Entre tensions géostratégiques et défis climatiques, une remontée de l’inflation dans le monde et en Algérie en 2024

20/01/2024 mis à jour: 23:12
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L’inflation mondiale est en recul mais sa trajectoire en 2024 et sur le moyen terme reste désormais tributaire de nouveaux risques géostratégiques et climatiques, y compris la fiabilité des routes maritimes principales qui a déjà déclenché une hausse des coûts des transports, la relance de l’industrie manufacturière chinoise porteuse potentielle d’une guerre commerciale avec le reste du monde et les tensions au niveau de l’Océan indien et de la Mer de Chine qui peuvent déstabiliser le pôle de croissance le plus important au cours des prochaines décennies. Cet article analyse ces questions très importantes.
 

Pour ce qui est de l’Algérie, l’article considère que si l’inflation mondiale affecte en partie son indice des prix à la consommation en 2024, d’autres facteurs non moins importants de nature domestique (politique budgétaire expansionniste et rigidités structurelles fortement ancrées en matière d’offre et de distribution) vont continuer d’exacerber la crise actuelle du coût de la vie (source de difficultés sociales), d’éroder la compétitivité externe du pays (gênant ainsi la diversification des exportations) et de compliquer toute relance économique saine. Les grands axes d’un plan de lutte contre l’inflation sont proposés.

L’inflation mondiale est en recul mais sa trajectoire en 2024 reste désormais tributaire de nouveaux risques macroéconomiques, géostratégiques et climatiques. Trois facteurs ont contribué à la décélération de l’inflation mondiale en 2023, à savoir la réduction des coûts de l’énergie, la chute des prix des produits alimentaires et des produits de base, et le resserrement des conditions monétaires internationales. En 2024, si ces mêmes forces devraient continuer d’œuvrer à la baisse de l’inflation, des nouvelles tensions géostratégiques et des défis climatiques risquent de relancer l’inflation mondiale. 
 

Les incertitudes sur la direction de l’inflation mondiale ne pourraient alors que compliquer l’orientation des politiques monétaires au cours des mois à venir et partant le renforcement de la croissance économique. Pour ce qui est de l’Algérie, si l’inflation mondiale affectera en partie son indice des prix à la consommation en 2024, d’autres facteurs non moins importants de nature domestique (politique budgétaire expansionniste et rigidités structurelles fortement ancrées en matière d’offre et de distribution) vont continuer d’exacerber la crise actuelle du coût de la vie (source de difficultés sociales), d’éroder la compétitivité externe du pays (gênant ainsi la diversification des exportations) et de compliquer toute relance économique saine. Discutons de ces questions.
L’inflation mondiale a fortement reculé en 2023. 

Elle a atteint 3,9% aux Etats-Unis (6,5% en 2022), 2,9% en zone euro (8,4% en 2022) et 3,9% en Grande Bretagne (9,1% en 2022). A contrario, le Japon en déflation depuis 1990 a poursuivi une politique monétaire ultra libérale qui a permis de faire remonter l’inflation à 3,3 % (2,5% en 2022). Pour sa part, la Chine est entrée en déflation du fait de la fermeture de son économie pendant toute la période de la covid-19, avec une progression des prix de 0,7% (0,5% en 2022). Trois facteurs expliquent la baisse de l’inflation mondiale : (1) une gestion de la demande globale par le biais de la politique monétaire (multiples relèvements des taux d’intérêt en 2022 et 2023 ; (2) une gestion de l’offre par le biais de mesures structurelles et budgétaires pour améliorer les chaines d’approvisionnement mondiales et les offres internes ; (3) l’ajustement des marchés de l’énergie et des produits de base aux perturbations causées par la guerre en Ukraine, ce qui a permis de stabiliser les prix de l’énergie et les coûts des biens alimentaires ; et (4) un rééquilibrage lent des marchés du travail, illustré par des taux de chômage en légère baisse à 3,7% aux Etats-Unis (3,5% en 2022), 6,4% en zone euro (6,7% en 2022) et 4,7% en Grande-Bretagne (4,2% en 2022) freinant ainsi la croissance des salaires, un élément-clé du coût des services. 
 

