Ecritures algériennes : Un combat

08/03/2023 mis à jour: 01:05
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La Journée des droits des femmes ne devrait pas être banalisée. Une journée symbolique, certes, mais combien significative pour les Algériennes, comme l’avait formulé l’immense romancière Assia Djebar : «En Algérie, même une pierre serait féministe.» 

Le vécu de la majorité des femmes reste pénible à cause du machisme ambiant, bénin ou agressif.  En Algérie, beaucoup de femmes luttent au quotidien pour conquérir une place active dans la société, par les études, la volonté d’être libre comme la romancière Malika Mokeddem qui a décrit si bien cet état d’esprit.

La littérature ainsi que les associations s’impliquent à leurs niveaux respectifs pour lutter contre la violence faite aux femmes, dans la mesure où, il faut le dire, le code de la famille n’est pas vraiment en leur faveur. Les romancières, poétesses et nouvellistes sont de plus en plus nombreuses à s’exprimer et à raconter le vécu des Algériennes, en rappelant que les écrivains algériens masculins défendent aussi la cause féminine à travers leurs textes fictionnels et leurs prises de position  publiques comme celles de Amin Zaoui ou de Rachid Boudjedra qui a su donner au personnage féminin toute la dimension qu’il mérite, comme celui de la sublime et indépendante Selma dans Le Démantèlement, sans oublier de rappeler les prises de position de Kamel Daoud qui sont hautement significatives. 

Néanmoins, les romancières décrivent la situation de leurs sœurs de l’intérieur, en montrant leurs souffrances avec cette connaissance intime de leur psychologie, comme le fait avec beaucoup de talent Maïssa Bey. 

Ainsi, les Algériennes se sont imposées dans le paysage littéraire et culturel du pays. En effet, la renommée d’Assia Djebar a dépassé les frontières africaines, ayant été élue à l’Académie française en 2005, en ayant été reconnue et donc étudiée dans les universités américaines.  

De La Soif à Femmes d’Alger dans leurs appartements, de La Femme sans sépulture à La Maison de mon père, Assia Djebar a su aborder le rapport et la place de la femme dans l’histoire, des mises en perspective éclairantes. Malika Mokkadem, romancière prolifique avec une écriture où l’intime prédomine et où la révolte gronde au fil des pages comme Nina Bouraoui qui brise les tabous avec ses romans où le «je» prend toute sa place, dans un charivari de mots et d’association d’idées qui happe les lecteurs et les lectrices. 

Taos Amrouche a su s’imposer grâce aux contes et aux proverbes berbères, grâce à des textes comme L’Amant imaginaire, un titre qui défie clairement les tabous. Yamina Mechakra a marqué des générations de lectrices avec La Grotte éclatée, ainsi que Aïcha Lemsine avec deux textes lumineux Ordalies des Voix et La Chrysalide, un titre symbolique qui dit l’espoir de liberté de la femme algérienne. 

Maïssa Bey s’est imposée sur la durée avec une écriture riche où les malheurs des femmes sont dénoncés avec des notes d’espoir sans conteste. La romancière a su mettre en récit des vies de femmes en action comme dans Nulle autre voix qui met en scène la violence faite aux femmes. 

Leila Marouane, au talent de conteuse, dérange à travers ses écrits contre l’intolérance, tout comme Zineb Laouedj, Ghania Hammadou, Malika Boussouf ou Hafsa Zinaï Koudil qui se sont exprimées lors de la décennie noire. 

Les Algériennes furent celles qui ont le plus publié durant cette période sinistre car elles furent les premières victimes d’un système idéologique d’un autre âge. Hafsa Zinaï Koudil a dépeint les «sans voix», ce qui souligne la sienne pour dire que toutes les Algériennes doivent être audibles  à tous les niveaux de la société. 

Les femmes se sont montrées courageuses pour dénoncer l’intégrisme, exhibant au monde une image moderne et positive de l’Algérie. Fadéla Merabet, première féministe algérienne s’est toujours exprimée sans concession. 

D’autres encore, Zehira Houfani, Leila Aslaoui, Myriam Ben, Malika Allel, Hawa Djabali, Nadia Ghalem, Nina Hayat, Leila Nekachtali, Ratiba Naït Saada, Zhor Zerari ou Latifa Benmansour ont publié également, selon leur rythme, pour pousser des cris de colère et pour se raconter de l’intérieur. 

De nouvelles voix se sont fait entendre, comme Salima Mimoune, Lynda Chouiten qui a reçu le Prix Assia Djebar, Djamila Abdelli Labiod, Hedia Bensahli, Hadjer Bali, Meriem Guemache, Keltoum Defous, la poétesse Samira Negrouche, Leïla Hamoutène, ou encore Keltoum Staali qui a reçu le Prix Mohammed Dib 2022 avec La Ville aux yeux d’or, sans oublier la défunte Amina Mekahli. 

Les Algériennes expriment le mal-être féminin dans une société sclérosée tout en défendant un pays qui doit avancer et cela grâce à la ténacité des femmes. Il faut souligner les mises en scène de leurs frustrations, leurs désespoirs mais aussi leurs espoirs, leurs désirs, leurs rêves, exigeant une Algérie ouverte au monde. Leur écriture est celle de la mémoire du passé et du présent pour les générations futures. 

Leurs récits fictionnels se multiplient à travers l’expression du «je», signalant fortement leur volonté de s’affirmer et de revendiquer leur droit au chapitre. L’écriture des Algériennes dénonce les traditions étriquées et le fondamentalisme religieux qui relèguent la femme au second plan. L’identité volontairement moderne des écrivaines algériennes en ce début de XXIe siècle reste, selon moi, le sujet dominant. 

Les Algériennes sont les femmes qui s’expriment avec force en Afrique, en abordant tous les sujets sans tabou car elles savent ce qu’est l’enfermement qui ne dit pas son nom. Elles rejettent le fait d’être d’éternelles mineures, d’être souvent muselées, avec témérité, d’où l’énergie de leur production littéraire qui mérite le respect. 

Benaouda LEBDAI
Professeur des universités et critique littéraire

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