Faire de la kachabia et du burnous des produits à forte valeur ajoutée est le pari que les Messaadis ont décidé de faire en misant sur la labellisation du savoir-faire ancestral des artisans de Messaad.
Le premier pas vers cette démarche de reconnaissance et de réappropriation de l'outil de fabrication de la kachabia et du burnous à base de poils de dromadaire s’est traduit par une rencontre organisée dans cette commune de la wilaya de Djelfa et à laquelle ont pris part des experts, des artisans et différents membres de la société civile.
L’initiative a été l’œuvre de l’association Tamkeen, bénéficiaire d’un financement et appui du programme Capdel et qui a été retenue pour lancer une initiative stratégique de développement économique local susceptible d’être porteuse d’une dynamique de développement sur le territoire de Messaad, en s’articulant autour du tissage traditionnel.
La rencontre en question s’est voulue une occasion pour mobiliser les acteurs du territoire activant dans cette filière sur l’importance de faire du travail de la kachabia et du burnous une marque ou un label local afin de les préserver mais aussi d'en faire un produit commercialisé dans des normes et standards pour bénéficier en premier chef aux artisans ainsi qu’à la commune.
L’idée est de parvenir à dessiner une feuille de route dont la finalité est d’arriver à une reconnaissance de ce patrimoine immatériel par l’Unesco. Avant cette grande consécration, il est d’abord exigé une labellisation, un estampillage et une indication géographique par les instances nationales habilitées.
Au niveau de la direction nationale de l’artisanat, des critères de qualité ont été élaborés pour la labellisation des produits de la céramique d’art, la poterie traditionnelle, le tapis et les cuirs. «Il s’agit de la première étape d’une série de programmes de labellisation généralisés à tous les produits artisanaux traditionnels, afin d’arriver à garantir une marque ou un label exigé par le marché de l’offre et de la demande d’une part, et d’autre part arriver à protéger l’artisan, le consommateur et le métier», explique Faïza Barchiche, directrice de l’Agence nationale de l’artisanat traditionnel.
Et d’ajouter que pour arriver à la labellisation de la kachabia et du burnous ouabri, il est impératif que tous les acteurs concernés par ce métier s’impliquent et défendent ce projet. «Le secteur de l’artisanat, avec la collaboration de l’Ianor, recense des cahiers des charges pour la promotion et la certification de produits artisanaux. Nous comptons également une collaboration avec l’Union européenne dans le cadre du programme P3A, qui a abouti, au bout de deux années, à l’élaboration des cahiers des charges destinés à l’identification de marque ou label pour les produits de l’artisanat traditionnel algérien comme ''produit de région'' et ou le label ''produit de l’artisanat algérien''.
Ces cahiers des charges visent à préserver et promouvoir l’artisanat traditionnel ainsi qu’à la participation à l’élaboration de critères ou normes techniques nécessaires à l’identification de la qualité et de la crédibilité du produit. Cette étape vise également à offrir des espaces de vente aux produits artisanaux sur le marché national et international», explique Mme Barchiche.
( Messaad, dans la wilaya de Djelfa, mise sur le savoir-faire ancestral de la fabrication de la kachabia et du burnous)
Appel à la mobilisation de tous les acteurs de la filière
Le directeur de la Chambre de l’artisanat et des métiers de la wilaya de Djelfa a tenu à souligner, pour sa part, qu’il est important que l’artisan veille à la fiabilité de la matière première. «Ce qui importe le plus, c’est la préservation de cette matière première et sa qualité, il s’agit de la marque de fabrique de Messaad. Qu’importe ce qu’on fait avec l’étoffe, ce qui compte c’est qu’elle soit à 100% authentique et naturelle, c’est-à-dire à base de poils de dromadaire algérien ou de laine de qualité», estime Hamrit Rabie. Il est utile de souligner que l’importation de la matière première a fortement impacté la qualité de la fabrication locale. «La matière qui est importée d’Irak ou de Chine est déjà prête à l’emploi, résultat : nous avons des kachabia ou burnous perméables à la pluie au lieu de l’imperméabilité du ouabri traditionnel algérien», indique Mohamed Kanoune, chercheur à l’INRA, qui plaide pour la hausse des prix de la taxe sur cette matière importée et non contrôlée afin d’inciter les artisans à travailler le poil local. «Le prix du kilogramme de poils du jeune dromadaire aiguiga est de 15 000 DA, alors que la matière importée est bien plus accessible et surtout traitée au préalable, ceci incite souvent les artisans à travailler avec de la matière importée, ce qui porte atteinte à la qualité locale», souligne le chercheur en appelant les artisans à s’organiser. Ceci et d’ajouter que le cheptel local sort des frontières algériennes, ce qui diminue de plus en plus la disponibilité de la matière première locale.
Le vieillissement des artisanes et le manque d’intérêt des jeunes générations pour le métier de tissage menacent fortement la filière. «Il faut attirer les jeunes en leur offrant des projets et programmes d’initiation au métier du tissage», estime Amel Kanoune, chercheuse à l’INRA. Le débat a permis de mettre également en lumière une autre problématique liée à la commercialisation de ce produit, dont le prix peut dépasser les 200 000 DA alors que les artisans n’en perçoivent qu’une part dérisoire.
Les artisans sont à la merci des commerçants, qui profitent de leur condition de travailleurs dans l’informel pour tirer le maximum de profits et ne leur donner en retour qu’une modique rétribution.
Pour échapper à ce diktat, «les femmes artisanes doivent adhérer aux Chambres de l’artisanat et s’organiser pour sortir de l’informel», souligne Mme Barchiche. Il s’agira également d’intégrer un cadre légal leur permettant une prise en charge médicale, d’autant que le nettoyage, le traitement et le tissage de la matière première leur provoquent des soucis de santé. «Si nous voulons que nos traditions soient préservées, protégées et non spoliées, il est impératif que les propriétaires du savoir-faire local fassent les démarches nécessaires en faveur de la labellisation», estime Zahia Benadbdellah, maître de recherche au CNRPH.
Les travaux de la rencontre de Messaad autour de la kachabia et du burnous comme vecteur de développement pour la région ont abouti, entre autres recommandations, à réunir toutes les parties prenantes pour faire aboutir le projet de labellisation et faire non seulement la fierté de Messaad mais également celle de l’Algérie.