Atterrissage en douceur de l’économie mondiale en 2024. Les résultats ci-dessus devraient ouvrir la voie à un atterrissage en douceur de l’économie mondiale, avec une moindre inflation et une croissance économique assez faible grâce à une possible détente des taux d’intérêt.  
 

La décélération des prix devrait continuer. Aux facteurs ci-dessus qui vont continuer à faire baisser l’inflation mondiale en 2024, ajoutons deux autres éléments importants : (1) une incertitude de la demande mondiale en pétrole et une hausse de l’output des pays hors OPEP en mesure de neutraliser la stratégie de cette dernière en matière de réduction de l’offre pour faire remonter les prix du baril Brent. 
 

Présentement, ce dernier est à $78 le baril et devrait rester à ce niveau pour le reste de 2024 ; et (2) la chute des prix du gaz en Europe à leur plus bas niveau depuis août 2023 (stockage élevé et baisse de consommation) qui permettra à cette dernière de faire face à un éventuel hiver rigoureux. De ce fait, l’inflation mondiale se situerait, selon le FMI, à 5,8% en moyenne. Elle devrait baisser davantage sans pour autant atteindre les cibles de 2% des principales banques centrales du monde, avec 2,9% pour les Etats-Unis, 3,3% dans la zone euro et 3,7% en Grande-Bretagne. 

Pour la Russie, l’inflation qui a atteint 7,5% en 2023 pourrait remonter davantage à 9% du fait d’un doublement des dépenses de défense en 2024 (6% du PIB, un niveau insoutenable et inflationniste) à moins d’une hausse très forte des taux d’intérêt qui casserait alors la croissance. Par contre, l’inflation demeurera très élevée, entre autres, en Afrique sub-saharienne (10,7%), au Moyen-Orient (10%) et en Afrique du Nord (20,2%). 
 

Une croissance économique résiliente mais anémique. Dans ce contexte, les projections de croissance de l’économie mondiale restent prudentes. Certes, cette dernière restera résiliente mais serait pour l’heure, contenue, selon le FMI, dans une fourchette de 3% en moyenne (un taux inférieur à celui de 3,8% qui prévalait avant la pandémie). Pour leur part, les pays à faible revenu devraient atteindre uniquement un taux de croissance moyen d’environ 3,8% (un taux insuffisant pour compenser la crise du coût de la vie) dont le relèvement impliquerait des politiques favorisant l’accroissement de la productivité. 
 

Une combinaison de nouveaux risques géostratégiques et climatiques pourrait toutefois déstabiliser la croissance et créer davantage d’inflation. Expliquons.
 

La fiabilité des routes maritimes principales et la hausse des coûts des transports : En temps normal, les canaux du Panama et de Suez captent respectivement 10% et 5% du commerce maritime mondial. Ils génèrent des recettes annuelles d’environ $2,5 milliards pour le Panama et $9,4 milliards pour l’Egypte. Pour des raisons climatiques pour le premier (sècheresse des lacs alimentant le canal) et géostratégiques pour le second (tensions liées à la guerre injuste en Palestine), le nombre de navires franchissant ces deux voies de communications maritimes a fortement baissé de 30% et 40%, respectivement depuis novembre/décembre 2023. Trois conséquences immédiates : (1) une hausse de 114 % à $3577 du coût d’expédition d’un conteneur standard empruntant la route Shanghai-Rotterdam (à travers le canal de Suez) ; et (2) des pertes financières pour l’Egypte de $4 milliards et $0,2 milliards pour le Panama  et (3) une accélération de projets alternatifs en remplacement et/ou complément au canal de Panama de la part des pays sud-américains ayant une façade maritime atlantique ou pacifique, dont les plus avancés sont celui du Mexico Intra Océanic Corridor (en phase finale de construction) et le Capricorn Bi Océanic Corridor, un projet construit en partie impliquant la Bolivie, le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et le Chili. Dossier à suivre. 
 

