Du médecin généraliste, au médecin de famille spécialiste

19/12/2023 mis à jour: 15:42
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Introduction 

Médecin généraliste de formation, promotion 1982 de la faculté de médecine d’Alger, après un parcours professionnel riche et enrichissant de 42 ans, je termine ma carrière précisément à Aïn Naâdja, une méga cité populaire de la banlieue algéroise avec un statut noble et combien enviable qui m’a été imposé par mes patients, à savoir celui de médecin de famille. 

Après tant d’années d’exercice en libéral, il est de mon devoir de rendre compte de mon expérience en soins primaires, ainsi il m’est apparu que la formation que j’ai acquise n’est plus en adéquation avec les nouvelles demandes sanitaires des patients et c’est avec un ressenti quasi certain que j’affirme que les besoins en soins primaires de notre population ont évolué au moment où la formation du médecin généraliste a stagné depuis des décennies, pour cela j’invite mes confrères généralistes des secteurs public et libéral à enrichir le débat, car seule une vision multiple et des regards croisés permettent de comprendre, d’expliquer des situations complexes et dégager des solutions idoines. 

Modestement j’essayerai autant que faire se peut de signaler cet état de myopie des décideurs d’instaurer un débat franc, serein et apaisé, pour passer du médecin généraliste au médecin de famille spécialiste. Tout en sachant que de par le monde, la médecine générale étant devenue une spécialité médicale à part entière, à l’instar du Family Practice anglo-saxon.
 

Genèse de la revendication pacifique pour la spécialisation de la médecine générale 

Déjà en 2008 en éditorial de la revue Maghreb santé le Dr Larbi Abid titrait : «La médecine générale une spécialité médicale ?» Ainsi il rapporte que depuis la réforme de l’université algérienne en 1971, plusieurs séminaires sur la formation du médecin généraliste ont été initiés par le ministère de l’Enseignement supérieur ou le ministère de la Santé (Sidi Fredj en 1982, Biskra en 1985 et le comité chargé de l’évaluation de la formation médicale installé par le ministère de l’Enseignement supérieur en 2001et qui a cessé d’exister en 2003) Avec comme objectif de former des médecins répondant aux construits sociétaux et aux standards internationaux. 

Se sentant exclus d’un destin qui est le leur, des médecins généralistes de l’Association des médecins généralistes de Mostaganem ont organisé un congrès international les 19 et 20 novembre2008 à l’université de Mostaganem et se sont penchés sur la formation initiale et continue du médecin généraliste, mais surtout pour que la médecine générale s’élève au rang de spécialité, vu qu’il en est ressorti que la médecine générale a ses spécificités (médecine transversale de premiers recours assurant le suivi, la prévention, les soins et le traitement des malades dans une vision à long terme de santé et du bien-être de la société).Mais n’empêche que jusqu’à ce jour le questionnement de la formation du médecin généraliste semble demeurer du ressort des institutions, malgré son essor exponentiel à travers le monde. 

En Algérie, la médecine générale, au lieu de bénéficier d’un grand élan universitaire, se voit assener le coup de grâce à travers le dernier «projet de loi portant loi d’orientation sur l’enseignement supérieur», projet qui la maintient au même statut ; c’est comme si tout doit changer et évoluer, sauf la formation du médecin généraliste. Cela interpelle bien sûr le médecin généraliste que je suis sur cette cécité presque collective

Développer une vision pragmatique pour identifier les besoins des populations 

A travers cette spécialisation, nos élans se projettent sur des soins primaires de qualité en adéquation avec les besoins des individus et une vision médicale psychoaffective socio-économique (pratique centrée sur le patient) dans un territoire donné comme objectif de maintenir les individus bien portants à le rester le plus longtemps possible.

Continuer à apporter des réponses idoines à travers une médecine de qualité et performante aux zones d’ombre qui ne sont pourvues que de médecins généralistes, car nos spécialistes ne sont pas du tout portés à le faire, à l’inverse du médecin généraliste aisément accessible à tout instant et pour longtemps, mais aussi exclusivement l’unique acteur des zones rurales. 

Tout ça… pour ça !

La réforme des études universitaires, étant en quasi crise permanente, a fait reléguer chaque fois au second plan des problématiques diverses et notre revendication majeure demeure l’universitarisation et la spécialisation de la médecine de famille, mais malheureusement nous constatons que cette demande, socle du système de soins a rencontré une oreille sourde. 

