Escapade dans le Fahs algérois : Draria ou la plaine éventée(*)

04/05/2023 mis à jour: 03:38
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La ville de Draria est assise dans l’un des sites les plus luxuriants de la banlieue algéroise, à une altitude variant entre 190 et 205 mètres au-dessus du niveau de la mer. On dénombrait trois célèbres tribus du Fahs algérois qui vivaient en permanence dans le Fahs de Draria et ses environs, à savoir les Draâriah, les Béni R’biaâ  et les Seghier. La principale fraction des Draâriah était jadis installée dans l’actuel village auquel elle légua son appellation, le deuxième groupe, celui des Béni R’biaâ, vivait dans l’antique quartier El Qadous, la troisième et la dernière plus connue sous le nom des Ouled Essghir avait, à l’époque, son campement établi près des berges de deux cours d’eau renommés, appelés successivement Oued Erromane et Oued Ettarfa.
 

Ces trois peuplades entretenaient à proximité de leurs douars respectifs une grande variété de bosquets d’arbres fruitiers, ainsi que d’immenses champs de céréales et de vignes. Les produits des récoltes, notamment celles de raisin frais ou desséché, étaient écoulés dans les grands souks d’Alger ou de Douéra et Boufarik. Ces communautés autochtones possédaient de vastes étendues de terres parmi lesquelles il existait toujours des parcelles détenues en indivision, réservées au pacage des animaux.

Ceux-ci vivaient en grande partie dans des maisons de fortune élevées à la hâte avec murs épais en pierres couronnés d’une toiture faite d’un mélange de fumier, de roseaux et d’argile. Une haie de cactus entourait le gourbi et la petite cour qui s’y détachait. Si l’espace venait à manquer avec l’agrandissement de la famille, on procédait systématiquement à la construction, dans le voisinage immédiat, d’un second abri. Les quelques tentes qui s’éparpillaient tout autour du douar constituaient le logement des familles de bergers et des employés des propriétaires terriens. 

Le noyau urbain initiale de Draria qui devait accueillir la colonie européenne fut construit dans le voisinage de l’oued el Hamra, qui est l’un des affluents de l’oued el Karma ou rivière du figuier. Voici un extrait de l’arrêté de l’administration coloniale daté du 10 janvier 1842, portant création de la commune de Draria : «Considérant que les tribus arabes demeurant aux lieux dits de Draâriah, Béni R’biaâ, Ouled Essghir et lieux voisins de la commune El Qadous, sont passées à l’ennemi, en novembre et décembre 1839, en incendiant les gourbis et assassinant des colons européens. Considérant qu’il importe de placer sur le même point une population européenne, il sera formé, sur le territoire des tribus émigrées, un village de 51 familles, sur une circonscription territoriale de 450 ha environ…».

Avant même la fondation officielle des villages dans le Sahel algérois, beaucoup de familles d’origine européenne s’étaient déjà installées dans la plupart des bourgades en voie de construction. De nombreux actes passés devant notaires vers 1834, pour l’acquisition par des colons fortunés de haouchs mauresques existant naguère dans l’Algérois, attestent cette situation. Dans la plupart des cas, ce sont ces vieux domaines qui seront transformés, progressivement, en zone urbaine.La municipalité de Draria avait été, dès le départ, annexée administrativement au bourg de Dély Ibrahim. 

Elle devient commune de plein exercice à compter du 8 décembre de l’année 1870. En 1984 elle quitte la wilaya d’Alger pour rejoindre celle de Tipasa conformément à la loi portant réorganisation territoriale des communes. Draria était alors constituée de onze localités dont Ouled Bouzid, Haouch Khoudja, Achli, Seghier, Seballa, Touzella et Saker. Ces plus anciens quartiers remontent à l’ère ottomane comme ceux d’Oued Erromane, Oued Ettarfa et El Qadous en référence à un ancien hameau mauresque où les tribus venues d’Andalousie s’attelaient à la fabrication de canalisations à base d’argile.

Ce n’est qu’au lendemain de la création du gouvernorat du Grand Alger par décret du 2 août 1997 portant n° 97/292, que Draria a pu définitivement retrouver sa place parmi les communes de la capitale. Elle constitue désormais avec les agglomérations voisines de Douéra, Khraïcia, Baba Hassen et El Achour une circonscription administrative, (daïra) dont le chef-lieu est Draria.

Le toponyme de cette coquette localité du Fahs algérois est sans doute inspiré de la topographie des lieux accueillant la ville. Draria s’orthographiait originellement Draâ Erriah qui sous-entend le territoire ou la plaine éventée, dénomination qui colla par la suite à la principale tribu des Draâriah, avant d’être  léguée à la ville Draria
Draâ, était l’unité de mesure de longueur la plus répandue chez les autochtones, elle correspondait à celle de l’avant-bras. Jadis, les marchands dans les souks utilisaient cette unité de mesure qui correspondait approximativement à ½ mètre. On l’employait également pour évaluer les surfaces.

La plupart des bordures de routes à Draria sont agrémentées de mûriers blancs, une espèce d’arbre qui nous rappelle l’activité de sériciculture  qui s’y pratiquait par le passé. Celui qui n’a pas visité Draria depuis 20 ou 30 ans sera certainement frappé par la rapidité de la croissance urbaine qui est essentiellement due à la réalisation de multiples programmes immobiliers publics et privés ayant favorisé l’émergence de nouveaux quartiers. Cette agglomération vit toujours au rythme de l’essor immobilier, de nombreux chantiers de construction sont encore actifs au cœur de la ville et dans ses faubourgs.

Le foisonnement urbain gagnant les vallées et les collines voisines de Draria a donné naissance, depuis les années 1990, à une toute nouvelle agglomération secondaire appelée Oued Ettarfa dont le tissu urbain est composé d’innombrables lotissements de villas de construction récente.

Ce quartier a été créé sur les espaces situés de part et d’autre de la fameuse route des deux cimetières chrétiens. Un grand mur d’enceinte d’où émergent des lignes de cyprès et pins majestueux délimite chacune de ces deux nécropoles. Celles-ci dépendaient respectivement des deux communes limitrophes de Draria et El Achour. Elles sont séparées de l’ancien chemin rural qui parcourt le quartier de l’Oued Ettarfa de bout en bout. On l’empruntait autrefois grâce aux bêtes telles que les ânes, les mulets, les chevaux, ou encore les véhicules hippomobiles.

En quelques années, Oued Ettarfa a pris des proportions considérables avec ses nombreux lotissements, ses édifices d’utilité publique et ses rues bordées de petits commerces. Aux confins du quartier se voient toujours des paysages naturels à couper le souffle, provisoirement épargnés par le phénomène de la bétonisation. Peut-être les ultimes bouts de terres de la commune qui demeurent à l’état sauvage.

En dépit de la croissance urbaine, on trouve encore dans cette zone quantité de petites maisons qui voisinent avec des bouts de champs de culture épars quelque peu délaissés. Des lignes de cyprès parfaitement agencées sur le bord du chemin, délimitent çà et là les quelques vergers de pêchers,  oliviers et vignes. À certains endroits, la nature semble avoir totalement repris ses droits, à l’exemple de la partie la plus méridionale de l’Oued Ettarfa où la végétation a pratiquement recouvert toutes les pierres qui tapissaient, anciennement, une portion de la route. 

Un profond ravin couvert d’un joli bois d’oliviers sépare cette localité du centre  de Draria. De cette position, on peut aisément observer le Chemin dit des crêtes aménagé sur la rive opposée à celle du quartier de l’Oued Ettarfa.

 

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