La relance de l’industrie manufacturière chinoise est porteuse de risque d’une guerre commerciale avec le reste du monde. En 2023, le modèle économique chinois basé sur l’immobilier et les investissements en infrastructures a montré toutes ses limites avec une baisse de la production industrielle de 11%, un recul de la croissance économique et une érosion de la valeur du yuan de 9%. 

Les autorités ont donc décidé de réorienter leur économie vers le manufacturier ancré sur les énergies nouvelles (batteries lithium-fer, voitures électriques et panneaux solaires). La Chine, déjà leadeur mondial dans ces domaines, compte porter la part du manufacturier à 36 % du PIB. Cette ambition de la Chine ne manquerait pas de conduire à une guerre commerciale avec les pays avancés et les pays en développement qui eux aussi comptent faire de ce secteur un levier de leur croissance future. 
Les tensions au niveau de l’Océan indien et de la Mer de Chine sont un vecteur d’instabilité du pôle de croissance le plus important au cours des prochaines décennies. La Chine compte désormais disputer la suprématie navale des Etats-Unis dans cette région vitale pour l’économie mondiale. 

Cette dernière abrite huit des dix ports à conteneurs les plus fréquentés au monde, enregistre le passage quotidien de 15 millions de barils par le détroit de Malacca, assure 30% du commerce maritime en mer de Chine méridionale (dont $1200 milliards à destination de l’Amérique), représente plus de 10 % de la production halieutique mondiale et contient de forts gisements de pétrole et de gaz naturel. Ajoutons la présence de Taiwan producteur de 90% des semi-conducteurs les plus avancés indispensables à l’intelligence artificielle et allié des Etats-Unis. Les deux pays se sont donc dotés récemment de nouvelles stratégies sécuritaires pour la région et ont investi lourdement sur le plan militaire. Cette région, pôle de croissance du futur, ne manquera pas de devenir un lieu de fortes tensions géostratégiques avec des impacts forts sur l’économie mondiale.  
 

L’inflation en Algérie ou l’urgence de mettre fin en priorité à la grave crise du coût de la vie qui empêchera toute refondation indispensable du modèle économique et social du pays. 

Premier point : l’inflation est un indicateur de rareté des ressources. Un niveau d’inflation soutenable est soutenable désirable car il régule la distribution de ressources qui sont rares. Mais si l’inflation dépasse de très loin le niveau de la croissance économique (comme c’est le cas aujourd’hui en Algérie), elle devient un facteur de blocage macroéconomique qui pénalise fortement la consommation (les ménages voient leur revenu disponible érodé et leur niveau de vie amputé ce qui peut créer de fortes tensions sociales), la production (du fait de la chute de la demande) et l’investissement (absence de visibilité à moyen terme et facteur de blocage des projets de développement). 
 

