Morade Kobzili possède plus de 40 ans d’expérience dans l’hôtellerie, dont plus de 10 ans en tant que directeur général et membre du directoire en charge des finances d’une société immobilière et hôtelière en Algérie. Expert-comptable spécialisé en Asset management hôtelier et ingénierie financière, il enseigne à Paris dans une école hôtelière de luxe sur le management des organisations et la stratégie financière, ainsi qu’à l’Insag à Alger dans le cadre du MBA en hospitality management.
Entretien réalisé par Kamel Benelkadi
Comment décririez-vous l’évolution du marché hôtelier en Algérie au cours des dix dernières années. Quels sont les principaux défis et opportunités ?
Au cours des dix dernières années, le parc hôtelier a connu une croissance notable en capacités et modernisation des infrastructures. En 2013, le pays comptait 1200 hôtels et au 31 décembre 2023, il est de 1638 hôtels (dont 140 hôtels publics+ collectivités locales), soit une progression d’environ 37% en 10 ans. Un autre signe encourageant est l’augmentation du tourisme saharien grâce à la mise en place du visa de régularisation, un axe de la stratégie touristique algérienne (une évolution +38% pour les touristes non résidents entre 2022 et 2023).
Le marché du tourisme suscite un grand intérêt des groupes hôteliers internationaux qui apportent leur enseigne via des contrats de management ou de franchise. Actuellement, 6 groupes internationaux sont présents en Algérie (Mariott, IHG, Hyatt Regency, LouvreHôtel, Accor, Best Western) avec 18 enseignes internationales réparties sur 29 hôtels. Mais le développement du parc reste insuffisant. L’Algérie a reçu en 2023 plus de 3 millions de touristes, et la contribution du tourisme au PIB est d’environ 1,07%, alors que les autres pays du Maghreb se situent entre 9 et 14 millions de touristes par an avec une contribution du tourisme dans le PIB qui oscille entre 8 à 14%. L’Algérie dispose d’un potentiel largement sous-exploité, alors que le pays dispose de meilleurs atouts pour être à moyen et long terme le leader du tourisme au Maghreb, tels que son patrimoine culturel, son capital humain et la poursuite de la modernisation de ses infrastructures (actuellement, l’Algérie dispose de 13 aéroports internationaux desservant 33 pays).
Quels sont les principaux défis et opportunités auxquels font face les hôtels dans le pays ?
L’hôtellerie en Algérie fait face à plusieurs défis : manque de formation professionnelle et valorisation des métiers de l’hôtellerie et de la restauration. Actuellement, la formation est concentrée principalement sur 5 écoles (3 instituts : ENST Alger, Tizi Ouzou, Boussaâda et 2 écoles hôtelières ESHRA Alger et ESHRA Oran).
Ces instituts forment en moyenne par an 1000 étudiants. C’est très insuffisant pour répondre aux besoins du parc hôtelier actuel et à venir (selon les statistiques de la DG du ministère du tourisme, il y aurait 2235 projets hôteliers enregistrés dont plus de 1400 non encore lancés). Il est urgent de lancer une réflexion en associant les professionnels et les experts internationaux de l’hôtellerie pour étudier de quelles manières nous pouvons déployer des académies de formation orientées vers la formation des équipes opérationnelles aux standards internationaux (service étage, service hébergement et restauration). Je préconise de définir des programmes spécifiques pour renforcer les softs skills qu’exige la fonction de directeur d’hôtel avec un objectif de favoriser l’émergence de directeur/trices algérien/nes). Le tourisme est très pourvoyeur d’emplois.
Sur les projets d’hôtels enregistrés, on estimerait le nombre à créer à 110 000 incluant les emplois indirects. Il serait nécessaire d’assouplir la réglementation de l’octroi d’un agrément pour gérer un hôtel, car depuis 2019, il est exigé qu’un directeur d’hôtel doit avoir un diplôme en hôtellerie. Je suis favorable à encadrer le secteur, mais nous ne pouvons pas nous priver de la compétence de collaborateurs à haut potentiel disposant de plus de 20 ans d’expérience professionnelle dans des groupes internationaux, réduire les délais de délivrance des permis de construire, faciliter les formalités d’obtention des autorisations d’exploitation et favoriser la promotion touristique encore très insuffisante pour attirer plus de visiteurs étrangers.
Il faut aussi moderniser et assouplir les textes relatifs à l’hôtellerie et former les agents d’inspection sur les contrôles qualité, exonérer les commissions de la plateforme de réservation «booking.com» de la retenue à la source de 30% permettant aux hôteliers d’augmenter leurs réservations nationales et internationales. Quant aux opportunités, elles sont nombreuses pour accroître la clientèle domestique et internationale.
Cela inclut la promotion de l’écotourisme et du tourisme saharien, du tourisme culturel, l’octroi des prêts bancaires avec des durées de crédit plus longues (actuellement ces durées oscillent entre 7 et 12 ans, elles devraient être prolongées sur 20 ans s’agissant d’actifs à long terme pour alléger la trésorerie et attirer les investisseurs. Il faut maintenir définitivement le taux de TVA réduit (nous avons obtenu une prorogation jusqu’au 31 décembre 2027) et favoriser le développement de l’hôtellerie économique pour répondre au pouvoir d’achat des Algériens pour lequel l’offre ne répond pas à la demande, cela nécessitera de mieux encadrer les projets hôteliers, intégrer dans les projets hôteliers des espaces MICE (meetings, incentives, conférencing, exhibitions), un bon moyen de développer l’activité des séminaires où l’on constate une forte demande en Algérie.
