En guise de «mise en garde» : La Chine lance des manœuvres militaires autour de Taïwan

20/08/2023 mis à jour: 18:14
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Des hélicoptères militaires chinois volant à proximité de l’île Pingtan, l’un des territoires chinois les plus proches de Taïwan - Photo : D. R.

Les exercices chinois interviennent une journée après la tenue à Camp David, près de Washington, d’un sommet tripartite Etats-Unis, Japon, Corée du Sud pour faire front commun face aux ambitions de Pékin dans la région de l’Asie-Pacifique.

La Chine a organisé hier des manœuvres militaires autour de Taïwan à titre de «sévère mise en garde», après une escale aux Etats-Unis du vice-président de l’île, William Lai, rapporte l’AFP citant des médias d’Etat.

Favori de l’élection présidentielle taiwanaise de l’année prochaine et fervent opposant aux revendications de Pékin sur l’île, ce dernier est rentré vendredi d’un voyage au Paraguay au cours duquel il s’est arrêté à New York et à San Francisco.

La Chine a réagi avec colère en la circonstance qualifiant, samedi W. Lai, de «fauteur de troubles». «Le commandement de la zone est de l’Armée populaire de libération chinoise a lancé samedi des patrouilles aériennes et maritimes conjointes et des exercices militaires de la marine et de l’armée de l’air autour de l’île de Taiwan», a écrit l’agence officielle Chine Nouvelle, citant le porte-parole de l’armée Shi Yi.

Taïwan a déclaré un peu plus tard avoir détecté 42 incursions d’avions militaires chinois dans sa zone de défense aérienne, ajoutant que huit navires chinois ont également participé aux manœuvres. Parmi ces incursions, 26 avions de guerre ont franchi la ligne médiane du détroit de Taïwan, a précisé dans un communiqué le ministère de la Défense de l’île.

Selon l’agence officielle Chine Nouvelle, ces manœuvres sont destinées à tester la capacité des navires et avions chinois «à prendre le contrôle des espaces aériens et maritimes» et à combattre «dans des conditions réelles». Elles devaient également servir «de sévères mises en garde à la collusion des séparatistes indépendantistes de Taïwan avec des éléments étrangers et à leurs provocations», a ajouté l’agence.

Taïwan a condamné «ce comportement irrationnel et provocateur» et a promis d’envoyer «les forces appropriées pour y répondre (...) afin de défendre la liberté, la démocratie et la souveraineté de Taïwan».

Le ministère taïwanais de la Défense a pour sa part déclaré que «le fait de mener un exercice militaire (...) sous un faux prétexte non seulement ne contribue pas à la paix et à la stabilité dans le détroit de Taïwan, mais met également en évidence la mentalité militariste» chinoise.

De son côté, Washington a appelé au calme à propos du voyage de W. Lai, qui selon les autorités taiwanaises n’a fait que «transiter» par le sol américain avant de se rendre au Paraguay pour assister à l’investiture du président élu Santiago Pena.

La Chine s’oppose à tout contact officiel entre les pays occidentaux et Taïwan, qu’elle considère comme une de ses provinces.

William Lai a reçu l’investiture du Parti démocratique progressiste (DPP) pour briguer la présidence en janvier 2024 et succéder à la présidente Tsai Ing-wen, dont le second mandat s’achèvera alors. Samedi, le ministre taïwanais des Affaires étrangères a accusé la Chine d’essayer de «façonner» les élections de 2024 à Taïwan.

«La RPC a clairement indiqué qu’elle souhaitait influencer les prochaines élections nationales à Taïwan», a déclaré Joseph Wu en utilisant l’acronyme du nom officiel de la Chine, sur X (ex-Twitter). «C’est à nos citoyens de décider, pas à notre voisin tyrannique», a-t-il affirmé.

Les relations Pékin-Taipei se sont envenimées en 2016 avec l’arrivée à la présidence de Tsai Ing-wen, qui refuse de reconnaître l’unité de principe de l’île et du continent, comme le réclame Pékin qui intensifie ces dernières années les pressions politiques et militaires sur l’archipel.

La dirigeante du parti DPP défend «l’identité nationale» de l’île et réclame un dialogue «d’égal à égal» avec la Chine. Pékin suspend toute communication et accentue sa pression diplomatique et économique sur l’île.

Comme des avions militaires chinois font régulièrement des incursions dans la zone d’identification de défense aérienne (Adiz) de Taïwan. Une Adiz est une zone, bien plus étendue qu’un espace aérien, dans laquelle les autorités d’un territoire demandent que les aéronefs étrangers s’identifient pour des raisons de sécurité nationale.

Les Etats-Unis, qui ont accordé leur reconnaissance diplomatique à la République populaire de Chine en 1979, restent l’allié le plus puissant de Taïwan ainsi que son principal fournisseur d’armes. Début octobre 2021, Taipei et Washington ont confirmé la présence de soldats américains sur l’île.

En mai 2022, le président Biden a répondu par l’affirmative à la question de savoir si les Etats-Unis défendraient militairement Taïwan. Peu après, la Maison-Blanche a rapidement précisé que la position américaine sur Taïwan n’a pas changé et a réitéré son engagement envers la politique d’«une seule Chine».

