Hacene Menouar. «Il faut assurer un meilleur contrôle du circuit de distribution»

08/02/2022 mis à jour: 02:36
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Président de l’association El Aman pour la protection du consommateur / Photo : D. R.
  • La crise économique et la chute du pouvoir d’achat ont entraîné inévitablement un déclassement social. Quelle est votre analyse sur ce sujet ?

La crise économique et la chute du pouvoir d’achat sont très perceptibles. Evidemment, quand il y a un problème avec le pouvoir d’achat, il y a automatiquement un décalage qui se crée entre les classes sociales. On est en train de voir qu’il y avait une classe dite moyenne qui se retrouve un cran en dessous de celle dite moyenne, qu’on pourrait qualifier de classe de nécessiteux.

Et il y a une classe qui s’est créée qui profite de la situation pour s’enrichir, parce que le pouvoir d’achat ne s’est pas dégradé juste parce que les matières premières ont vu leurs prix augmenter sur le marché mondial ou bien parce que la logistique des transports maritimes a augmenté ou parce que le dinar s’est dégradé par rapport à l’euro et au dollar. 

Il y a une catégorie de personnes qui continuent à gagner de l’argent sur le dos de l’économie nationale et des intérêts du consommateur, et c’est une catégorie qui devient de plus en plus riche.

Il n’y a qu’à voir le nombre de véhicules neufs importés, sachant que les importations sont interdites, ce sont des personnes qui paient la douane et ce sont des voitures de luxe, de gros véhicules de type 4x4, essence, grosses cylindrées et il y a des gens qui sont en train de profiter pour investir dans l’immobilier. Quand il y a dégradation d’une classe sociale qui devient une classe de nécessiteux systématiquement, il y a une autre classe qui profite pour devenir plus riche.

  • Selon vos observations, on est passé d’une classe moyenne à une classe de nécessiteux...

Exact. Aussi, le retrait du soutien de l’Etat qu’on nous annonce va laisser tomber cette classe qui a été soutenue pour qu’elle devienne une classe de pauvres, de nécessiteux au lieu d’être une classe moyenne. Par exemple, un cadre de l’Etat, qui travaille dans une administration, ou un enseignant même à l’université se trouvent aujourd’hui dans une classe où ils n’arrivent plus à joindre les deux bouts, parce que la vie devient de plus en plus chère et les dépenses sont nombreuses.

Les chapitres de dépenses sont diversifiés. On dépense beaucoup plus qu’avant, pas uniquement pour l’alimentation ou l’habillement, mais on dépense selon les tendances actuelles pour les appareils multimédias (smartphones, tablettes, laptops), l’électroménager... Avant on avait juste un réfrigérateur et une cuisinière, de nos jours, on a beaucoup d’autres articles électroménagers qui deviennent nécessaires.

On dépense aussi pour la voiture, parce qu’il faut être clair à ce sujet, faute de transport en commun, les Algériens sont obligés d’avoir un véhicule pour toute personne active, même les étudiants sont appelés, dans certains cas, à avoir un véhicule. Lorsqu’on voyageait avant, on allait passer des vacances pas très loin, chez la famille, dans la montagne et la campagne ; aujourd’hui, chaque année, les Algériens veulent voyager en été, partir à l’étranger ou à la mer et en hiver, ils aiment bien aller au Sud. Il y a beaucoup de dépenses nouvelles et c’est normal, on évolue avec la mondialisation et l’essor des multimédias. La génération actuelle de jeunes est hyper branchée.

  • Vous voulez dire que des différences persistent entre ces différentes catégories, notamment en termes de logement, de transport ou de loisirs.

L’électricité provoque de grosses dépenses, car l’Algérien utilise beaucoup d’articles électroménagers à la maison. Il y a aussi la climatisation l’été et le chauffage l’hiver, c’est pourquoi on n’y arrive pas. En plus, les Algériens vivent en familles éclatées, autrefois, les familles s’entraidaient, il y avait de la solidarité, tout le monde vivait ensemble, 3 ou 4 personnes travaillaient dans la même famille. Maintenant, tout le monde a son logement en général.

  • Quelles devraient être les priorités du gouvernement pour un réel décollage économique ?

Le gouvernement doit tracer une stratégie pour libérer les initiatives et laisser les gens investir, créer une concurrence positive et loyale qui mettra beaucoup de produits et de services à la disposition du consommateur et c’est ce qui va faire tourner l’économie et équilibrer l’offre et la demande et avoir des prix justes.

Pour cela, il faudrait que l’Etat reprenne son rôle régulateur en instaurant des lois et les faire appliquer sur le terrain, recenser les besoins de chaque catégorie pour chaque produit pour chaque période et élaborer des cartes de production agricole et industrielle pour faire face à la demande et assurer un équilibre pour que les prix soient stables.

Revoir la politique de subvention, elle bloque l’investissement, cause beaucoup de gaspillages et de perte pour l’Etat. Elle ne va pas aux nécessiteux seulement, mais va beaucoup plus à des personnes qui ne devraient pas être concernées. Avoir le courage d’aller vers une révision globale de ce système. Il faudra recenser les nécessiteux selon leur capacité financière, leurs revenus et les bancariser pour percevoir cette subvention. C’est aux experts de calculer ces besoins.

L’Etat doit réaliser des infrastructures, on manque beaucoup d’infrastructures commerciales et de distribution, par exemple les plateformes stratégiques, les marchés régionaux et de gros. Il va assurer un meilleur contrôle et la maîtrise de la distribution, on va éliminer beaucoup d’intermédiaires illicites et le marché deviendra plus ou moins officiel. On maîtrisera les prix et la sécurité sanitaire des aliments, mais aussi augmenter les recettes fiscales.

Dans le cadre de la relance économique, il faudrait une transparence dans toutes les actions politiques. Il faudrait aller vers la prospective, des études, qu’on arrête toutes ces décisions aléatoires, décisions-surprises et non réfléchies. Il faut arrêter des stratégies et agir par étape et parfois très vite. 

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