Quelle est la place des contrats de management et des franchises dans le secteur hôtelier algérien ?
L’accompagnement des propriétaires d’hôtels via des contrats de management ou de franchise est un très bon moyen de standardiser les hôtels aux normes internationales (aspects techniques, qualité du produit et sécurité), d’apporter une meilleure visibilité de la destination Algérie à l’international et profiter des canaux de distribution pour accroître le volume de chiffre d’affaires ainsi que la performance opérationnelle. L’apport de ces opérateurs internationaux permet de stimuler les hôtels indépendants à améliorer leurs standards.
Dans le cadre d’un contrat de management, le propriétaire confie à l’opérateur hôtelier la gestion de son hôtel pour optimiser ses coûts d’exploitation et maximiser ses bénéfices.
Les avantages sont énormes : une excellence opérationnelle basée sur la direction par objectif (DPO) déclinée dans les budgets annuels et pilotée par des revues de performances mensuelles, des systèmes de distribution innovants et performants qui permettront à l’hôtel d’augmenter le nombre de clients et d’améliorer également le prix moyen, tout en réduisant les commissions d’agence. Il permet un programme de fidélité et de capter de nouveaux clients et de bénéficier d’un réseau international de formateurs certifiés (ex. modèle académie Accor ou centre académique Marriott), dont l’objectif est de former les collaborateurs pour garantir une qualité irréprochable. Une force commerciale permettra à l’hôtel de se positionner sur tous les segments du marché (du loisir à l’affaire), d’attirer toutes les typologies de clientèle (de l’individuel aux grands comptes) sur les marchés émetteurs.
L’opérateur s’engage à offrir à ses clients un service hôtelier constant respectant les engagements de la marque. Bien souvent, les propriétaires laissent libre l’opérateur sans contrôle. Un contrat de management nécessite la présence des équipes support experts sur-place pour être plus proches des équipes et très réactives auprès des propriétaires.
Dans le cadre d’un contrat de franchise, c’est le propriétaire qui gère et exploite l’hôtel tout en respectant la charte de la marque. Cette formule a aussi des avantages. Des systèmes de distribution innovants mais surtout performants qui permettront à l’hôtel d’augmenter le nombre des clients et d’améliorer le prix moyen, tout en réduisant les commissions d’agence.
Un réseau international de formateurs certifiés (ex. modèle académie Accor ou centre académique pour Marriott), dont l’objectif est de former et développer les collaborateurs pour garantir ainsi une qualité irréprochable aux clients. Un support marketing de la marque pour les produits et un coût de redevances moins élevé qu’un contrat de management.
Dans le cadre d’un contrat de franchise, le propriétaire est responsable de sa gestion, il ne bénéficie que du réseau marketing et canaux de distribution de l’opérateur hôtelier, générant parfois un coût financier lié aux redevances du chiffre d’affaires et services marchands difficiles à amortir si le propriétaire n’est pas accompagné par un expert du métier pour le pilotage de la performance opérationnelle et la maîtrise des coûts.
Quel rôle joue l’asset management dans l’optimisation de la performance des hôtels ?
C’est une pratique anglo-saxonne largement répandue aux Etats-Unis et qui se développe en Europe. Son premier rôle est lié à la présence d’une activité économique à l’origine des cash-flows : à la différence d’un immeuble de bureaux, les flux de cash-flows générés par un hôtel sont liés à une activité de services. En effet, le client d’un hôtel est à la recherche de prestations de services, voire d’une expérience qui corresponde à ses besoins. Satisfaire les motivations du client est la raison d’être du service hôtelier produit par le gestionnaire et son équipe. Or, le client est de mieux en mieux informé et de moins en moins captif. Ainsi, le propriétaire d’un hôtel se doit de contrôler la capacité de son gestionnaire à délivrer un service adapté à un coût économiquement acceptable.
Si le gestionnaire est une chaîne hôtelière internationale, il cherchera à la fois à satisfaire ses obligations contractuelles, mais aussi à développer son réseau, son profit, voire sa valorisation boursière. L’asset manager sera donc le garant du respect des intérêts du propriétaire (mise en place d’un cadre contractuel qui veille à un partage équitable de la valeur créée, assurer la conformité de la gestion par rapport aux dispositions contractuelles, vérifier l’absence de conflits d’intérêts, chercher un retour satisfaisant sur les dépenses capex (investissements) demandées par le gestionnaire). Son deuxième rôle est plus comparable à celui d’un asset manager immobilier, car un hôtel reste avant toute autre chose un immeuble qui héberge de multiples services délivrés à ses locataires.
Ainsi, un hôtel se doit d’être régulièrement entretenu (dépenses d’entretien) et périodiquement rénové (dépenses d’investissements). Le rôle de l’asset manager est de valoriser l’investissement immobilier en maîtrisant le cycle de vie du produit hôtelier ainsi que le cycle du marché de l’investissement hôtelier. L’objectif de créer de la valeur pour une meilleure valorisation de l’actif. Il faut lui faire appel avant la construction d’un hôtel (indépendant) ou à la signature d’un contrat de gestion ou de franchise, car les effets du contrat sur la valeur de l’investissement sont considérables et durables.
Un contrat mal négocié peut avoir un impact négatif sur la valorisation de l’actif pouvant dépasser 25% (norme européenne). Il est le garant des intérêts du propriétaire avec un objectif de maximiser la rentabilité de l’actif hôtelier, le cash-flow permettant le remboursement des prêts tout en assurant une bonne relation avec le gestionnaire.