Escapade dans le Fahs algérois : Sidi Fredj ou la grande notoriété d’un saint homme

26/07/2023 mis à jour: 03:58
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Sidi Fredj (*) est une petite ville maritime très fréquentée, disposant d’un complexe touristique et d’un port de pêche et de plaisance. Elle est située respectivement à 5 km de Staouéli, 6 km de Bouchaoui et 25 km d’Alger. 

Le territoire de Sidi Fredj est constitué d’un plateau qui se présente sous la forme d’une presqu’île s’avançant à peu près à 2000 m dans la mer Méditerranée. Celle-ci est formée de deux baies, est et ouest, bordées chacune de splendides plages. Le nom de la presqu’île lui vient d’un marabout Sidi El Ferroudj, qui avait acquis, à une certaine époque, une grande notoriété parmi la population algéroise. La légende dit qu’il est originaire de Koléa, une ville fondée en 1550 par les réfugiés andalous, arrivés en Algérie au lendemain de la chute du dernier émirat de Grenade.

 

 Le véritable nom de Sidi Fredj est Sidi El Ferroudj, littéralement Monsieur le consolateur. Ce dernier a été orthographié de différentes manières, à savoir Sidi Ferruch, Sidi El Ferredj, ou Sidi Fredj.

 Ce saint personnage avait choisi, il y a plus de quatre siècles, de se retirer sur cette petite presqu’île naguère déserte, localisée à quelques kilomètres seulement de sa ville d’origine. Lors de son long séjour dans cette baie, celui-ci menait une vie proche de la nature, acquit sitôt la sainteté et son ermitage attirait des foules de pèlerins qui venaient lui témoigner leur vénération. 

Les fidèles affluaient munis de volailles, tissus, ou provisions en nourritures qu’ils offraient au saint homme  dans l’espoir que leurs vœux soient exaucés.Très vite, notre illustre marabout se fait d’après la légende, un copain nommé Roch, un ancien marin espagnole qu’il avait connu dans des circonstances dignes d’un film d’aventure. La tradition rapporte que son nouveau compagnon n’était autre que son ex-ravisseur. 

Ce dernier, voulant un jour l’emmener par surprise, le séquestra sur son voilier dont il était le capitaine, au cours d’une brève escale qu’il venait d’effectuer sur la plage de Sidi Fredj, où il cherchait à s’approvisionner en eau fraîche depuis une source voisine.Un phénomène tout à fait incroyable se produisit à la suite de ce rapt : le bateau à bord duquel se trouvait le marabout n’avançait plus et demeurait immobilisé près de la côte. Le saint personnage, ne sachant plus que faire, promettait aux marins qui l’avaient kidnappé pour le vendre dans un marché d’esclaves en Espagne  que leur vaisseau pourrait reprendre sa route s’ils consentaient à le libérer. Il leur révélait qu’il était investi d’un pouvoir divin et que Dieu n’approuvait guère leur agissement. 

On se précipite alors de faire débarquer le vieil homme mais l’embarcation ne bougeait pas d’un iota. On décide encore une fois d’aller à sa rencontre pour lui demander une explication. Il répondit à ses interlocuteurs qu’il avait tout simplement oublié ses babouches à bord du bateau. Par miracle, aussitôt qu’on lui avait remis ses chaussures, le voilier s’est mis à voguer. 

Depuis cet incident, le capitaine Roch prit la résolution d’embrasser l’Islam et vécu le reste de sa vie en compagnie de Sidi Fredj. Ils demeurèrent inséparables même après leur mort puisqu’on les inhuma l’un à côté de l’autre, en ce lieu rendu célèbre depuis l’invasion du 14 juin 1830. 

Cependant, leur repos fut de courte durée, car en 1847, on déterra leurs restes avant de les transférer à dos de mulets au cimetière de Sidi Mohamed l’Agha à Zéralda. Cet endroit était plus connu dans l’Algérois sous l’appellation de l’Oued Laâgar, le ruisseau des femmes stériles en langue française. Nous reproduisons ci-après un extrait du procès-verbal de l’inhumation et réinhumation des restes de Sidi Fredj et de sidi Roch. «Nous, commissaire de police du 5e arrondissement de la ville d’Alger, en mission spéciale par délégation de Monsieur le Directeur de l'intérieur et de la colonisation. 

Au vu de l’autorisation délivrée au sieur Mustapha Gadiri en sa qualité de muphti malekite, en charge des opérations d’exhumation et de réinhumation des restes mortels des saints personnages Sidi Ferruch et Sidi Roch, inhumés, il y a environ trois cents ans dans la presqu’ile de Sidi Ferruch.

