renaissance de l’État algérien»

31/10/2024 mis à jour: 07:30
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«Le 1er novembre a été à l’origine de changements radicaux dans la société algérienne qui ont permis une libération pour les Algériens de leur marginalisation et pour reprendre la plateforme de la Soummam, ‘‘la renaissance de leur Etat’’.»

 C’est ce qu’affirme dans cet entretien, accordé à El Watan, Hassan Remaoun, sociologue, historien et professeur de l’enseignement supérieur à la retraite. Ce chercheur au sein du Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle d’Oran (CRASC) est l'auteur de nombreuses publications.
 

Entretien réalisé par Cherif Lahdiri
 


Quel regard portez-vous, en tant qu'historien sur le 1er Novembre 1954, et plus généralement quels enseignements tirez-vous de la lutte pour la décolonisation de l'Algérie entre 1830 et 1962 ?


Le 1er novembre, dit-on, parfois, aurait été «un événement improvisé sans préparation réelle». En quelque sorte, «un coup de tonnerre dans un ciel serein et porteur de violence dans un pays pacifié», diraient les chantres de la colonisation. Contrairement à ce que rapportait l’historiographie marquée de «NostAlgérie», la plus cruelle des violences s’est déployée dès le débarquement colonial en 1830 et les historiographes les plus crédibles en ont suffisamment décrit les multiples facettes sur lesquelles il n’est pas nécessaire de revenir ici. Cette violence est à situer dans le contexte spécifique à la colonisation de l’Algérie qui relèverait à la fois de la première colonisation européenne (du XVIe au début du XIXe siècle), caractérisée par l’extermination des populations locales et l’installation de nouveaux peuplements dominateurs à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, et marquée par l’exportation des capitaux et la spoliation des autochtones expropriés de leurs terres et de leurs richesses.  Le 1er Novembre 1954 est le résultat d’une longue maturation, dont seule l’histoire a le secret. Il constituait assurément un couronnement en s’appuyant à la fois sur des potentialités traditionnelles et modernes et une fusion dans le combat mobilisant à la fois villes et campagnes. Il est le marqueur important et la maturation du sentiment national au sens moderne du terme. Quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, et malgré les déboires que certains peuvent déceler ici et là, le 1er Novembre a été à l’origine de changements radicaux dans la société algérienne qui ont permis une libération pour les Algériens de leur marginalisation et servitude et pour reprendre la plateforme de la Soummam, «La renaissance de leur Etat».  

En Algérie, il n’y a pas suffisamment de livres d’histoire sur la lutte pour le recouvrement de l’indépendance, dont le 1er Novembre 1954. Y a-t-il des faits historiques inédits ou des aspects inexplorés autour de cet événement majeur que vous voulez relater ? 

Il s’agira tout d’abord de relativiser une pareille assertion, car le nombre de mémoires et de témoignages publiés sur la période 1954-1962, mais pas que, pourraient se compter, ces dernières années, par centaines et peut-être des milliers avec ce qui est écrit dans la presse écrite et les reportages réalisés par la télévision. Ce sont autant de matériaux pour les historiens qui, il est vrai, n’ont pas fait preuve d’autant de dynamisme bien que des ouvrages aient été publiés et qu’une littérature grise qui reste à estimer, sommeille dans les départements d’histoire des universités. Il reste évidemment une infinité de faits historiques inédits sur cette période et pas seulement, concernant le recensement et le descriptif des batailles et des comportements certainement héroïques. Les historiens de plusieurs pays se sont, par exemple, intéressés aux retentissements dans leurs pays de notre guerre de Libération nationale. Nous pourrions, par exemple, nous appuyer sur leurs travaux et les confronter à nos propres archives et aux témoignages de ceux qui sont encore vivants. On pourrait s’intéresser aussi de plus près au fonctionnement des structures du FLN/ALN, et à ceux des partis qui les ont précédés et qui n’ont pas été suffisamment étudiés. Cela dit, il y a un temps pour les historiens lorsqu'on songe, par exemple, que la Révolution française de 1789 a mis du temps avant d’être véritablement approchée par les historiens et qu’il lui a fallu près d’un siècle pour être introduite dans les programmes scolaires. Il faut ajouter à cela que le même événement peut être abordé plusieurs fois de manière différente et à des périodes différentes. Pour rêver avec Siegfried Giedion, «l’histoire est un miroir magique. Chaque génération y recherche sa propre image», en abordant notamment de nouveaux questionnements.                

Paris et Alger ont récemment amorcé un processus sur la mémoire liée à la période de la colonisation française de l’Algérie. Que doit faire la France pour apaiser le contentieux mémoriel entre les deux pays ?


Des discussions sont apparemment en cours. Je ne veux pas trop interférer sur le débat. Je peux rappeler cependant, qu’un certain nombre de questions ont avancé dans leur solutionnement, tandis que d’autres sont encore posées. Elles sont dans le domaine public et c’est le cas pour l’ouverture et la mise à la disposition des historiens des archives encore scellées pour des raisons que nous pouvons imaginer, notamment celles portant sur la torture et les disparus. La remise aux Algériens d’un certain nombre de reliques et de prises de guerre, le dédommagements des dégâts subis par les Algériens victimes des essais nucléaires et quelques autres ! Cela dit, après une colonisation aussi longue et aussi violente, le contentieux ne sera pas apaisé de si tôt. Pendant longtemps encore, et pour des raisons évidentes, l’Algérie sera un enjeu de politique intérieure française et la France un enjeu de politique intérieure algérienne. C’est du moins mon avis.  

