Farah Acid. Porte-parole du collectif des parents d’enfants autistes algériens : «Nous plaidons pour la mise en place d’un Plan national autisme»

06/04/2022 mis à jour: 02:45
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Farah Acid

Aucune prise en charge ne peut être adaptée si les parents des autistes ne sont pas associés aux démarches ou décisions prises par le gouvernement. Farah Acid, porte-parole du Collectif des parents d’enfants autistes algériens affiche dans cet entretien sa «déception» après l’annonce du lancement d’un site web dédié aux autistes, élaboré «sans consultation» des premiers concernés. Mme Acid appelle à une prise en charge «pérenne» des enfants autistes. 

 

Propos recueillis par  Nassima Oulebsir 

 

 

  • Un site web dédié aux autistes en Algérie a été lancé jeudi dernier. Comment qualifiez-vous cette nouvelle démarche ? 
     

On l’attendait avec impatience mais son contenu est non seulement très en deçà de nos attentes mais de surcroit, les concepteurs n’ont pas associé tous les intervenants en rapport avec l’autisme, à l’instar des praticiens thérapeutes. L’approche est axée sur la psychiatrie alors que l’autisme n’est pas une maladie si on se réfère à la classification de l’OMS. 
 

  • Au final, une déception pour vous ? 
     

Oui, c’est décevant et même désolant.

 

  • Avant ce site et prenant en compte des difficultés de la scolarité des autistes, les autorités ont annoncé la formation des enseignants censés prendre en charge ces enfants. Qu’en pensez-vous ? 
     

Avant de penser à former les enseignants, il faudra d’abord créer un Centre national référentiel en matière d’autisme. A cet effet, il faudra solliciter toutes les compétences algériennes affirmées et confirmées académiquement ici et à l’étranger, toutes disciplines confondues (psychologues, neuropédiatres, psychomotriciens, ergothérapeutes, orthophonistes, pédopsychiatres…), à participer à des assises afin d’élaborer un plan consensuel de prise en charge des personnes autistes et leur inclusion en conformité avec les principes constitutionnels. Tels que le respect de l’égalité des chances par la gratuité du suivi thérapeutique et la scolarité, etc.
 

Quant au projet d’une école pour former des enseignants spécialisés en autisme, si nous voulons respecter le principe de l’inclusion, nous devrions plutôt veiller à créer des instituts régionaux dont le rôle est de former du personnel intervenant dans différents secteurs pour y suivre des formations continues en autisme, conformément à la feuille de route qu’aura tracé le Centre national de référence que j’ai cité au préalable. Car l’inclusion ne se limite pas seulement à l’école mais aussi dans les entreprises par exemple, où les DRH seront concernés également par cette formation.

 

  • Quel état des lieux faites-vous aujourd’hui sur la situation des personnes autistes ? 
     

Les choses commencent à bouger timidement depuis l’instruction du président de la République, Abdelmadjid Tebboune datant du 18 avril passé. Il y a un changement concernant l’inclusion scolaire avec des facilitations ordonnées le 15 septembre 2021 par le Premier ministre, Aïmene Benabderrahmane. Celles-ci ont permis par exemple, aux enfants autistes qui ont besoin d’être accompagnés en classes ordinaires, d’avoir une auxiliaire de vie scolaire parmi ses proches dans des délais record. Cela a grandement soulagé le corps enseignant non formé.
 

Cependant, nous avons constaté que le rejet des enfants autistes par les directeurs d’établissements persiste même s’ils finissent tous par accepter, tant le ministère de l’Education nationale, les Directions de l’éducation (DE), et les Directions de l’Action sociale (DAS) veillent désormais fermement à l’inclusion des enfants dont le dossier thérapeutique est favorable à leur scolarité.  Ainsi, à l’instar de la dernière circulaire n°204 du 24 novembre 2021, des circulaires émises par le ministère de l’Education nationale sont régulièrement publiées pour rappeler à l’ordre tous les directeurs d’établissements récalcitrants.

  • Vous-même, qui êtes auxiliaire à l’instar de plusieurs autres parents qui accompagnent leurs enfants, quelles solutions pratiques proposez- vous ? 
     

Les enfants autistes d’aujourd’hui seront les adultes autistes de demain, de ce fait, les solutions que nous attendons doivent être pérennes, et il est urgent de mettre en application un Plan national autisme qui contribuera à faire avancer le mécanisme de l’inclusion sur divers fronts tels que le dépistage précoce, la prise en charge, la formation académique des formateurs, la formation des spécialistes et thérapeutes, la formation du personnel du secteur de l’éducation, de l’inspecteur à l’enseignant en passant par le directeur de l’école, la formation continue de tous les responsables du personnel, dans la fonction publique et dans le secteur économique public et privé et enfin par la sensibilisation et l’accompagnement des familles. 
 

Les premiers confrontés à tous ces obstacles étant les parents de ces enfants, j’estime nécessaire que nous soyons associés à tout projet en qualité de source d’informations, car sans nous, aucun état des lieux ne peut être fait et sans nous, qui sommes les premiers thérapeutes de nos enfants, aucune prise en charge ne peut être adaptée.

 

 

Un site web dédié aux autistes DZ 
 

Un site web dédié à l’autisme (www.autisme.santé.gov.dz ) a été lancé, jeudi dernier, en vue de faciliter l’accès aux informations devant concourir à l’orientation des autistes et de leurs familles. Supervisant le coup d’envoi de ce site, le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, cité par l’APS, a précisé que cette réalisation a pour objectif de «faciliter l’accès aux informations actualisées devant concourir à l’orientation des familles des autistes, en augmentant le niveau d’éducation sanitaire auprès de la population en matière d’autisme». Soulignant que cet évènement coïncidait avec la Journée mondiale de la sensibilisation à l’autisme le 2 avril de chaque année, M. Benbouzid a affirmé que ce site, ouvert avec le soutien de «Expertise-France» dans le cadre du programme de partenariat «Profas C+», a été réalisé dans les deux langues arabe et française par des spécialistes d’Algérie, de France et de Belgique. Selon le ministre de la Santé, il a été «procédé à l’affectation de 19 services de pédopsychiatrie dont certains ont acquis une expérience considérable plusieurs années durant, en sus des activités organisées dans les établissements de proximité». Le nombre des personnes autistes suivies entre 2019 et 2021 dans les différentes structures de santé s’élève à 5 557. 

 

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