FELLOUS Mohamed, dit Abdelkader(*) : Ces héros, grands oubliés de l’histoire

16/02/2023 mis à jour: 23:55
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FELLOUS Mohamed, dit Abdelkader

Tous ceux qui ont eu à le connaître sont unanimes pour louer ses vertus de dévouement, marque de fabrique de ce militant résolu progressiste et surtout gagné par ses convictions humanistes et de justice sociale, bien ancrées. Il se distinguait, nous dit-on, par son engagement aux côtés des plus faibles, des opprimés et des exclus de la société, notamment les chômeurs, qu’il a réussi à féderer et pour lesquels il mena un combat digne et offensif, avec cette double exigence de vérité et d’exemplarité, façonnée par sa conception et sa pratique de la responsabilité politique.

Mohamed Fellous, ce Harrachi et fier de l’être, homme probe et valeureux, faisait partie de cette catégorie d’hommes qui se distinguent, sur le terrain, par l’action, par des actes de bravoure et de courage, mais que l’histoire n’a pas daigné leur offrir ses faveurs, en les privant de la scène de la postérité et de la gloire. Elle leur tourne le dos. Inexplicablement. Douloureusement. Mohammed parlait vrai, en faisant le choix de l’intelligence, la sienne bien sûr, mais de celle des autres aussi, qui ont adhéré spontanément à son combat, qui était le leur. Je veux parler ici des chômeurs qu’il a réussi à fédérer, sur qui il comptait sans cesse pour mener une lutte juste et nécessaire, en recourant toujours à son leitmotiv : convaincre plutôt que d’imposer. C’est ainsi que Mohamed accordait une attention toute particulière au monde syndical, mutualiste et associatif, un infatigable militant, plongeant ses racines dans une histoire, celle du monde des travailleurs. Son credo ? Mobiliser les masses et leur faire confiance, plutôt que de rester dans l’expectative et l’entre-soi. Car le regretté, le répétait sans cesse : «Nous ne sommes jamais aussi forts que quand nos énergies individuelles se mobilisent autour de projets collectifs.»

