On ne sait pas encore qui a été le premier à prononcer cette phrase, devenue désormais célèbre. «Aâche mechtaq temra, ki mat aâlgoulou arjoune», c'est-à-dire «De son vivant, il avait envie d’une datte, à sa mort, on lui accroché un régime de dattes (sur sa tombe, bien sûr).»
Au fil des ans, cette expression a gagné toute sa portée symbolique. Elle revenait à chaque fois qu’un artiste est tiré de l’oubli, non pas par ses œuvres, mais par la mort. Quand un artiste meurt, tout le monde se souvient, subitement, qu’il avait existé un jour. Tout le monde accourt pour ne pas rater l’enterrement et présenter les condoléances.
Combien étaient-ils ces artistes, victimes de l’amnésie collective ? Combien seront-ils ? L’expérience a montré qu’en dehors de l’oubli, l’ingratitude a toujours affecté nos artistes. La culture des hommages «festifs» rendus à l’occasion de «certaines occasions» ne pourra jamais soigner la plaie. Celle de la mauvaise condition dans laquelle ils continuent de vivre pour la plupart d’entre eux.
A défaut d’une reconnaissance tant espérée, ils sont encore dans l’attente d’un statut qui leur garantit leur dignité. Un statut qui tarde encore à voir le jour, plus de 60 ans après l’indépendance. Alors, que dire des projets de loi qui traînent encore sur leur protection socioprofessionnelle, leur prise en charge sanitaire et la protection de leurs œuvres contre le piratage. Un retard que les artistes continuent de payer le prix, pour ne pas dire autre chose.
Mais en fait, l’artiste en Algérie se sent-il bien dans sa peau d’artiste ? On est tenté de dire non, quand on sait que des artistes vivants ou morts sont toujours méconnus par la jeune génération. Leurs noms ne sont jamais évoqués dans les manuels scolaires.
Pourtant, cette génération connaît sur les bouts des doigts les exploits d’artistes et de footballeurs étrangers. A propos des oubliés, nous citons, pour l’exemple, le grand Mohamed-Lakhdar Hamina, qui a rapporté à l’Algérie la Palme d’or au Festival de Cannes en 1975 pour son film Chronique des années de braise. La première et unique à ce jour dans le monde arabe. Il faut dire qu’ils sont nombreux à nous envier pour cette Palme d’or. Cela fait déjà 48 ans, mais point de commémoration. On n’omet pas de nommer un autre oublié, Djamel Chenderli, l’un des premiers à filmer au maquis durant la Révolution.
Un autre nom, Beggar Hadda, morte dans l’indifférence totale, mais aussi Mohamed Boudia et Mohamed Zinet. Il y a également les fondateurs du Festival du théâtre amateur de Mostaganem, Abdelkader Benaïssa, Abdelkader Belmokadem, Hocine Hamadou et Abdelkader Benderdouche, Si Djilali Benabdelhalim et Abdelkader Ould Abderrahmane, dit Kaki.
Dans le monde des arts, on retrouve Abdellah Benanteur. Mais les plus grands oubliés sont les 52 «militants de l’art», dont 41 comédiens, musiciens, poètes et chanteurs qui ont rejoint la troupe artistique du FLN en 1958. Une injustice qui tarde à être réparée.