Flambée des prix de la pièce détachée et de l’huile moteur

11/01/2022 mis à jour: 03:06
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Photo : D. R.

Le bidon de 5 litres Castrol EDGE qui était vendu en magasin à 5500 DA est revendu aujourd’hui à 7800 DA, ajoutés à l’ensemble de la filtration, une vidange revient aujourd’hui à 10 000 DA, soit la moitié du smic algérien.

Entretenir son véhicule est une procédure banale, tout ce qu’il y a de plus normal. Durant de nombreuses années, acheter une pièce de rechange était une opération simple qui ne prenait que quelques minutes chez n’importe quel commerçant.

La disponibilité en grande quantité faisait que les prix étaient relativement bas, que ce soit pour les véhicules de Monsieur tout le monde ou le véhicule premium provenant d’Allemagne, pour la grande majorité. Cependant, depuis 2019, les automobilistes ont constaté que le prix de la pièce de rechange ne cesse d’augmenter et que celle-ci commence également à disparaître chez les commerçants.

Certaines pièces sont devenues introuvables et la spéculation a également touché ce secteur en plus du secteur de l’alimentation qui connaît un chamboulement sans précédent. Pendant plusieurs semaines, nous avons cherché à savoir ce qui se passait réellement dans le secteur de la pièce de rechange. Avec l’aide d’un importateur algérien, nous avons remonté quelques pistes depuis Alger jusqu’à Ain M’lila en passant par l’Allemagne et la Pologne. Nous avons découvert beaucoup d’irrégularités et aussi comment certains importateurs algériens sont relégués au second plan au profit des millionnaires turcs qui raflent tout sur leur passage, ne laissant aucune miette derrière eux.

Démarrage saccadé

Il faut savoir que l’importation de la pièce de rechange est régie par des textes de loi de plus en plus drastiques et compliqués à appliquer pour les opérateurs qui en ont fait leur métier. Ces textes de loi garantissent à la fois un travail de qualité pour ceux qui veulent travailler réellement mais causent également de nombreux désagréments qui se répercutent, selon un importateur souhaitant garder l’anonymat sur le prix de vente final.

«La législation algérienne a exigé le changement des registres de commerce. Il a fallu de nouveaux certificats de respect qui sont difficiles à obtenir et avec un délai d’attente inexplicable. Certes, il n’y a plus la catégorie de personnes qui louaient un registre de commerce et détournaient de l’argent car il ne s’acquittaient d’aucune imposition. Mais maintenant, nous, les importateurs de longue date, souffrons énormément», explique notre source que nous appellerons Salim. Selon lui, il ne s’agit là que d’une partie infime de l’équation. Il faut comprendre aussi qu’il y a un problème plus important qui est le coût du transport.

Si avant la crise de la Covid-19, un conteneur de 40 pieds en provenance de Marseille ne coûtait que 2000 euros, aujourd’hui, son prix a doublé, «le redémarrage qui est arrivé juste après les deux premières vagues de Covid-19 a impacté le prix des produits que nous importons. Le prix du conteneur a doublé et, depuis, certains pays, comme la Chine, l’ont quadruplé atteignant les 22 000 dollars.

De nombreux importateurs algériens ont malheureusement stoppé leur activité depuis la Chine car le prix du conteneur s’est envolé et ne cesse d’augmenter, «Je connais des dizaines d’entreprises qui ont arrêté l’import de pièces depuis la Chine car la rentabilité n’est plus au rendez-vous. Les quelques Algériens qui arrivent encore à travailler depuis la Chine sont ceux qui ont ouvert des sociétés sur place et donc travaillent à leur propre compte».  Alors, que sommes-nous en train de consommer depuis la Chine ?

Notre importateur, qui ne mâche pas ses mots, affirme que les conteneurs sont remplis en grande partie de petites pièces comme des pipes d’eau, filtres en tout genre, grilles de pare-chocs, logos et autres petits boutons d’intérieur. Quant aux éléments de carrosserie, ils ne sont plus importés comme autrefois, ce qui provoque une hausse des prix qui n’est pas près de s’arrêter. Et Salim donne quelques exemples: «Un capot de Ibiza non peint est à 120 000 DA, un pare-choc est à 90 000 DA, et ce ne sont-là que quelques exemples de véhicules à désignation peu coûteuse».

Les Turcs à l’assaut de l’Europe

A travers l’ensemble du continent européen, la demande en pièces est arrivée à un tournant jamais vu auparavant. De nombreux constructeurs et équipementiers installés majoritairement en Europe centrale ou de l’Est se retrouvent sous pression et, connaissant la bureaucratie algérienne, ne souhaitent plus travailler avec les hommes d’affaires algériens.

«Ce qu’il faut aussi comprendre, c’est que la Chine est l’usine du monde. De nombreuses pièces ou matières premières primordiales à l’industrie automobile sont indisponibles, ce qui a conduit à la fermeture de plusieurs usines comme celles de Volkswagen et BMW.

Le manque de micro-conducteur a causé l’arrêt des usines. A titre d’exemple, la marque LUK, qui fabrique principalement des kits d’embrayage pour Volkswagen, a quelques problèmes pour se fournir en matière première et avec le manque de pièces disponibles chez le fabricant, le travail sous le manteau est devenu bien plus lucratif. Un kit d’embrayage revenait à 250 euros alors que maintenant le prix a doublé, voire triplé sur certains composants, car il n’y a aucune disponibilité et la demande est plus importante que jamais».