UN ENFANT DU PEUPLE DÉFENDANT LE PEUPLE

Né le 4 juin 1929 à El Harrach (ex-Maison-Carrée), situé à la périphérie est d’Alger. Très tôt, Mohamed Fellous s’était engagé en politique au sein du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) dès sa création, en octobre 1946, bien après la dissolution du PPA, en septembre 1939. Il militait auprès de ses aînés nationalistes, parmi eux, son futur beau-père Ahmed Mokrane, dit Ghecem, conseiller municipal, assesseur au CA de l’Union sportive musulmane de Maison-Carrée (USMMC) et qui avait adhéré au PPA en 1937 et devint vice-président de la section de Maison-Carrée en 1938, et dont le président de la section fut le doyen Si Abdelkader Ghenfoud. Plusieurs militants d’El Harrach, parmi eux Boualem Fahas, Amkoukan et Mohamed Fellous, se rendirent en 1948 à Dechmia (Sour El Ghozlane à Bouira) pour soutenir les Algériens, qui se révoltèrent suite à une fraude massive de l’élection de l’Assemblée algérienne, qui a eu lieu en avril 1948. Ce scrutin truqué aboutit, à l’issue du second tour, à l’élection de 41 candidats administratifs, neuf sièges pour le MTLD et huit pour l’UDMA. Une brutale répression s’était abattue sur les Algériens qui avaient manifesté leur refus de cette mascarade électorale, il y a eu 11 morts et plusieurs blessés. Notons que parmi les 59 candidats présentés par le MTLD, 32 furent arrêtés et emprisonnées. Ces événements dramatiques de notre histoire nationale, méconnus du grand public, sont toujours enfouis, plus de sept décennies plus tard. En avril 1953, Mohamed Fellous s’était présenté aux élections municipales de Maison-Carrée (El Harrach) sur la liste du MTLD et a été élu par le 2e collège et fut le plus jeune conseiller municipal. Selon le témoignage de Benyoucef Benkhedda, le congrès du MTLD de 1953 a repris l’idée du Comité central et décida de créer une commission syndicale chargée de suivre toutes les questions intéressant le monde du travail. L’activité de cette commission ne se limitait pas aux seuls travailleurs. Dans un pays où le chômage sévissait à l’état endémique, le sort des travailleurs sans emploi devait retenir l’attention et l’intérêt de ceux chargés de défendre les plus déshérités. C’est ainsi qu’à l’initiative de cette commission, des comités de chômeurs furent mis sur pied dans les grandes villes où ils étaient les plus nombreux. Ils tinrent une réunion dans la capitale et désignèrent comme président le frère Mohamed Fellous (El Harrach). Réunis dans la capitale, les délégués désignés par ces comités créèrent la Fédération des chômeurs, dont le siège était sis 8, Rampe de la pêcherie-Alger. Les adhérents élirent à sa tête Mohamed Fellous. Celui-ci sera un des premiers militants du FLN à Alger, très proche de Aïssat Idir ; il connaîtra les maquis de l’Algérois, de la Kabylie et l’Oranie. Le dimanche 24 janvier 1954, s’est tenu à Blida un grand meeting de chômeurs. On l’évaluait à 700 personnes environ. Les élus du 2e collège avaient tenu à manifester leur solidarité aux chômeurs. On notait la présence de M’hamed Ferroukhi adjoint au maire, Abed et Benkhedda. A Koléa, le 20 février 1954, plus de 600 chômeurs ont tenu un meeting, le secrétaire général, M. Fellous, dans une longue et radicale intervention, exposa les revendications essentielles des «sans travail» et appela l’assistance à lutter pour arracher ses droits et pour faire de la journée du 8 mars 1954, une grande journée de lutte. Mohamed Fellous a animé aussi un très grand meeting à Bone.

DE l’ASSOCIATION DES CHÔMEURS AU FLN

L’action de la Fédération des comités des chômeurs ne se limitait pas à réclamer du travail, à travers les revendications posées, c’était l’existence de la colonisation qui était remise en cause. Pour que nul n’oublie, préserver la mémoire nationale et transmettre le message des martyrs et des moudjahidine authentiques aux générations futures, ne serait-il pas temps de faire sortir de l’oubli cette Fédération des chômeurs, qui a «grandement» contribué au sein du Mouvement national en menant un travail de sensibilisation auprès des populations et de la jeunesse, relevant à ce propos que les jeunes de ces comités étaient aux avant-postes lors de l’insurrection armée du 1er Novembre 1954. (Algérie libre, 29 janvier 1954, n° 96 Organe du PPA MTLD).

En 1954, Mohamed Fellous a constitué, avec Omar Ouadah, un noyau clandestin à El Harrach, dont la mission était la fabrication de bombes en prévision du déclenchement de la Révolution, la première bombe fut fabriquée dans le garage de tôlerie, sis rue de la Savonnerie (parc Maison-Carrée) appartenant à Mohammedi Ali et Ould El Hadj Ahmed. Et juste après le déclenchement de l’insurrection armée, Fellous était devenu responsable de la Zone est de la Fédération d’Alger et il avait comme adjoint Nassima Hablal, une des premières militantes qui avaient adhéré au FLN. Elle fit tout, depuis les liaisons jusqu’au convoiement des armes, elle fut arrêtée et torturée, elle ne parla pas, elle entra, à la libération, à la direction de l’UGTA.

