Guerre en Ukraine : Anglo-Saxons et Européens de l’Ouest de plus en plus divergents sur le soutien à Kiev

14/05/2022 mis à jour: 19:11
AFP
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Washington et Londres sont aussi plus allants que Paris et Berlin sur les sanctions contre Moscou

Les positions occidentales de soutien à l’Ukraine divergent de plus en plus entre les Anglo-Saxons et les Européens de l’Ouest, les premiers poursuivant un objectif stratégique d’affaiblissement de la Russie dont les conséquences potentielles inquiètent les seconds.

Joe Biden et Emmanuel Macron résument à eux deux cette discordance. Le président américain a déclaré, le 26 mars, que Vladimir Poutine «ne peut pas rester au pouvoir», tandis que le Français a dit le 9 mai que la paix ne se ferait pas dans «l’humiliation» de la Russie. 

Au-delà des mots, Etats-Unis et Royaume-Uni abreuvent d’armes l’Ukraine beaucoup plus massivement que le font la France ou l’Allemagne. Des informations de presse jamais confirmées mais récurrentes affirment que les services de renseignement américains aident très activement l’Ukraine. Washington et Londres sont aussi plus allants que Paris et Berlin sur les sanctions contre Moscou, et ne semblent plus du tout croire à une solution diplomatique au conflit que continuent d’espérer les Européens. «Le monde anglophone sauve l’Ukraine, tandis que l’UE se sauve elle-même», assène le chercheur irlandais Eoin Drea du centre de réflexion bruxellois Martens Centre. 

«L’UE continue de biaiser», critique-t-il dans une tribune publiée dans le média américain Politico. Washington met pour sa part des dizaines de milliards de dollars pour fournir des armes. «Le soutien américain à l’Ukraine est en train de changer de dimension, et quand on dépense autant d’argent, c’est pour avoir un retour sur investissement», estime Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis et aux Nations unies.

«Effet d’aubaine»

Même si le gouvernement américain a assuré ne pas vouloir de «changement de régime» après la déclaration de Joe Biden, Washington veut voir la Russie durablement «affaiblie», comme l’a dit le ministre de la Défense Lloyd Austin. Pour Washington, dont la priorité stratégique de long terme reste la confrontation avec la Chine, «c’est un effet d’aubaine, ils sont en train d’affaiblir la puissance russe sans un soldat américain !» estime pour l’AFP M. Araud. «Les Ukrainiens se battant si bien, les Russes si mal, les Etats-Unis sont en train de se dire que c’est l’occasion de les affaiblir, et si (Vladimir) Poutine tombe, ce n’est pas plus mal», analyse-t-il. 

De leur côté, «les Britanniques sont les poissons-pilotes des Américains, depuis le Brexit, ils n’ont plus d’autre politique possible». Côté européen, «il y a des fissures», reconnaît l’ancien diplomate italien Marco Carnelos, entre des pays de l’Est évidemment très hostiles à la Russie pour des raisons historiques, et des Européens de l’Ouest qui soutiennent l’Ukraine agressée, mais sont plus modérés et beaucoup plus exposés aux conséquences de la guerre que Washington. 

«Asymétrie»

«La question est : quel prix sont prêts à payer les Européens pour un éventuel changement de régime à Moscou ?» résume M. Carnelos pour l’AFP. Au-delà du danger d’une escalade militaire, «le prix économique pour arriver à l’objectif américain pourrait être astronomique». «Du point de vue économique, il y a une vraie asymétrie» entre l’exposition des Anglo-Saxons et celle des Européens, Allemands en tête, explique Sébastien Jean, professeur d’économie industrielle au Conservatoire national des arts et métiers. «Etats-Unis, comme Royaume-Uni dans une moindre mesure, sont des producteurs d’énergie significatifs, leur dépendance aux importations est plus limitée», rappelle-t-il à l’AFP.  

De même, les perturbations de la guerre pèsent «principalement sur les matières premières brutes ou transformées, y compris des intrants importants pour l’industrie», comme le palladium, la potasse, le néo, le nickel, etc. Or, «l’industrie allemande, très puissante mais très énergivore, est très exposée à ce choc. C’est moins le cas pour le Royaume-Uni par exemple, car son industrie est moins puissante», ou les Etats-Unis qui sont plus loin et peuvent avoir d’autres canaux d’approvisionnement, analyse-t-il. 

«Cela fait voir les choses très différemment», entre le camp des pays riches d’Europe de l’Ouest et le camp des Américains et Britanniques, associés aux pays d’Europe de l’Est. L’Europe risque-t-elle une fois de plus de se retrouver déchirée ? «Le soutien verbal pan-européen de l’Ukraine cache de grandes différences du soutien matériel, allant de la grande générosité de la Pologne (...) aux livraisons très lentes et faibles de l’Allemagne, et l’Italie au milieu», résume l’historien militaire américain Edward Luttwak sur Twitter. Malgré «ces tensions qui montent en gamme à cause du durcissement américain, cela n’a pas empêché l’UE de prendre des décisions unies jusqu’à maintenant», relève M. Araud.

Pour Erdogan, l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Otan serait «une erreur» 

L’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Otan serait une «erreur», comme celle que fut l’adhésion de la Grèce au Traité de l’Alliance atlantique, a jugé hier le président turc Recep Tayyip Erdogan. Le chef de l’Etat a expliqué devant la presse qu’il ne «veut pas voir se répéter la même erreur que celle commise lors de l’adhésion de la Grèce», accusant Stochkholm et Helsinki «d’héberger des terroristes du PKK», le Parti des Travailleurs du Kurdistan. «Nous n’avons pas un avis positif», a-t-insisté. «Nous suivons actuellement les développements concernant la Suède et la Finlande, mais nous n’avons pas un avis positif, parce qu’ils ont fait une erreur à l’OTAN concernant la Grèce auparavant, contre la Turquie», a déclaré le chef de l’Etat à la sortie de la prière du vendredi à Istanbul. «De plus, les pays scandinaves, malheureusement, sont presque comme des maisons d’hôtes pour les organisations terroristes», a-t-il ajouté citant le PKK, classé comme organisation terroriste par la Turquie mais aussi l’Union européenne et les Etats-Unis. La réaction de la Turquie est la première voix dissonante au sein de l’Otan sur la perspective d’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Alliance atlantique. 

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