Et voilà peut-être la cause de la crise qui justifie encore une fois une réforme de plus et parmi les missions du service public de l’enseignement supérieur, c’est justement d’éviter de pareilles situations critiques par une révision de la loi d’orientation de l’enseignement supérieur avec pour objectif de hisser l’université algérienne aux standards internationaux en matière de formation et de recherche et parmi celles-là, la mise en application de la spécialisation de la médecine générale en vue de corriger les dysfonctionnements afin d’améliorer son adaptation aux exigences nationales et mondiales.

L’enseignement supérieur et la recherche doivent plus que jamais être en mouvement pour relever les défis sociaux, économiques et scientifiques qui se présentent à notre société, permettant l’égal accès aux connaissances scientifiques et technologiques les plus élevées pour ceux ayant les aptitudes nécessaires ; avec finalité le perfectionnement, la réactualisation des connaissances et l’acquisition de nouvelles compétences ainsi que l’amélioration du niveau professionnel avec une assurance qualité optimale. 

De réformes en réformettes nous constatons une difficulté de nos décideurs à se projeter sur une université du futur, à l’instar des pays développés et des pays voisins. Pour cela, nous avons été surpris de l’attitude autistique de nos décideurs qui ignorent notre vœu et notre volonté de faire de la médecine générale une spécialité comme toutes les autres spécialités et de faire tout simplement ce qui se fait ailleurs, sinon c’est encore un autre train de rater pour s’insérer dans l’ère de l’Homo Numéricus. Car à lire, la loi portant loi d’orientation sur l’enseignement supérieur, nous constatons que rien ne présage la prise en charge de notre demande pourtant exprimée depuis des années, à savoir la spécialisation de la médecine générale dans notre pays
Voilà ce qui ressort de ce projet.
 

1.1.2 - La filière de médecine

Article 90 : La formation dans la filière de médecine est sanctionnée par le diplôme de docteur en médecine (médecin généraliste). Article 91 : Le diplôme de docteur en médecine permet à son titulaire l’exercice au niveau des services hospitaliers et dans le cadre de la profession libérale, de prendre en charge les soins de santé primaires de la population, les premiers gestes d’urgences médico-chirurgicales, l’application des mesures de prévention, l’éducation sanitaire de la population dans le cadre des programmes nationaux de santé, ainsi que la communication avec les familles et la société civile. Il lui permet également de participer à des activités de recherche sous l’égide du ministère de tutelle.
 

Omission ou inertie

Dans la loi portant loi d’orientation sur l’enseignement supérieur, la question de la formation et du devenir du médecin généraliste nous semble avoir été omise. Un constat flagrant pour une université qui se projette dans un futur d’innovation qui se targue de l’assurance qualité des formations 3 et comme objectif une numérisation de son environnement mais qui fait preuve d’une myopie grave et d’une inertie caractérisée pour se pencher sur le volet formation du futur médecin de famille spécialiste, encore une sentence ; tout vient d’en haut pour être appliqué sur ceux d’en bas.Il est erroné de penser à un système universitaire qui ne s’intéresse qu’à une frange d’étudiants en médecine pour les faire progresser au lieu de faire émanciper l’ensemble des éléments quand il s’agit de décision politique. 

Nos décideurs devraient reformuler leur perspective s’ils veulent réellement être utiles à la santé publique et au bien commun et vouloir reformer c’est aussi justifier ses décisions et notre revendication est juste.De par le monde et chez nos voisins proches, aux termes de la réforme des études médicales, la médecine générale est devenue une spécialité à part entière et une discipline universitaire.Le souhait de la corporation des médecins généralistes algériens appelle de toutes ses forces en demandant d’acter l’universitarisation de la formation en médecine de famille par le développement d’une filière universitaire dédiée, en instituant un diplôme de médecin spécialiste en médecine de famille.

Entre les médecins généralistes porteurs d’un projet avant-gardiste de spécialisation de la médecine générale et les ministères de l’Enseignement et de la Santé qui ignorent la pierre angulaire de tout système de santé, nous mettons à jour un dysfonctionnement grave qui ne fait que desservir ce projet de réforme en montrant plus des conflits inutiles que des valeurs de compétions saines pour réformer les études médicales 
 

Les médecins généralistes souhaitent en débattre avec les institutions concernées en vu de lever, les réticences et les oppositions pour justifier une demande tout à fait légitime et noble ; celle de demander plus de compétences pour le futur médecin de famille algérien.Notre corporation aplanira les désaccords sur la manière d’intervenir dans les réformes à adopter en levant les obstacles psychologiques de nos décideurs à une réforme de la formation médicale avec une nouvelle vision sur la place du médecin de famille spécialiste dans un but d’améliorer sa formation en sa qualité de portier de tout système de soins (Gatekeeper)
 

La médecine générale en crise doit s’améliorer ou risque de disparaître ?

