Économie algérienne : Un cadre macro-financier positif qu’il s’agit de transformer en richesses réelles

14/02/2024 mis à jour: 02:19
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Les  mutations géostratégiques, économiques, sociales et culturelles souvent oubliées, survenues depuis quelques années dans le monde, ainsi que celles qui sont appelées à se produire dans un proche avenir, doivent nécessairement trouver leur traduction dans des changements d’ordre systémique, destinés à les prendre en charge et à organiser leur insertion dans un ordre social qui est lui-même en devenir, le monde devant connaître entre 2024/2030/2040 un profond bouleversement du pouvoir économique mondial, et donc s’impose pour l’Algérie l’adaptation au sein d’une planification stratégique.
 

1.-Les réserves de change qui tiennent la cotation du dinar officiel à plus de 70% en rappelant que les réserves internationales d’un pays étant, selon la définition du FMI, l’ensemble des disponibilités composant le portefeuille des actifs que sa Banque centrale détient (devises, or, droits de tirages spéciaux - DTS). Elles  ont  évolué ainsi de 2001 au 1er janvier 2024 : – 2001 : 17,9 milliards de dollars, – 2005 : 56,2 milliards de dollars, – 2010 : 162,2 milliards de dollars, – 2011 : 175,6 milliards de dollars, – 2012 : 190,6 milliards de dollars, – 2013 : 194,0 milliards de dollars, – 2014 : 178,9 milliards de dollars, – 2015 : 144,1 milliards de dollars, – 2016 : 114,1 milliards de dollars, – 2017 : 97,33 milliards de dollars, – 2018 : 79,88 milliards de dollars, – 2019 : 62 milliards de dollars, – 2020 : 44,2 milliards de dollars, – 2021 : 47 milliards de dollars, – 2022 : 61 milliards de dollars. En 2023, selon  la Banque d’Algérie (or monétaire non inclus), les réserves ont atteint 73 milliards de dollars et environ 85 avec les réserves d’or de 173 tonnes et avec  un taux  d’endettement faible d’environ 1,6% du PIB. 
 

L’Algérie possède en 2023 des marges de manœuvres sur le plan macro-financier, étant un pays solvable, malgré un taux de chômage d’environ 14% en 2023, selon le FMI, un fort taux d’inflation 9/10%, qui s’explique fondamentalement par la faiblesse de la production et de la productivité interne, de l’inflation importée amplifiée par la non-maîtrise des  mécanismes économiques et boursiers internationaux, par la dévaluation rampante du dinar dont, le 13 février, la cotation officielle de la Banque d’Algérie est de 134,3876 DA pour un dollar et de 144,8210  pour un euro, et le marché parallèle, pour la même période, l’euro, à l’achat 238,00 DA et à la vente 240,00 dinars algériens, un écart avec l’officiel de 65%, expliquant en grande partie les trafics de marchandises aux frontières, amplifiés pour les produits subventionnés et la corruption via les surfacturations de la dominance ; du poids de la bureaucratie, la sphère informelle contrôlant les  circuits de distribution, de la non-proportionnalité entre les dépenses monétaires et les impacts économiques du fait du mauvais choix d’allocation des ressources. 
 

La dette publique totale globale est estimée, selon le FMI, en 2022, à 63% du PIB, 65,3% du PIB en 2023, et pour le gouvernement algérien 47% en 2023 (source DG du Trésor) car ayant réévalué le PIB en 2023 de 15/20%, donnant donc un ratio plus faible. Mais quel que soit le taux, cela reflète une situation maîtrisable par rapport à bon nombre de pays développés dont  le ratio varie entre 90/120%. Cependant, il existe un dilemme, comment canaliser l’importante masse monétaire au niveau de la sphère informelle
 

2.-. Dans sa note de février 2024 sur la conjoncture économique relative aux tendances monétaires et financières, la Banque d’Algérie au cours des neuf premiers mois de l’année 2023, en septembre 2023, les sommes d’argent qui circulent en dehors du circuit bancaire ont atteint 8026,19 milliards de dinars, dépassant de loin les 7392,8 milliards de dinars enregistrés à fin décembre 2022, représentant le 13 février 2024, 134,31 dinars un dollar, 59,76 milliards de dollars, soit environ 33% du PIB déclaré par le gouvernement de 233 milliards de dollars. 
 

