Exode et déni

07/02/2022 mis à jour: 14:22
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En juillet dernier, nous avertissions dans cet espace même sur une saignée migratoire en vue. En plus des harraga, nous pointions un départ massif des cadres issus de la classe moyenne, ceux qui font tourner le peu d’économie nationale et permettent au service public de résister. 

Et à défaut de chiffres algériens sur les médecins, les informaticiens, les architectes, les polytechniciens et les milliers d’étudiants fraîchement diplômés qui ont quitté l’Algérie, l’information nous vient de France. 1200 médecins spécialistes de nationalité algérienne ont réussi au concours d’équivalence tenu à Paris et s’apprêtent à postuler à des postes dans les hôpitaux français. 
 

Un chiffre qui donne froid dans le dos, une violente atteinte au moral des Algériens. L’opinion publique s’est largement épanchée d’ailleurs sur le sujet en dégageant un sentiment national de frustration, de profonde tristesse et de colère. L’Algérie est en train de perdre sa sève, sournoisement et dangereusement, et personne n’est dupe, car ce dernier épisode n’est que l’arbre qui cache la forêt de l’exode.
 

Pourquoi ils partent ? Le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, a tenté de répondre à la question samedi et a échoué à convaincre en choisissant la posture du déni. Contrairement aux explications du ministre, les médecins qui partent ne sont pas au chômage. L’Algérie n’exporte pas des médecins chômeurs, elle libère celles et ceux qui font tourner le service public. Nos hôpitaux se vident et il y a péril en la demeure. 
 

Après avoir reconnu l’urgence de la réforme du système sanitaire et promis aux Algériens, les médecins notamment, des lendemains meilleurs, le pouvoir exécutif a manifestement échoué. Car la doctrine selon laquelle on a osé recourir à la brutalité policière pour mater une manifestation de blouses blanches et faire couler le sang des médecins est toujours en vigueur. Les médecins sont toujours maltraités, sous-payés, surexploités, soumis à un statut particulier pénalisant et à des administrateurs souvent incompatibles avec la cause et la particularité de la mission médicale.
 

Les médecins qui partent par milliers ne sont pas impatients, ils fuient un pays où leur profession est dévalorisée, et un climat général qui les réduit à une position marginale au lieu d’être la locomotive sociale ; ils fuient un climat où ils sont forcés de faire profil bas pour survivre à la loi de la jungle qui supplante l’Etat de droit ; un pays où les horizons sont obscurcis non pas par les pénuries, mais par la reproduction de l’échec, par l’entêtement du vieux monde. Ces raisons sont les mêmes pour tous les Algériens qui partent. 
 

«Tout cerveau qui s’exile est un assassinat, tout espoir qui s’éteint est une trahison, et tout aveu d’impuissance de la part d’un décideur est une catastrophe», écrivait à ce sujet Yasmina Khadra dans une lettre ouverte adressée, en 2009, à Abdelaziz Belkhadem. Une sentence toujours valable.

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