Ce nouvel appel de l’ONU intervient après qu’une tentative d’évacuation ait échoué samedi, les Ukrainiens tenant les Russes pour responsables de l’échec. Bien que la journée d’hier marquait un jour de fête pour la Pâque orthodoxe, il n’y avait pas de trêve en vue sur les différentes lignes de front dans l’est et le sud du pays.
L’ONU a appelé hier à une trêve «immédiate» à Marioupol, pour permettre l’évacuation de quelque 100 000 civils encore coincés dans ce port ukrainien presque entièrement contrôlé par l’armée russe. «Il faut une pause dans les combats tout de suite pour sauver des vies. Plus nous attendons, plus les vies seront menacées. Ils doivent être autorisés à évacuer maintenant, aujourd’hui. Demain ce sera trop tard», a affirmé le coordinateur de l’ONU en Ukraine, Amin Awad, dans un communiqué.
Kiev avait indiqué plus tôt hier que les forces russes continuaient à bombarder l’immense complexe métallurgique Azovstal, ultime poche de résistance des combattants ukrainiens où se sont réfugiés des civils. «L’ennemi russe continue de faire feu et de bloquer nos unités à Azovstal, notamment avec des frappes aériennes», a déclaré l’état-major ukrainien dans un communiqué.
Relayant les appels à une trêve du président, Volodymyr Zelensky, le conseiller de la Présidence, Mikhaïlo Podoliak, a lui aussi appelé sur Twitter à mettre en place une «véritable trêve à Marioupol pour la Pâques (orthodoxe)» et «un corridor humanitaire pour les civils». Il a à nouveau proposé une «session spéciale de négociations pour prendre ou échanger (leurs) soldats». Proposition ignorée par Moscou jusqu’ici.
Ce nouvel appel de l’ONU intervient après qu’une tentative d’évacuation ait échoué samedi, les Ukrainiens tenant les Russes pour responsables de l’échec. Bien que la journée d’hier marquait un jour de fête pour la Pâques orthodoxe, il n’y avait pas de trêve en vue sur les différentes lignes de front dans l’est et le sud du pays. Kharkiv, deuxième ville d’Ukraine, est toujours «partiellement bloquée» par les Russes, qui continuent de la bombarder, selon l’état-major ukrainien.
L’armée russe a de son côté indiqué hier avoir mené des frappes de missiles contre neuf cibles militaires ukrainiennes, dont quatre dépôts de munitions au sud de la région de Kharkiv. Moscou a aussi dit avoir mené des frappes aériennes contre 26 cibles, et 423 frappes d’artillerie, sans préciser de lieux.
Dans le bassin du Donbass, formé des régions de Donetsk et de Lougansk, les troupes russes ont «intensifié leurs offensives» dans trois directions, selon l’état-major ukrainien : Severodonetsk, capitale de facto de la région de Lougansk sous contrôle ukrainien, Popasna, à une cinquantaine de kilomètres plus au sud, et Kourakhikva, proche de Donetsk.
A Koroviy Iar, localité du nord du Donbass où les Russes ont pris position depuis samedi, des combats se déroulaient à l’entrée du village, ont constaté des journalistes de l’AFP, qui ont vu des chars et des blindés ukrainiens renforcer la contre-offensive et couvrir une tentative d’évacuation de 30 civils.
Sur le front sud, dans la zone entre les régions de Kherson, en grande partie sous contrôle russe, et de Mykolaïv, l’armée ukrainienne n’a pas fait part de changements notables. La veille, Kiev avait fait état d’une poussée des forces russes dans le nord de la région de Zaporojjia, dont ils tiennent la partie sud bordant la mer d’Azov.
Deux mois de guerre riches d’enseignements militaires
Offensive initiale sur de multiples fronts sans conquête de la supériorité aérienne, colonnes de blindés sans appui, manque de coordination, résistance ukrainienne sous-estimée : l’entrée en guerre ratée des Russes en Ukraine il y a deux mois, fondée sur des erreurs d’appréciation majeures, a stupéfait les états-majors occidentaux.
De l’avis unanime des experts, l’objectif originel du président russe, Vladimir Poutine, était de décapiter rapidement le pouvoir ukrainien à l’aide d’une opération-éclair. Mais les moyens mis en œuvre n’étaient pas calibrés pour affronter une forte résistance, qui n’avait pas été anticipée par les services de renseignement. «Les dirigeants politiques russes ont imposé au commandement militaire un scénario absolument absurde selon lequel tout devait se passer comme pendant l’annexion (russe) de la Crimée en 2014», souligne l’expert militaire russe Alexandre Khramtchikhine.
«On prétendait que les militaires russes seraient accueillis comme des libérateurs dans toute l’Ukraine, sauf dans les territoires de l’Ouest. Il est évident que le commandement militaire russe n’était pas prêt à une telle résistance de la part des Ukrainiens. Les Russes ont complètement sous-estimé le rapport de force», renchérit Vincent Tourret, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
«La seule partie de l’opération qui a été pensée comme une opération de guerre était le raid sur l’aéroport d’Hostomel et la tentative de décapitation du pouvoir ukrainien. Les autres troupes russes sont entrées dans le pays comme si elles allaient en prendre possession, avec un nombre trop élevé d’objectifs qui les a complètement dispersées sur l’étendue du territoire.»
