Emprise des changements climatiques sur le patrimoine culturel algérien : Nécessité d’une riposte urgente et pluridimensionnelle

11/05/2024 mis à jour: 00:08
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Le site de la Soumaâ à El Khroub (wilaya de Constantine) a connu une dégradation préoccupante - Photo : D. R.

Des spécialistes citent l’exemple des gravures rupestres existant à Djanet, et qui sont exposées aux risques de l’abrasion par les vents de sable.

L’accélération des changements climatiques, observée ces dernières années dans le monde, menace gravement, non seulement la faune et la flore, mais également le patrimoine culturel de notre planète. Les métamorphoses naturelles, telles que l’immigration de nouvelles espèces et les bouleversements phénologiques, s’intensifient, fragilisant davantage les écosystèmes et les vestiges historiques.

C’est dans ce contexte préoccupant que le Musée national des arts et des expressions culturelles traditionnelles palais Ahmed Bey de la ville de Constantine a organisé récemment un important séminaire pour explorer les impacts des changements climatiques sur les sites archéologiques et le patrimoine culturel algérien. Les intervenants ont unanimement souligné les effets délétères des changements climatiques sur le patrimoine culturel.

Chercheur au Centre de recherche en aménagement du territoire de Constantine (CRAT), Dr Saifi Merdas, a mis en avant la hausse alarmante des températures, accentuée par la déforestation croissante. Cette disparition du couvert végétal entraîne une augmentation des gaz à effet de serre, notamment le CO2, qui fragilise les structures bâties, en particulier les sites archéologiques.

Cet expert a révélé que des études scientifiques confirment un dérèglement des saisons et une augmentation sans précédent des températures par rapport aux siècles passés. Cette mutation climatique est susceptible d’entraîner des migrations d’espèces végétales, bouleversant davantage les écosystèmes déjà fragilisés. L’impact des changements climatiques sur les cèdres de l’Atlas en est une illustration flagrante. 

Selon Dr Merdas, les étendues plantées par cette espèce emblématique se rétrécissent inexorablement, menaçant sa disparition d’ici 2050. Le bois de cet arbre noble, utilisé depuis des siècles dans la construction des palais et autres édifices, est ainsi menacé, tout comme d’autres espèces végétales précieuses, surtout que la région de la Méditerranée est la plus touchée par ces changements climatiques.

L’absence de mesures concrètes pour contrer ces dégradations est particulièrement alarmante pour les monuments historiques. «L’Algérie a instauré une politique et des mesures concernant les changements climatiques, mais leur impact sur les sites archéologiques n’est malheureusement pas évoqué», a-t-il déclaré en marge de la rencontre.

Car, note-t-il, tout un écosystème peut disparaître avec la disparition d’une espèce d’arbres. Les matériaux de construction, exposés à l’alternance du chaud et du froid, sont soumis à des abrasions et corrosions croissantes. «Je cite l’exemple des gravures rupestres existant à Djanet, et qui sont exposées aux risques de l’abrasion par les vents de sable.

Les graines vont avoir un effet corrosif sur ces gravures dépendamment de l’augmentation du vent ou la tempête de sable», a-t-il indiqué. Et d’affirmer qu’un projet de recherche abordant l’impact du climat sur ce genre de sites archéologiques à Khenchela, Skikda, Constantine et autres régions est en voie de concrétisation.

Le but est d’étudier le degré de la détérioration. Parmi les efforts déployés, notre interlocuteur a souligné l’approche pluridisciplinaire adoptée par le CRAT pour mettre la lumière sur sujet, en publiant des travaux de recherche en arabe et en anglais pour s’ouvrir sur d’autres horizons. Pour ce qui est des solutions, Dr Merdas a insisté sur l’implication du citoyen dans les mesures à appliquer et à adopter par l’État.

La numérisation, un outil indispensable 

Outre la recherche scientifique, la numérisation s’impose comme un outil indispensable pour la préservation du patrimoine culturel algérien. Dr Meriem Seghiri, architecte et docteure en archéologie au CRAT de Constantine, a souligné la dégradation préoccupante de certains sites archéologiques, tels que le mausolée de la Soumaâ dans la ville d’El Khroub (wilaya de Constantine).

Cette dégradation physique, qui se manifeste par l’apparition de fissures, s’accompagne d’une dégradation biologique due à la disparition de la flore environnante. L’archivage numérique constitue dans ce sens un véritable «gilet de sauvetage» pour la restauration ou la restitution des monuments en cas de dommages.

Si des initiatives de numérisation ont déjà été lancées pour certains sites, elles restent encore insuffisantes. «Ce n’est pas suffisant par rapport à nos richesses et à ce que nous avons dans notre pays. Mais, nous faisons de notre mieux, tout en avançant dans une stratégie de numérisation. Actuellement, nous sommes en pleine révision de la loi 04-98 régissant la protection des biens culturels.

En tant que CRAT, notre champ d’intervention est limité, c’est pourquoi nous travaillons en collaboration avec le ministère de la Culture. L’objectif est d’instaurer une stratégie de numérisation, à travers les formations et autres. Après la mise en œuvre de ladite stratégie et à ce moment-là, la numérisation devient suffisante», a déclaré Dr Seghiri. L’urgence de la numérisation est d’autant plus évidente que d’autres pays ont déjà franchi cette étape et s’inscrivent désormais dans une nouvelle dimension, où l’Unesco s’interroge sur la «gestion de la numérisation».

L’Algérie ne peut se permettre de rester à la traîne dans ce domaine crucial pour la préservation de son identité culturelle. Lever les contraintes qui entravent la numérisation, notamment l’autorisation d’utilisation des drones, est également indispensable pour accélérer ce processus. Dr Seghiri souligne toutefois une «certaine flexibilité observée récemment» dans ce domaine, laissant entrevoir une évolution positive.

L’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris en France illustre de manière claire l’importance de la numérisation pour la sauvegarde du patrimoine, selon Meriem Guebaïlia, directrice du musée des arts et des expressions culturelles traditionnelles palais Ahmed Bey de Constantine. «La restauration et la restitution du monument grâce à des supports numériques démontrent le potentiel immense de cette technologie», a-t-elle ajouté. 

La même responsable évoque dans le même sillage le scan 3D réalisé du palais du bey en cas d’éventuels incidents. «Il faut prendre toutes les précautions pour la protection de ces monuments», a-t-elle insisté lors d’un entretien accordé à El Watan. Et de poursuivre qu’au-delà de la numérisation, d’autres mesures s’avèrent cruciales pour préserver le patrimoine culturel algérien.

«Dans le cas des musées, les réserves pour le stockage des pièces archéologiques rares et uniques doivent être installées dans un endroit bien étudié. Les réserves ne doivent surtout pas être exposées dehors tout en facilitant les vols et non plus être conservées en sous-sol en raison des risques des inondations. Les vitrines doivent être incassables, surtout lors des séismes pour diminuer les dégâts. Les musées doivent être réalisés en pleine ville pour faciliter l’accès en cas d’incident. Pour les sites situés en plein air, il faut créer des protections contre l’érosion à l’instar des plantations d’arbres spécifiques ou autres», a-t-elle conclu. 

L’urgence de la situation ne laisse aucun doute, la numérisation du patrimoine culturel algérien est une nécessité impérieuse pour sa préservation durable. En conjuguant leurs efforts et en adoptant une stratégie ambitieuse, les autorités algériennes et les acteurs culturels du pays ont le devoir de protéger ce trésor inestimable pour les générations futures. 
 

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