La finance islamique a eu un impact mitigé pour l’instant en Algérie, le volume des dépôts  au niveau des banques étant passé de 546,69 milliards DA en 2022 pour atteindre 623,83 milliards DA à fin juin 2023, soit moins de 8% de la masse monétaire de la sphère informelle. Et ce malgré un important investissement puisque 12 banques agréées opèrent dans la finance islamique, dont six banques publiques et six privées et que le nombre d’agences dédiées à cette activité est passé de 69 agences à fin 2022 à 75 agences à fin juin 2023, et le nombre de guichets bancaires avoisine en juin 2023 les 741. 

Quant aux bureaux de change pour canaliser l’épargne informelle, ils ne sont pas encore opérationnels, bien que  le  23 septembre 2023, le Conseil monétaire et bancaire a adopté un projet de règlement relatif aux conditions d’autorisation, de constitution, d’agrément et d’exercice des bureaux de change. Or, la canalisation de l’épargne informelle n’a de chance d’aboutir que si l’Algérie entame de véritables réformes structurelles, dont l’épine dorsale est la réforme du système financier caractérisé par la lourdeur administrative, les banques publiques en 2022 canalisant plus de 85% du crédit octroyé à l’économie, les banques privées, malgré leur nombre, étant marginales, banques qui doivent répondre aux normes internationales et surtout à la forte concurrence. Sur le plan opérationnel, les bureaux de change ne seront efficaces que si le taux d’intérêt fluctue entre celui du marché parallèle et celui de la cotation officielle avec un l’écart entre 10/15% minimum.
 

3.- Le taux en 2023 devant croître pour atténuer tant l’inflation que le chômage (demande additionnelle par an de 350 000/400 000), en Algérie essentiellement tiré par la dépense publique via la rente des hydrocarbures, se situe à un niveau appréciable comparé à bon nombre de  pays. Pour les  sept plus grandes puissances économiques en Afrique en 2023, en matière de PIB (% du PIB total), nous avons par ordre décroissant : 
Egypte : 398,4 milliards USD (13,9%) ; Nigeria : 390 milliards USD (13,6%) ; 
Afrique du Sud : 380 milliards USD (13,3%) ; Algérie : 224,1 milliards USD (7,8%) ; 
Ethiopie : 155,8 milliards USD (5,5%) ; Maroc : 147,3 milliards USD (5,2%) ; 
Kenya : 112,8 milliards USD (3,9 %). 

 

Rappelons que le Premier ministre avait annoncé le 17 septembre 2023 une révision du calcul du PIB, le faisant passer de 191,91 milliards de dollars, selon les dernières estimations du FMI, à 233 milliards de dollars fin 2022. Pour  le  FMI, lors de sa mission  à Alger du 3 au 14 décembre 2023, la croissance économique devrait atteindre 4,2% en 2023, et pour le ministre des Finances algérien, le taux de croissance a été de 4,1% en 2023 et devrait atteindre +4,2% en 2024. Selon la note de la Banque d’Algérie de février 2024, les exportations de tous les biens ont atteint 41,3 milliards de dollars à fin septembre 2023, contre 47,9 milliards de dollars à fin septembre 2022, donnant en tendance, pour fin 2023, environ 55 milliards de dollars. 

Nous avons une augmentation des importations de biens qui sont passées de 28,9 milliards de dollars à fin septembre 2022 à 31,3 milliards de dollars à fin septembre 2023, ce qui donnerait en tendance 42 milliards de dollars, non compris les services qui ont fluctué de 2021/2023 entre 6/7 milliards de dollars. 

Suite au recul des cours mondiaux du pétrole, le prix moyen du pétrole a atteint 83,1 dollars le baril pour les premiers neuf mois 2023, contre 108,5 dollars le baril pour les neuf premiers mois de l’année 2022. De ce fait, les exportations d’hydrocarbures ont baissé pour atteindre 37,4 milliards de dollars à fin septembre 2023, contre 43,4 milliards de dollars à fin septembre 2022, soit en tendance fin 2023 environ 50 milliards de dollars (non compris les dérivés et représentant avec les dérivés d’hydrocarbures  97/98% des recettes en devises), donnant un total exportation de 55 milliards de dollars fin 2023. 
 

Mais pour apprécier les performances de l’économie algérienne, il s’agit d’analyser la structure des exportations hors hydrocarbures qui, selon les statistiques douanières, ont été de 6,5 milliards de dollars. Les produits dérivés d’hydrocarbures représentent 65,02% du total de la rubrique hors hydrocarbures. 