Le 24 février, l’offensive russe est lancée sur trois fronts simultanés, diluant les 150 000 soldats russes sur plusieurs axes de progression : au nord vers la capitale Kiev, à l’est et dans le sud.
Maîtrise du ciel, le b.a.-ba
Mais les forces russes se déploient au sol sans que Moscou ait obtenu au préalable la maîtrise du ciel, en dépit des 500 aéronefs mobilisés. Une erreur majeure, selon tous les spécialistes.
«La conquête de la supériorité aérienne est le b.a.-ba qui conditionne tout le reste dans un conflit moderne. Ils auraient dû terrasser la chasse ukrainienne, les radars, les systèmes sol-air, les pistes d’atterrissage», s’étonne un pilote français sous le couvert de l’anonymat. Sur le terrain, la manœuvre terrestre est confuse, révélant les défaillances de la chaîne de commandement et des lacunes d’entraînement.
Des unités d’élite sont parachutées sur l’aéroport de Hostomel, près de Kiev, sans appui aérien, tandis que de longues colonnes de blindés russes avancent parfois sans couverture, vulnérables aux frappes ukrainiennes lancées depuis le sol ou dans les airs, à l’aide de drones tactiques turcs Bayraktar.
En deux mois, les Russes ont perdu plus de 500 chars et plus de 300 véhicules blindés, selon le blog spécialisé Oryx, qui recense les pertes matérielles en Ukraine sur la base de photos ou vidéos recueillies sur le champ de bataille.
«Cela ne signifie pas la fin de l’ère des chars», fait valoir William Alberque, expert militaire à l’Institut international d’études stratégiques (IISS) de Londres. «Mais les véhicules blindés fonctionnent bien lorsqu’ils sont combinés avec de l’artillerie, de l’infanterie et de l’appui aérien», ce qui a fait défaut dans la première phase de la guerre en Ukraine.
«Bataille des routes»
La chaîne logistique a du mal à suivre. Les nombreuses frappes russes, elles, manquent de précision : selon Washington, seules 50% des frappes de missiles de croisière atteignent la cible visée.
A l’inverse, «les Ukrainiens se sont remarquablement préparés. Ils ont monté une véritable opération de diversion» en ne cherchant pas à défendre leurs frontières, à portée des tirs d’artillerie, diluant à la place leurs moyens sol-air et leur aviation sur le territoire, et se regroupant dans les villes pour compliquer l’offensive russe, fait valoir une source militaire européenne.
Au bout d’un mois, après avoir échoué à encercler et faire tomber Kiev, Moscou décide de changer de stratégie et de se focaliser sur la conquête de la région du Donbass, située à l’est et frontalière de la Russie.
Depuis, «nous assistons à une certaine consolidation» des efforts militaires russes, avec «un commandement unifié et un objectif plus cohérent», constate William Alberque, de l’IISS, qui prédit toutefois une âpre bataille sur un terrain difficile parsemé de cours d’eau et de forêts. «Les Ukrainiens ont l’avantage sur ce terrain. Ils vont mener une bataille des routes pour compliquer la manœuvre et l’approvisionnement russes», commente un haut gradé français, tout en notant que Kiev fait désormais face à des lignes d’approvisionnement très étirées, alors que les armes fournies par les Etats-Unis et l’Europe viennent de l’ouest.
Le nombre de réfugiés approche de la barre des 5,2 millions
Un peu plus de 23 000 réfugiés ukrainiens ont fui ces dernières 24 heures leur pays pris d’assaut par les troupes russes depuis deux mois jour pour jour, et leur nombre approche les 5,2 millions, selon les chiffres partiellement actualisés du Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés, publiés hier.
Selon le HCR, 5 186 744 Ukrainiens ont quitté leur pays depuis le début de l’invasion russe le 24 février, soit 23 058 de plus que le chiffre publié samedi. «Aujourd’hui, nous pensons à tous ceux qui célèbrent la Pâques orthodoxe. Pour les gens en Ukraine et ceux forcés de fuir le pays, ce sera une nouvelle journée de peur, d’angoisse, de perte et de séparations des êtres chers, alors que la guerre se poursuit sans répit. Que la force et le courage soient avec eux», a tweeté hier Filippo Grandi, le haut commissaire de l’ONU chargé des réfugiés.
Depuis le début avril, ce sont un peu plus de 1 151 000 Ukrainiens qui ont fui, bien moins que les 3,4 millions qui avaient choisi l’exode au seul mois de mars. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM), également rattachée à l’ONU, a indiqué que plus de 218 000 non-Ukrainiens, essentiellement des étudiants et des travailleurs migrants, avaient aussi quitté l’Ukraine pour les pays voisins, ce qui signifie que plus de 5,25 millions de personnes au total ont fui le pays depuis le début de la guerre.
Les femmes et les enfants représentent 90% de ces réfugiés, les hommes de 18 à 60 ans, susceptibles d’être mobilisés, n’ayant pas le droit de partir. Près des deux tiers des enfants ukrainiens ont dû fuir leur foyer, y compris ceux se trouvant toujours dans le pays.
Plus de 7,7 millions de personnes ont quitté leur foyer, mais se trouvent toujours en Ukraine, selon l’OIM. Avant l’invasion russe, l’Ukraine comptait une population de 37 millions de personnes dans les régions sous le contrôle de son gouvernement. Ce chiffre exclut la Crimée (sud), annexée en 2014 par la Russie, et les régions de l’Est contrôlées par des séparatistes prorusses. A. Z.