Dès, notre arrivée au marabout de Sidi Ferruch, le sieur Beït el Maldji et le second imam de la grande mosquée d’Alger, ont reconnu le lieu où avaient été inhumés les deux défunts ; aussitôt en présence de ces deux personnages ainsi que de quelques autochtones, on a procédé à l'exhumation de la manière accoutumée …» 

Ce n’est que vers la fin de la seconde moitié du XVIe siècle, qu’on avait commencé à faire ériger sur une éminence de 28 m de haut, les toutes premières constructions du lieu de culte musulman. Au fur et à mesure que le temps passait, cette mosquée subissait quelques modifications et adjonctions qui lui avaient donné son aspect d’avant sa démolition en 1847. Hormis le mihrab et l’espace réservé à la prière, l'enceinte comprenait une vaste cour, un patio, des logements servant d’hébergement au derwich et aux pèlerins, ainsi qu’un mausolée. Les Espagnols donnaient au petit minaret, dont elle était dotée le nom de Torre Chica, signifiant en langue espagnole «la petite tour», dont les navigateurs s’en servaient pour leur orientation. 

Le tombeau du saint personnage Sidi Fredj était placé dans un ouvrage en boiserie soigneusement sculpté de bas-reliefs. Il se trouvait au centre d’une grande salle carrée, chapeautée d’un magnifique dôme octogonal, appelé communément qubba, un terme désignant en langue arabe un hémisphère. A l’occasion de leur visite, les femmes allumaient des cierges et brulaient du djaoui (encens), implorant le saint homme de les guérir de leur stérilité ou leur trouver un mari si elles étaient veuves ou célibataires. Les dépendances de ce lieu de culte furent transformées le 14 juin 1830 en quartier général, tandis que la grande pièce qui abritait à l’origine la sépulture de l’illustre marabout Sidi Fredj fut reconvertie en logement et cabinet de travail au maréchal de Bourmont. 

C’est à partir du sommet de la petite colline sur laquelle s’élevait cette mosquée historique que ce dernier a pu diriger à la longue vue, les opérations du 19 juin 1830. Hélas, l’esprit destructeur de l’armée française l’avait conduite à la démolition du mausolée et de la mosquée qui y existaient pour l’édification début 1847, d’un fort pouvant abriter une caserne de 2000 hommes. 

Cette citadelle fut convertie ultérieurement en théâtre de plein air. Le débarquement de la flotte française s’opéra le 14 juin 1830, à 3 heures du matin sur les plages côté ouest de Sidi Fredj. Les quelques Tobjis, canonniers qui étaient postés sur le plateau de la Bridja, littéralement le petit bordj avaient accueilli la marine française avec plusieurs boulets de canon. Des chroniqueurs rapportaient que les premières nuits où l’armée française avait installé ses bivouacs, leurs sentinelles s’échangeaient accidentellement des coups de fusils, se faisant tuer les uns les autres. 

La panique avait été de temps à autre, provoquée par des militaires qui confondaient les bonnets blancs que portaient leurs compagnons la nuit, avec les turbans des algériens, qu’on imaginait en train de se faufiler dans la brousse. Sidi Fredj est aussi le lieu de débarquement dans la nuit du 8 novembre 1942 des Américains, lors du second conflit mondial. 

Contrairement aux agglomérations voisines implantées dans le Sahel algérois, la fondation en 1844 de cette localité du littoral algérois était la conséquence de la concurrence rude imposée à l’époque par les pêcheurs italiens et maltais en plusieurs points de la côte algérienne. La petite agglomération naissante devait subsister grâce à la pêche des sardines et des huitres. Elle fut dotée dès le lancement du projet de toutes les installations nécessaires devant permettre la transformation et la commercialisation de ces produits à l’étranger. La tentative d’implantation d’une pêcherie à Sidi Fredj n’avait pas abouti. 

Des familles assurant leur autosuffisance en légumes sont alors venues remplacer les pêcheurs mahonnais et napolitains. Il y a longtemps, des vestiges très anciens : tombeaux, villa, aqueduc et mosaïque avaient été retrouvés sur place, ceux-ci témoignaient que vers la seconde moitié du Ve siècle de notre ère, ce coin abritait un établissement romain qui portait vraisemblablement le nom de Case Favenses.
 

(*) Texte tiré de la collection monographique sur le Sahel algérois, de l’auteur Ahmed Karim Labeche - [email protected]


 

 

(Lithographie sur un dessin fait d'après nature, deux jours après le débarquement. La Torre Chica (Sidi-Ferruch). 1830)

 

 

 

 

 

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