La montée de l’inflation entre 2000 et 2023 : (1) Entre 2000 et 2011, l’inflation moyenne était contenue aux environs de 4% (malgré quelques flambées des prix en 2004 et 2009 dues à une hausse des prix internationaux des denrées alimentaires) grâce aux mesures prises par la banque centrale pour absorber l’excès de liquidités dans le secteur bancaire ; (2) En 2012, l’inflation remontait fortement pour atteindre 9%  sous l’effet: (i) d’une hausse des produits alimentaires (principalement les produits frais) ; (ii) d’une demande plus élevée du fait de fortes augmentations des salaires réels et d’autres transferts ; et (iii) d’un accroissement de plus de 20 % du crédit à l’Etat ; (3) En 2013, l’inflation reculait à 3,3% suite à l’augmentation du taux des réserves obligatoires sur les dépôts dans le système bancaire de 9% à 11% et un accroissement de l’absorption de liquidités de 250 milliards de DA (+23%) ; (4) Entre 2014-2016, l’inflation repartait de nouveau à la hausse pour passer de 2,9 % à 8,4% dans un contexte de financement monétaire direct du déficit, d’une forte dépréciation du dinar en 2016, d’une hausse du taux de TVA et d’augmentations des prix réglementés de l’essence ; (5) Pendant la période 2017-2019, l’inflation est en décélération passant de 5,6 % à 2 % suite à l’assèchement de la liquidité bancaire déclenchée par la chute des prix du pétrole ; et (6) Entre 2020-2023, l’inflation globale a connu une forte accélération passant de 2,4 % à 9,3%, son niveau le plus élevé depuis deux décennies en raison : (i) d’une hausse des produits alimentaires, y compris ceux qui sont règlementés (malgré l’absence de hausses de prix officielles) ; (ii) l’adoption de mesures visant à élargir la portée des subventions alimentaires à la suite du choc des prix des produits de base de 2022 ;  (iii) l’augmentation des salaires et des pensions du secteur public ; et (iv) des perturbations au niveau de l’approvisionnement domestique. Pour 2024, l’inflation devrait rester élevée en raison de l’inflation mondiale mais également de la politique budgétaire expansionniste, d’une politique monétaire invisible, de la faiblesse de l’offre et d’autres contraintes structurelles dans la distribution.
 

La dynamique de l’inflation en Algérie. Les données ci-dessus ainsi qu’une récente étude du FMI font apparaitre que les déterminants de l’inflation en Algérie sont de deux ordres :    
 

1. Des facteurs internes : dont : (i) des chocs de l’offre (sécheresse) ; (ii) un output gap persistant ; (iii) des politiques monétaire et budgétaire inadéquates qui, dans le cas d’un pays pétrolier comme l’Algérie créent de l’inflation à court terme par le biais de la masse monétaire, des prix des biens importés et des prix du pétrole et à long terme à travers la masse monétaire et le PIB réel non pétrolier ; et (iv) des facteurs structurels (thésaurisation, spéculation, circuits de distribution déséquilibrés, pratiques commerciales illicites et déloyales et concentration). Ces facteurs pèsent lourdement et expliquent les 2/3 de la variation des prix. 
 

2. Des facteurs externes : dont l’influence est plus marquée depuis 2020 (perturbation des chaines d’approvisionnement mondiales depuis la pandémie, guerres en Ukraine et en Palestine). L’Algérie devra s’attendre à ce que ces chocs externes soient plus fréquents, fragilisant un éventuel ancrage des anticipations d’inflation. Ces derniers contribuent à concurrence d’1/3 à l’inflation globale du pays. 

Comment combattre l’inflation en Algérie ? La crise actuelle du coût de la vie ne peut être résolue uniquement au niveau des symptômes (salaires et pensions) qui ne feront que l’aggraver mais au niveau des causes réelles.  
 

Cinq axes d’intervention à cet effet : (1) un mix macroéconomique (y compris une politique budgétaire renforcée sans laquelle rien ne peut se faire sur le plan de la croissance et de l’inflation) devant agir sur les agrégats qui pèsent sur la demande et in fine l’inflation ; (2) des mesures structurelles visant à agir sur l’offre globale dont l’écart avec la demande globale entraine des pressions inflationnistes permanentes ; (3) des actions structurelles pour renforcer l’efficacité des réseaux de distribution dont les dysfonctionnements entretiennent des tensions sur les prix et causent des pénuries ; (4) des actions devant renforcer l’efficience du canal de transmission de la politique monétaire pour assurer une stabilité des prix ; et (5) des actions pour améliorer la mesure de l’inflation, notamment une révision drastique du panier et de la méthode de calcul de l’IPC (éliminer la dualité d’indices, revoir la pondération pour éliminer le biais en faveur des produits alimentaires, actualiser la période de référence et renforcer la publication). 
 


 

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