Escapade dans le Fahs algérois : Douéra la reine du Sahel algérois

24/06/2023 mis à jour: 06:56
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La petite agglomération de Douéra (*) qui a pris de l’espace pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui, fut construite à l’emplacement d’une ferme appelée haouch Douéra, ayant appartenu naguère à une ancienne tribu locale.  Le toponyme qui lui fut primitivement associé par la population autochtone est celui de Doueyra ou Doueïra, qui sous-entend en arabe la petite maison. En raison des difficultés de prononciation chez les Européens, cette dénomination fut légèrement modifiée en Douira ou Douéra telle qu’elle est orthographiée maintenant. 

 

En 1834, peu de temps avant que cette localité ne soit érigée en commune, l’armée française établit dans la ferme de Bordj Lahmar qui s’y trouvait, un camp militaire. L’objectif recherché était de parvenir à mettre fin à la révolte des tribus coalisées vivant dans la Mitidja et les montagnes qui l’entourent, dont les Hadjout qui formaient l’une des plus puissantes fractions du moment. Les soldats constituaient, jusqu’en 1848, l’essentiel de la population. Des ouvriers et des agriculteurs en provenance d’Espagne, d’Italie et des Iles Baléares, sont venus par la suite grossir le nombre des habitants.

L’installation d’une garnison de soldats dans cette partie du cordon du Sahel algérois n’était pas du tout une idée nouvelle, car en réalité cette dernière s’inscrit dans le prolongement d’une situation qui a existé bien avant. Effectivement, il faut signaler que dans ce site stratégique, les Français ont été devancés par les Romains et les Turcs.
 

Lors de l’expédition qui fut dirigée au milieu des années 1830 contre Blida, les soldats français qui passaient pour la première fois par l’haouch Douéra, témoignaient que ce dernier était dans un état rural et que l’on ne pouvait y apercevoir que des gourbis agglutinés autour d’un vieux bordj turc.

Cinq années plus tard, la campagne cède la place à une agglomération qui avait, à vrai dire, commencé à étendre ses constructions sans aucun plan d’alignement ni concessions régulières. Seules des baraques plantées alentour de l’église et du camp militaire, actuel hôpital civil, en constituaient le noyau urbain initial du bourg qui n’aura en réalité l’aspect d’une ville qu’à partir de 1842.

Parallèlement, la reprise des hostilités au tournant de 1839 rendait l’établissement des nouvelles colonies en Algérie quasi impossible, sans la mise en place de moyens de sécurisation. 

Pour cela, on fit ériger pour quelques villages des enceintes fortifiées et des tourelles défensives, pour d’autres localités comme Ouled Fayet, Chéraga ou Douéra, on fit aménager un talus de terre et un fossé avec tours de garde placées à différents endroits.

Les migrants amenés d’Europe et du pourtour méditerranéen n’habiteront de vraies maisons qu’après avoir longtemps séjourné sous des tentes ou dans des baraques de planches. Les natifs, eux, vivaient dans des gourbivilles plantés dans la périphérie des villages.

Douéra sera plus tard entourée d’une clôture en maçonnerie d’une longueur de 2252 mètres, couronnée par des miradors. La moitié de l’enceinte haute de trois mètres et percée de créneaux fut achevée en 1842. Trois portes y donnaient accès par les routes d’Alger de Blida et Maelma.

Le périmètre du village origine de Douéra affectait la figure d’un grand rectangle, dont la superficie  comprenait 30 ha répartis en trois cent concessions, représentant chacune une surface de 10 à 30 ares approximativement.
Quarante-trois individus issus de cinq familles pionnières alsaciennes et trois autres lorraines inaugurèrent la colonie de Douéra.

Les soldats constituaient, jusqu’en 1848, l’essentiel de la population. Des ouvriers et des agriculteurs en provenance d’Espagne, d’Italie et des Iles Baléares, sont venus par la suite grossir le nombre des habitants.

Comme dans tous les centres de colonisation en voie de fondation, on attribua aux familles européennes qui venaient juste d’arriver une parcelle de terrain que l’armée avait préalablement aménagée en même temps que la voirie.

Pendant ses premières années d'existence, la petite colonie de Douéra était confrontée à d’innombrables difficultés liées particulièrement à des conjonctures à la fois sécuritaire, sanitaire et économique. 