En août de la même année, la présidente de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi, a effectué une visite dans l’île suscitant des représailles chinoises, avec des manœuvres militaires de grande envergure, encerclant l’île le 4 août et des tirs de missiles une semaine durant.

Mme Tsai Ing-wen a rencontré, le 5 avril dernier, le successeur de Mme Pelosi, Kevin McCarthy, à Los Angeles. Pékin menace de représailles. Le 8 avril, Pékin annonce trois jours d’exercices militaires autour de l’île.

Autre ère autres défis

Les manœuvres militaires chinoises de vendredi interviennent, alors que le président américain, Joe Biden, a accueilli, la veille en sommet à Camp David près de Washington, les dirigeants du Japon et de la Corée du Sud pour constituer un front uni dans la région du Pacifique.

«Nous avons écrit une page d’histoire aujourd’hui avec ce premier sommet et en prenant l’engagement de nous rencontrer, à ce niveau, tous les ans», a déclaré le président américain, aux côtés du Premier ministre japonais, Fumio Kishida, et du président sud-coréen, Yoon Suk Yeol, pour une conférence de presse. A cette occasion, il a annoncé que les trois pays se consulteraient «rapidement» à l’avenir face aux «menaces» les visant.

De son côté, Yoon Suk Yeol a estimé que la rencontre ouvrait un «nouveau chapitre» dans les relations entre les trois pays, tandis que Fumio Kishida a évoqué leur «détermination à ouvrir une nouvelle ère».
Dans une déclaration conjointe publiée vendredi, les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud ont condamné le «comportement dangereux et agressif» et les «revendications maritimes illégales» de la Chine, sur fond de tensions entre Pékin et les Philippines autour d’un atoll disputé.

Dans ce texte commun, baptisé «L’esprit de Camp David», ils ont «réaffirmé l’importance de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taïwan». «Ce sommet n’était pas consacré à la Chine», a observé Joe Biden, mais il a reconnu que «la Chine (avait) évidemment été un sujet», vendredi à Camp David.

Le président américain, qui a récemment qualifié la deuxième puissance mondiale de «bombe à retardement» en référence à sa situation économique et démographique, a affirmé néanmoins qu’il espère toujours rencontrer le président chinois Xi Jinping «cet automne».

Depuis Camp David, les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon ont également appelé une nouvelle fois la Corée du Nord à «abandonner son programme nucléaire et de missiles balistiques». Les trois pays vont mettre en place un programme d’exercices militaires conjoints sur plusieurs années.

Mais selon le principal conseiller à la sécurité de la Maison-Blanche, Jake Sullivan, cette coopération renforcée n’est «pas un Otan pour le Pacifique». Washington, Tokyo et Séoul entendent également coopérer en matière économique, par exemple via un mécanisme d’alerte censé signaler les risques de pénurie de certains produits ou matières premières.

Pékin ne cache pas son hostilité face à ce dialogue à trois. Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a mis en garde récemment Séoul et Tokyo : «Vous pouvez blondir vos cheveux ou faire affiner votre nez autant que vous voulez, vous ne serez jamais Européens ou Occidentaux (...). Nous devons savoir où sont nos racines.»

Il a appelé la Chine, la Corée du Sud et le Japon à «travailler ensemble». Washington voit néanmoins que le Japon et la Corée du Sud sont prêts à se tourner vers l’Occident, et l’un vers l’autre, sachant que les deux puissances asiatiques sont depuis longtemps en désaccord sur des questions historiques relatives à l’occupation coloniale japonaise de la péninsule coréenne de 1910 à 1945, où ont cours l’esclavage sexuel et le travail forcé.

Entre-temps, Tokyo et Séoul partagent les mêmes préoccupations face à la Corée du Nord et la Chine. Comme ils sont alignés sur Washington pour dénoncer l’offensive russe en Ukraine. «Nous ne parlons pas d’un jour, d’une semaine ou d’un mois. Il s’agit de décennies» de coopération, a soutenu vendredi J. Biden.

Mardi, le Président a qualifié le Japon de «partenaire», montrant la volonté de Séoul de renforcer ses liens avec Tokyo face aux menaces nucléaires de la Corée du Nord. Lors d’une cérémonie d’anniversaire de la libération de la Corée du Sud, le 15 août, il a déclaré que les deux pays sont «désormais des partenaires partageant des valeurs universelles et poursuivant des intérêts communs».

Ainsi, face au dirigeant nord-coréen Kim Jong Un qui a appelé à accentuer la production d’armes y compris nucléaires, Y. S. Yoon cherche à apaiser les tensions avec le Japon, tout en poursuivant le rapprochement de Séoul avec Washington.

L’an dernier, le président Yoon a proposé à Pyongyang un plan d’aide qui comprendrait une aide alimentaire, énergétique et d’infrastructures en échange de l’abandon par le Nord de son programme d’armes nucléaires. Plan rejeté par Pyongyang qualifié de «sommet de l’absurdité». Récemment, Kim Jong Un a appelé à intensifier les préparatifs de guerre «de manière offensive» ainsi qu’à «augmenter» la production de missiles.
 

 

 

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