Durant cette enquête, nous avons entendu parler des marchands turcs qui, selon de nombreuses informations, ramasseraient tout sur leur passage. Arrivant d’Istanbul et les poches pleines, ces commerçants d’un nouveau genre ne font pas crédit et sont très organisés. Salim nous raconte ses déboires car malheureusement, il a eu affaire a eux, et son fournisseur a rapidement succombé à leur charme.

«Quand les Turcs arrivent en Pologne, en Roumanie ou en République Tchèque, ils ne sont pas là pour faire dans la dentelle. Ils n’ont ni chèque ni compte en banque, ils arrivent avec des sacs d’argent et achètent tout ce qu’il y a sur leur passage. J’ai commandé 200 calandres pour la nouvelle Audi Q3, cependant, mon fournisseur a rapidement revendu ma marchandise car les Turcs ont proposé sur place plus d’argent et en cash».

D’après les propos de Salim, de nombreux opérateurs algériens sont en faillite et commencent à fermer leurs entrepôts car il est impossible de combattre à armes égales avec eux. D’après notre interlocuteur, les transitaires installés en Europe sont en train de lâcher les Algériens. Quant aux fournisseurs, ils demandent à être payés sur place et en espèces. Chose jamais vu et qui n’arrange en rien la situation déjà désastreuse que vit le marché de la pièce en Algérie.

Ain Mlila, fief de l’huile moteur !

L’huile moteur connaît depuis 3 mois une augmentation sans précédent. L’huile moteur, élément essentiel pour le bon fonctionnement de la mécanique, connaît également une crise liée à la spéculation. Plusieurs importateurs de marques bien connues, comme Castrol, sont frappés de plein fouet par la spéculation alors que la seule crise qui existe était celle liée à la contrefaçon.

Durant notre enquête, nous avons appris que plusieurs de ces importateurs n’hésitent pas à vendre leurs stocks en entier à des groupes arrivant droit de Ain Mlila, reconnue comme étant la plaque tournante de la pièce en Algérie. Ces groupes arrivent, selon nos informations, comme les Turcs, c’est-à-dire les poches pleines de billets verts raflant ce qui est le plus demandé et particulièrement des références comme 5W40 turbo diesel, 5W40 Professionnel et 10W40.

Le bidon de 5 litres Castrol EDGE, qui était vendu en magasin à 5500 DA, est revendu aujourd’hui à 7800 DA, ajoutés à l’ensemble de la filtration, une vidange revient aujourd’hui à 10 000 DA, soit la moitié du smic algérien. Salim, qui connaît bien cette situation, affirme que l’huile moteur est semblable à de l’or en barre. «Des marques comme ROWE se négocient à prix d’or aujourd’hui et ne sont pas disponibles en grosse quantité.

J’ai l’immense chance de connaître personnellement l’importateur. Ainsi, il peut me faire une fleur en me livrant directement en magasin plusieurs palettes que je revends directement à mes clients.

Mais jusqu’à quand ? La spéculation est évidente en ce moment. Les plus gros points de stockage d’huile moteur sont à Ain Mlila dans la wilaya d’Oum El Bouaghi. Si le ministère du Commerce veut faire une enquête et lever le doute, il faut qu’une équipe soit diligentée directement sur place et ouvrir les dépôts.» Nous avons questionné Salim pour savoir comment font-ils, et ce dernier explique l’opération qui est en réalité un jeu d’enfant.

«Ils sont constamment en contact avec l’importateur ou des membres de son équipe. Dès lors que les conteneurs arrivent et sont déchargés dans les dépôts, des véhicules sont déjà en route depuis Ain Mlila avec plusieurs passagers à bord et plusieurs millions de dinars en poche.

Dès qu’ils arrivent sur place, l’importateur, vite attiré par le gain facile, ne se soucie pas beaucoup de ses clients et préfère revendre sa marchandise directement à ces messieurs. La transaction effectuée, la marchandise repart directement à Oum El Bouaghi où elle est stockée et distribuée en petite quantité pour faire grimper les prix.

Le bidon d’huile au prix de gros est à 7600 DA, et nous le revendons à 7800 - 7900 DA. Le prix va grimper encore dans les semaines à venir si l’Etat ne sanctionne pas ces bandes mafieuses». Le bidon Castrol 4 litres en 5W40 professionnel qui était revendu à 4500 DA est cédé aujourd’hui à 5000 DA au prix de gros, toujours depuis Ain Mlila et est revendu au client a 6500 DA, soit 2000 DA de plus en 2 mois. Du jamais vu même pour l’huile de table.

L’importateur qui nous a ouvert les portes de ce monde si secret, termine en ajoutant que la pièce de rechange connaît également la spéculation comme les volants moteur. «On achetait cette pièce à 55 000 DA en gros qu’on revendait au détail à 62 000 DA. Certaines personnes n’hésitent pas à l’acheter en grosse quantité, la stocker, puis la revendre jusqu’à 72 000 DA. La spéculation ne s’arrêtera pas et l’Etat aura beau faire tout et n’importe quoi, il n’arrivera jamais à endiguer cette crise.» 

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