A une certaine époque, elle était peu attrayante, sale, boueuse et n'offrait quasiment aucune ressource. Ce climat avait favorisé l’apparition de maisons de débauche et la vente de boissons alcoolisées.

Dans un extrait tiré d’une chronique datant de 1844, classée dans les archives de la commune de Douéra, on peut lire ce témoignage : «Juillet, Douéra est depuis quelque temps en décadence, bien des maisons sont inhabitées. La misère y est à son comble ainsi que la mortalité. Les causes indubitables de ce déplorable état de choses sont le manque de travaux agricoles.

L’activité lucrative mais peu honorable à laquelle se livrent presque tous les habitants, est le débit de boissons. »
En 1852, arrivent dans le bourg les déportés éloignés de France au lendemain des évènements survenus à Paris, une année plus tôt.

Avant que la cité n’ait sa première mairie, les services de l’administration municipale étaient installés dans une maison du bourg couverte de tuile rouge, ayant auparavant servi d’école.

Plus tard, le siège de la commune emménagera l’espace de quelques années dans un vaste édifice qui sera maintes fois remanié. 

Face à cet ancien hôtel de ville, se voit une salle de cinéma vieillotte, convertie désormais en salle des fêtes. Celle-ci a été construite dans des proportions gigantesques avec un fronton immense couronnant sa structure. Les fameuses boutiques à arcades qui jouxtaient naguère ce cinéma ont vu leur architecture profondément modifiée.

En quelques années seulement, la cité rassemblait déjà un grand nombre de petits commerces tels que cafés, restaurants, auberges, épiceries, boulangeries, agences bancaires et une pharmacie. Cette agglomération était bien pourvue en infrastructures et services publics parmi lesquels un solarium, un grand hôpital, un moulin à vapeur, une salle des fêtes et de cinéma, des abreuvoirs et des lavoirs.

Des travaux y furent également entrepris par l’aménagement d’une place publique et une fontaine avec jet d’eau. Le village comptait alors vingt maisons de deux ou trois étages, élevées en pierres. 

Ces dernières années, nombre de ces villas furent rasées, à leur place se dressent désormais des immeubles de toutes natures et de toutes les dimensions. 

Ces nouvelles constructions ont changé radicalement l’aspect général urbain de la ville, au point qu’on ne pourrait reconnaître son ancien quartier si on n’a pas fréquenté les lieux de longue date.

En 1852, les récoltes des terres qui y étaient mises en culture produisaient une grande variété de céréales comme le blé, l’orge, le seigle, l’avoine et le maïs. Hormis les vastes prairies vouées au pâturage, on y cultivait, aux alentours de 1912, murier, coton, vigne, tabacs, olivier, oranger, citronnier et mandarinier.

L’industrie se résumait au tout début de la colonisation, comme dans la plupart des agglomérations voisines en voie de création, en quelques distilleries, fabriques de liqueur et briqueteries.

Chaque jour, quelque 150 calèches et diligences transportant les voyageurs transitaient, en ce temps-là, par Douéra qui était considérée comme la première station sur la route d’Alger. Elle était desservie, à l’instar de beaucoup d’autres petites bourgades de l’Algérois, par des compagnies de transport en commun.  

Le journal Le moniteur dans son édition du 16 octobre 1840 nous apprend qu’une diligence faisant partie d’un réseau de liaisons routières entre Douéra et Dély Ibrahim, fut attaquée par des bandits, douze jours plus tôt, en un lieu situé à mi-chemin entre ces deux communes, à hauteur du poste dit de la borne. 

D’après les premiers éléments de l’enquête qui avaient été recueillis sur place, il s’agissait d’un hold-up audacieux exécuté par un gang qui était bien informé du chargement d’un gros butin dans le carrosse.

En 1902, l’accroissement continu du patrimoine bâti par la construction d’infrastructures et de bâtiments toujours nouveaux, donnait une impulsion considérable à la ville tout entière qui occupait déjà, en ce temps-là, une place de premier ordre dans le Sahel algérois. Plus, cette situation lui valut le statut de capitale du Sahel algérois ou mieux encore, la reine du Sahel algérois.

 

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