L’Algérie a récupéré plus de 2 250 000 documents datant de l’époque coloniale française. L'Algérie exige de la France qu'elle lui restitue la totalité des archives la concernant. Qu’en pensez-vous ?


Le problème des archives concernant l’Algérie maintenues en France est assez épineux, ce qui a été surtout le cas jusque dans les années 1980. Il n’y a cependant pas que les archives concernant la guerre de Libération qui sont en cause, puisque ce fut le cas aussi pour les archives de gestion. C’est ainsi qu’il a fallu attendre longtemps pour que l’Algérie puisse récupérer les archives nécessaires pour les travaux menés à El Asnam (Chlef), suite au séisme qui l’avait frappée ou les plans d’enfouissement des mines aux frontières avec le Maroc et la Tunisie,  pendant la guerre de Libération et qui continuaient à faire beaucoup de victimes après l’indépendance. Ce à quoi il faudrait ajouter les archives de l’époque ottomane longtemps gardées par les Français. 

Cependant, depuis cette période (les années 1980), de nombreux progrès ont été faits. La question concernant les archives de souveraineté demeure cependant encore suspendue pour un certain nombre d’entre elles. L’Algérie est confortée dans son bon droit par le principe de l’Unesco qui stipule que les archives doivent être conservées là où elles auraient été produites. Cela dit, dans notre pays même, des progrès restent à faire, car l’accès aux archives semble assez difficile malgré la législation en vigueur, et des historiens nationaux se sont plaints de cette situation. Espérons que la commission mixte franco-algérienne installée, ces dernières années, puisse aider au solutionnement de ces questions et faire avancer au mieux la coopération entre les historiens concernés dans les deux pays.          
 

L'histoire joue un rôle crucial dans le développement d'une nation en fournissant un cadre permettant de forger l’identité, les valeurs et de transmettre des leçons du passé. Qu’en pensez-vous ? 

 

En effet, le rôle crucial de l’histoire, comme vous le disiez, est confronté à une tâche redoutable portant en elle sa propre contradiction. Dans son élaboration comme dans sa dissémination pédagogique, elle aurait une double fonction. La première de type mémorielle permettant l’identification de différentes générations et leur continuité, et il s’agit ici de l’histoire nationale imaginée comme ferment idéologique avec l’émergence, ces derniers siècles ou même des décennies, des Etats nationaux qui se légitiment comme héritiers d’une continuité et une linéarité s’enfonçant le plus loin possible dans le passé. La seconde dimension sous sa forme plus académisée et traditionnellement arc-boutée sur la pensée critique pour déceler et éclaircir ce qui a vraiment eu lieu dans le passé en tentant des investigations portant aussi bien sur les phases de continuité que celles de rupture avec forcément des zones d’ombre qui ne cadrent pas toujours avec le fait que la mémoire est censée mettre en valeur. 

Dans ses dimensions mémorielles, le rapport au passé constitue un processus universel que l’on retrouve dans toutes les sociétés humaines. La dimension critique n’a pas toujours existé, en supposant des conditions particulières que seuls certains contextes socio-historiques peuvent remplir. Ce n’est donc pas par hasard que ceci ait pu être le cas dans certaines cités grecques de l’antiquité classique (entre le IVe et le  VIe siècles avant JC) et pas seulement pour l’histoire comme discipline, mais aussi pour la philosophie et la démocratie, fut-elle de type esclavagiste. Ces deux façades de l’usage du passé sont à la fois contradictoires et complémentaires dans leur appréhension par les sociétés humaines. 

Dans son aspect mémoriel, l’histoire contribue au patriotisme qui est si utile pour la cohésion sociale en faisant cependant attention aux risques de dérives ethnicistes et même racistes. Dans son aspect critique, l’histoire cible l’universalité des sociétés humaines et une recherche de la rationalité dans l’explication de leurs évolutions respectives, en les confortant de pratiques de culture citoyenne avec une ouverture sur les principes de paix et de solidarité entre les peuples. Ici aussi, il faudra aussi contrer les déformations menant au positivisme et à l’élitisme, prônés par les technocraties et les catégories sociales dominantes.  

 

Quelles réformes préconisez-vous pour améliorer la qualité de l'enseignement de notre histoire nationale en Algérie tant en matière de contenus, que dans la refonte des approches pédagogiques en intégrant des dynamiques scientifiques, ou encore sur l’aspect de la formation des enseignants en histoire ?


Pour un enseignement efficient de l’histoire, il s’agira de prendre en charge ces deux dimensions de l’image du passé en les dispensant selon des normes, ce qui suppose la volonté politique tout en étant accompagné d’un discernement, selon l’âge des élèves et le niveau scolaire requis qui relèverait en premier lieu de la compétence des pédagogues formés à cette tâche. Cela dit et selon les âges concernés, une visite de musées et de bibliothèques, une pièce de théâtre ou la lecture peuvent avoir plus d'impact que des dizaines de cours rabâchés en classe. 
   

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