Dans ses créations les plus récentes, la personne disparaît. Il ne reste que des enveloppes vides d’habits, des «fantômes» («Substitutes»), ou la peau d’un corps absent («Skins»), note l’artiste, décrivant une évolution «lente» devant «la progression de notre monde».
Ferrari obèses, parterre de cornichons et étreintes de saucisses: le plasticien autrichien Erwin Wurm, à l’honneur à Vienne, appelle à regarder les choses «sous l’angle de l’absurde», mais derrière l’humour pointent une critique des normes et le désespoir devant l’état du monde.
«Je voudrais inviter le public à adopter une autre perspective», explique l’artiste de tout juste 70 ans dans un récent entretien accordé à l’AFP, à l’occasion d’une rétrospective de son œuvre au musée Albertina Modern. «Tout ce qui nous entoure paraît normal» au point qu’on «n’observe plus» rien, poursuit-il, espérant pousser par ses sculptures fantaisistes les visiteurs à «voir mieux et différemment».
Au fil de sa carrière, retracée par 170 pièces des années 1980 à nos jours, Erwin Wurm s’est amusé à faire enfler des voitures de luxe, à faire déambuler des sacs de luxe sur des jambes géantes, à rétrécir des maisons ou encore à empiler des couches de vêtements. Une réflexion sur la société de consommation, les normes sociales, le diktat de l’apparence et même l’identité quand il détourne les cornichons et saucisses, emblématiques de la gastronomie du pays alpin. «Il aime utiliser les objets du quotidien pour en faire des éléments abstraits et les élever au rang d’art», décrypte la commissaire Antonia Hoerschelmann, saluant «un des artistes autrichiens les plus reconnus internationalement».
«Fantômes»
Né en 1954 dans la région de Styrie, le jeune Erwin Wurm «voulait devenir peintre» mais après l’examen d’entrée à l’université, il est admis dans une classe de sculpture. «Ce fut un grand choc au début, j’étais frustré et triste mais je me suis dit que c’était peut-être un défi à relever et je me suis mis à repenser», à déconstruire la notion de sculpture, raconte-t-il. Il s’est donc mis à travailler sur «le volume, la masse, la temporalité» en modifiant tout ce qui l’entourait et en créant des sculptures éphémères plus adaptées à notre époque, loin des chefs-d’œuvre «pour l’éternité de Michel-Ange».
A travers ces «One Minute Sculptures», qui invitent par exemple à s’allonger une minute sur des balles de tennis ou se glisser dans des pulls, le plasticien appelle les visiteurs «à se rapprocher de l’œuvre, à se mettre en scène pour créer un lien». «Ici les gens peuvent écrire leur nom sur la façade», dit le plasticien barbe et cheveux poivre et sel à l’allure juvénile, assis sur les marches de l’école de son enfance reproduite à moindre échelle («School», présenté pour la première fois). Comme dans la «Narrow house» conçue en 2010 et représentant la maison où il a grandi, «on est saisi par une impression de claustrophobie quand on y pénètre», reflet de la «rigidité de la société autrichienne d’après-guerre», explique-t-il.
«Cauchemar»
Dans ses créations les plus récentes, la personne disparaît. Il ne reste que des enveloppes vides d’habits, des «fantômes» («Substitutes»), ou la peau d’un corps absent («Skins»), note l’artiste, décrivant une évolution «lente» devant «la progression de notre monde». «La façon dont on se traite l’un l’autre, dont on traite la nature, c’est impensable, terrible, un cauchemar», souffle-t-il, confiant sa «peur» devant «un futur dystopique». Pour autant, pas question de détourner les yeux. «Je préfère regarder vers l’avenir que de retourner sur mes pas», dit encore Erwin Wurm, avouant d’ailleurs avoir été un peu «effrayé» par cette idée de rétrospective semblant sonner le glas de sa carrière. «Je suis bien vivant, j’aime travailler et je veux continuer à développer de nouvelles idées», lance-t-il, toujours prêt à déployer sa loufoque imagination.