Ces indicateurs corroborent le rapport de la Banque d’Algérie de février 2024, pour qui, les exportations de biens hors hydrocarbures ont atteint 3,8 milliards de dollars au cours des neuf premiers mois 2023, contre 4,5 milliards de dollars durant la même période 2022, ce qui donnerait en tendance fin 2023 environ  5 milliards de dollars, y compris environ 65% de dérivées d’hydrocarbures. 

Pour bien situer les enjeux des exportations hors hydrocarbures dans le temps, il faudrait donner le volume physique exporté et pas seulement la valeur monétaire en dressant la balance devises nette, retirer toutes les matières premières et services importés en devises et quantifier les subventions, dont les bonifications des taux d’intérêt, et pour les unités fortes consommatrices d’énergie aligner le prix du gaz sur celui du prix international afin de calculer leur rentabilité réelle dans un cadre concurrentiel mondial.
 

4.-L’Algérie est un pays dont les ressources naturelles et humaines sont nombreuses et variées, la position géostratégique particulière (ouverture sur l’Afrique subsaharienne, l’Europe, et le Moyen-Orient), son potentiel touristique très favorable (plages abondantes au Nord, montagnes situées dans plusieurs régions du pays, un immense désert au Sud), ses terres agricoles fertiles sur le littoral et les Hauts-Plateaux et ses importantes potentialités humaines peuvent lui permettre d’accéder, sinon au club des pays avancés, du moins à celui des pays émergents. 

Cependant, il  existe un théorème universel en sciences politiques : 80% d’actions désordonnées, avec un gaspillage des ressources humaines et financières que l’on voile par de l’activisme, ont un impact sur la société de 20% ; mais des actions biens ciblées grâce à une planification stratégique donnent 80% de résultats positifs. L’Algérie doit combattre les faux privilèges, privilégier les critères de compétence, de loyauté et d’innovation comme passerelles de la réussite et de la promotion sociale. 

Dans ce cadre, les exigences de la sécurité nationale impliquent le développement d’une stratégie nationale intégrée dans le domaine numérique, l’identification des menaces cybernétiques et la mise en place de mécanismes de contrôle et de détection efficaces et d’une stratégie de gestion des risques, qui  constituent les principales exigences prospectives pour assurer l’entière sécurité requise pour les infrastructures vitales de façon sûre et permanente, et ce, dans le cadre du dispositif de prise en charge de la sécurité nationale, dans ses dimensions politique, militaire, économique, sociétale, voire technologique. 
 

Parmi les mesures les plus importantes, il s’agit  de   promouvoir l’entrepreneuriat dans le milieu des jeunes et l’inclusion financière, en espérant que la loi sur l’auto-entrepreneur, qui accorde aux entrepreneurs éligibles des avantages fiscaux, avec un régime fiscal préférentiel, au taux de 5% ramené à 0,5% dans la loi de finances 2024, ainsi qu’une couverture sociale, ne soit pas la réédition des effets négatifs des nombreux crédits accordés au jeunes dans le cadre de l’ex-Ansej dont, selon les responsables eux-mêmes, plus de 80% de ces jeunes n’ont pu rembourser les prêts avec des faillites à répétition. 

Pour ce  segment, dont le domaine de l’entrepreneuriat et de l’innovation, de l’instauration du  diplôme universitaire-start-up et le diplôme universitaire-brevet d’invention, ou encore la création du statut de l’étudiant-entrepreneur, cela suppose la relance économique avec un   environnement économique favorable avec les donneurs d’ordre, sinon les découvertes de jeunes génies algériens favoriseront leur exode, à l’instar de ces nombreuses compétences algériennes qui s’expatrient vers  l’étranger, dont il  conviendra  de quantifier les impacts négatifs financiers et surtout sur  le développement du pays.
 

En conclusion, pour réussir les réformes, l’Algérie a besoin de nouvelles intermédiations politiques, sociales, culturelles et économiques, loin des aléas de la rente, afin d’éviter un affrontement direct forces de sécurité-citoyens en cas de malaise social.  Un regard critique et juste doit être posé sur la situation de l’Algérie, sur ce qui a déjà été accompli de 1963 à 2023, et de ce qu’il s’agit d’accomplir entre 2023/2030 au profit exclusif d’une patrie qui a besoin de se retrouver et de réunir tous ses enfants autour d’une même ambition et d’une même espérance, la sécurité nationale et le développement économique et social du pays. 

 

Par Abderrahmane Mebtoul     
Professeur des universités, 
expert international
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