Fuocoammare de Gianfranco Rosi, sur les migrants, projeté à Alger : Les enfants de la mer «morte… vivante»

26/02/2022 mis à jour: 05:12
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Photo : D. R.

Fuocoammare du cinéaste italien Gianfranco Rosi est un documentaire poignant et puissant. L’évidence : il avait décroché l’Ours d’or de la Berlinale 2016. Il portait sur le drame des migrants, des réfugiés. Il a été projeté, jeudi soir, au Théâtre de l’ambassade d’Italie, à Alger. 

La projection du documentaire Fuocoammare du réalisateur Gianfranco Rosi a été organisée par le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés en Algérie avec la collaboration de l’Institut italien à Alger ainsi que d’autres missions diplomatiques, et ce, dans le cadre de la thématique portant sur des réfugiés autour du monde. 

Afin de sensibiliser sur la problématique des réfugiés et rapprocher la réalité des réfugiés au grand public, à travers le cinéma et la fiction. «L’idée d’une série de films sur les réfugiés a été lancée à l’issue d’une discussion dans la bibliothèque de l’Institut italien. Puis il prit forme. 

Le but était d’attirer l’attention, à travers le cinéma, d’un large public sur les migrants, surtout avec les fake news, le thème est délicat…» présentera la directrice de l’Institut italien à Alger.

 Lors de la remise de l’Ours d’or, le réalisateur Gianfranco Rosi avait déclaré dans son discours que son intention était de sensibiliser sur la situation des migrants : «Il n’est pas acceptable que les gens meurent en traversant la mer pour échapper aux tragédies…Je crois que ce film est le témoignage d’une tragédie qui se déroule sous nos yeux…Je pense que nous sommes tous responsables de cette tragédie... Nous sommes complices si nous ne faisons rien.»

Sans voix off ni commentaire

Fuocoammare (en sicilien, titre d’une chanson traditionnelle : «Feu à la mer»), sous-titré par-delà Lampedusa, est un film documentaire italien écrit et réalisé par Gianfranco Rosi qui est aussi directeur photo et sorti en 2016. Le pitch  ? Fuocoammare a été tourné sur l’île sicilienne de Lampedusa lors de la crise migratoire des années 2010 en Europe. Il relie la dangereuse traversée de la Méditerranée par les migrants à la vie ordinaire des insulaires. 

Les personnages principaux sont un garçon de douze ans membre d’une famille de pêcheurs et Pietro Bartólo, un médecin qui dirige le dispensaire de Lampedusa et qui depuis des années effectue la première visite de tous les migrants qui débarquent sur l’île. Fuocoammare, documentaire saisissant, sans voix off ni commentaire, raconte l’histoire, actuelle et urgente, d’une île de la «tentation» qui est le nouveau cap «de bonne espérance», de tous les espoirs. Celle d’une île italienne. Lampedusa, petit morceau de terre de 20 km2 situé entre Malte et la Tunisie. 

A 110 km de l’Afrique et à 200 km de la Sicile. Ces 20 dernières années, près de 400 000 migrants ont débarqué à Lampedusa. On estime que 15  000 personnes sont mortes en tentant de traverser le Canal de Sicile pour gagner l’Europe (en hausse depuis). 

Indolence insulaire

Le cinéaste Gianfranco Rosi dans Fuocoammare, il alterne poésie, insouciance et magnanimité avec urgence, drame et détresse humaine. C’est un véritable SOS : «Save our souls». Sauvez nos âmes, semble crier et décrier en même temps le documentaire de Rosi. C’est un appel au secours de ses âmes en peine qui viennent de loin, fuyant la guerre, la folie meurtrière…Ils recherchent un refuge, un asile…Ils viennent du Nigeria, Erythrée, Syrie, Somalie, Côte d’ivoire…Ils ont traversé le Sahara, la Libye, la mer méditerranée…Un long voyage où la mort est un inséparable bagage. 

Et celui qui s’en délestera sera un miraculé. Parce que survivre à cette traversée infernale comme le dit si bien la chanson Feu à la mer. Cela tient du miracle. Donc, une alternance filmique montrant la candeur de Samuele, 12 ans, plongé dans son monde merveilleux, ludique, onirique et innocent, absorbé par la confection d’une fronde, un tire-boulette, la chasse d’oiseaux, lançant des pétards, ânonnant des mots d’anglais à l’école, consultant un ophtalmologue, le médecin du village pour une «anxiété»… 

Montrant un plongeur en apnée, un dilettante, une grand-mère qui appelle la radio locale pour une chanson-dédicace Fuocoammare, un dîner familial à base de «pasta»-bien sûr-…Avec ce côté sombre, grave, actuel et surtout urgent. L’antonyme de cette indolence insulaire. Comme ce SOS : «Sauvez-vous s’il vous plaît !» 

Une voix de femme à bord d’une embarcation à la dérive. A bord : 206 naufragés. 34 sont déjà morts. Tel ce radar, cet hélicoptère aux allures d’ Apocalyse Now , ces embarcations surchargées, des enfants, des nourrissons, des femmes, ces opérations de sauvetage quotidiennes, nuit et jour, permanentes, cette prière collective des migrants musulmans au centre de transit de Lampedusa…

«tout homme a le devoir de sauver ces gens-là» 

Une opposition entre cette poésie ilienne et cette «claque» inhumaines de ces âmes en détresse fuyant l’instinct belliqueux des humains, ne mendiant pas, non, ce qu’ils demandent : rester vivant, loin de la mort.

 Fuocoammare est ponctué par des phrases et images fortes. Un réfugié révélera qu’à bord des embarcations, il existe des classes de voyage. Première, deuxième et troisième classe selon la somme payée au passeur. Comme si cela était une classe «tourisme». 

Une classe tout risque. Cette terrible image de ces sauveteurs, accompagné des garde-côtes, portant masques et combinaisons blanches, silencieux, muets, face à des cadavres. Ils sont là, las, désolés par ce qu’ils vivent à Lampedusa. Il n’y a pas de mots pour décrire cette situation mortifère frappant de gens croyant à la vie. Ainsi, les gestes anodins des habitants de Lampedusa deviennent un luxe face au drame des réfugiés dont ils sont témoin.

 Le médecin, Pietro Bartólo, la sagesse incarnée, lâchera cette phrase à méditer : «Tout homme a le devoir de sauver des gens-là.»

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