En avril 1955, Sadek Hadjerès (PCA) et Ali Boumendjel (UDMA) s’étaient présentés aux élections cantonales dans la circonscription de Maison-Carrée (El Harrach), Mohamed Fellous exploita leur campagne électorale et leurs meetings pour sensibiliser les populations et les encourager à rejoindre le FLN/ALN. Fellous avait, avec Hadjeres, un contact suivi au cabinet médical d’El Harrach où ce dernier travaillait avec le Dr Zemirli et l’infirmière Mimi

DANS LE MAQUIS, IL FRÔLE LA MORT

Benmohammed (future moudjahida de la Wilaya IV), qui hébergera notamment, l’été 1955, Abdelhamid Boudiaf, avant son départ pour le maquis d’El Asnam), Fellous et Hadjeres ont joué un rôle politique important en rapprochant les dirigeants du PCA des responsables FLN, pour arriver, enfin, à un accord, en 1956.

Dès l’installation de Abane et Ben M’hidi à Alger, au début de 1955, Mohamed Fellous devint un de leurs proches collaborateurs, avec Rebbah Lakhdar, Amara Rachid, Med Benmokaddem et Hachemi Hammoud. Juste après le Congrès de la Soummam, Fellous fut désigné par le CCE comme inspecteur des maquis (témoignage du coordinateur des avocats du FLN, maître Hadj Hammou).

Grièvement blessé dans un accrochage dans la région de l’est de la Mitidja, Med Fellous fut transporté, par son agent de liaison Messaoud Challah, à El Harrach pour être soigné par le Dr Zmirli. Il s’était réfugié dans la maison de Khalfi Boualem et son épouse, Cales Paulette Raymond, qui étaient en vacances en France et dont la maison a été mise à sa disposition par le frère de Boualem, le mari de la sœur de Fatma Zohra, dite «Zola», épouse de Fellous, cette dernière a été torturée plusieurs fois. Le lendemain, Messaoud Challah fut arrêté et torturé, Il ne parla pas. En 1958, Med Fellous s’est rendu à la base de l’Ouest, au Maroc (Tétouan), pour une mission dont il n’en était pas sorti indemne, gravement blessé, il a été transféré pour des soins en Tchécoslovaquie. Malheureusement, il restera invalide, assisté d’une tierce personne jusqu’à son décès le 27 janvier 2010. Un hommage à sa femme Fatma Zohra, qui l’a toujours soutenu et accompagné.

El Harrach gagnerait à honorer la mémoire du moudjahid Mohamed Fellous en donnant son nom à une rue ou à un édifice public de la ville. En tout cas, l’action de ce vaillant moudjahid et de ses camarades, même occultée par le récit national, restera une œuvre grandiose, mise en évidence par Sadek Hadjerès dans son témoignage : la persévérance manifestée par nos militants, l’impulsion donnée par la C.C.A.S.S. portaient leurs fruits. Lorsque à travers l’Algérie, un nombre important de comités de chômeurs vit le jour, la création d’une coordination nationale devint indispensable. Une assemblée générale, tenue à Alger, donnera naissance à un Comité national. Il coiffera l’organisation jusqu’à la mise sur pied, quelques semaines plus tard, de la Fédération des chômeurs. Le militant le plus dynamique, le plus motivé, Mohamed Fellous, fut porté à sa tête. Epaulé par les syndicalistes et les militants du parti, il fit un remarquable travail. L’action de la Fédération et des comités locaux ne se limitait pas, comme on pouvait le penser, à réclamer uniquement du travail. En réalité, à travers les revendications posées, c’était l’existence de la colonisation qui était remise en cause.

Quant à Benyoucef Benkhedda, évoquant  le mouvement syndical et l’émergence de l’UGTA, il a écrit : «Il a fallu attendre 1956 pour que les travailleurs algériens puissent adhérer à un syndicat spécifiquement algérien.»

A la veille du 24 février 1956, il existait en Algérie des syndicats groupés en unions affiliées à la centrale mère française, principalement UGSA-CGT (communiste), CGT-FO (socialo-maçonnique), CFDT (Confédération française des travailleurs chrétiens), cadres, SNI (Syndicat national des instituteurs) etc. L’UGSA-CGT regroupait en son sein le plus gros des travailleurs syndiqués, les Algériens fournissaient 70 à 80% des effectifs. 

(*) Moudjahid, président de la Fédération des chômeurs en 1953

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