Pour empêcher cela, nos sociétés savantes et la corporation des médecins généralistes préconisent l’évolution du médecin généraliste en médecin de famille spécialiste, ainsi qui est médecin de tout et de tous, de la naissance à la vieillesse.Sachez que préparer un médecin généraliste à l’écoute de sa société et de ses patients nécessite une formation basée sur la prospective en santé pour répondre aux défis de l’avenir et ainsi assurer au patient algérien un médecin de famille spécialiste avec plus de compétences. 

De nouvelles demandes socio-sanitaires, de nouveaux médecins de famille spécialistes

Le médecin généraliste est l’acteur principal des soins primaires qui peut donner une réponse à 90% des plaintes sanitaires des patients (Carré de White), donnant une meilleure satisfaction sanitaire et économique des usagers (Barbera Starfield) ainsi il offre un système de santé performant .
 

C’est quoi déjà un médecin de famille spécialiste ?

C’est l’acteur de première ligne de tout système de santé (Gate keeper) 
Ainsi une première ligne faible engendre un encombrement des services hospitaliers et des dépenses excessives, avec une insatisfaction de la population en santé engendrant un retard diagnostic et des parcours de soins des maladies chroniques non linéaires non fluides non humanisés par le manque de médecin de famille spécialiste coordinateur. Par contre, une première ligne forte engendre une satisfaction de la population, une meilleure gestion des dépenses en santé et des dépistages précoces des maladies à forte prévalence. 

Pour atteindre cet objectif, le prérequis, reste un médecin de famille spécialiste bien formé avec de nouvelles compétences comme d’ailleurs qualifié par Charles Boelen de médecin cinq étoiles soit : 

Un dispensateur de soins, qui considère le patient à la fois comme individu et comme membre d’une famille et d’une communauté, qui dispense des soins de qualité, complets, continus et personnalisés dans le cadre d’une relation de long terme basée sur la confiance.

Un décideur, qui choisit les technologies utiles, en prenant en compte l’éthique et le rapport coût efficacité, pour optimiser les soins qu’il dispense. Un communicateur capable d’écouter, d’expliquer et de convaincre pour promouvoir des modes de vie sains, donnant ainsi aux individus et aux groupes les moyens d’améliorer et de protéger leur santé. 

Un membre influent de la communauté, qui, ayant gagné la confiance des personnes avec qui il travaille, peut concilier les besoins des individus et besoins de la communauté avec la capacité d’agir au nom de cette dernière.Un gestionnaire capable de travailler harmonieusement avec des personnes et des organismes de l’intérieur et de l’extérieur du système de santé pour mieux répondre aux besoins des individus et des communautés, en faisant une utilisation appropriée des informations sanitaires disponibles.
Propositions pour l’architecture de la spécialisation de la médecine générale

Objectif de la formation du médecin de famille spécialiste

Les nouveaux besoins en soins primaires poussent les médecins généralistes à jouer de nouveaux rôles et pour assurer ces rôles la spécialisation du médecin généraliste est ainsi une demande sociale et sociétale donc en attente d’une réponse politique favorable si on est à l’écoute de son peuple. A travers mon expérience, la pratique de la médecine générale chez nous est basée sur la prévention souvent, le dépistage parfois et une prescription effrénée de traitements symptomatiques, curatifs à moindre fréquence et plus récemment sur la demande pressante des soins palliatifs dans les maladies chroniques comme le cancer.

Par conséquent, les besoins des médecins de famille spécialisés se déclinent en des formations approfondies en santé publique, épidémiologie, prévention, éducation thérapeutique éducation à la santé, gériatrie, soins palliatifs, médico- économie, psychologie, sociologie, anthropologie de la médecine et management médical et en santé, thermalisme, médecine scolaire. Le médecin généraliste, dont la pratique est basée sur le patient, doit se libérer de cette vision obtus du médecin par défaut mais doit devenir un spécialiste à part entière avec un diplôme d’étude spécialisé de médecine de famille et la discipline doit intégrer l’université et être enseignée en post graduation plus tard par des médecins de famille spécialistes.
La formation doit s’étaler sur 4 ans après l’obtention du doctorat en médecine. 
 

Phase d’introduction 1 : 6 mois aux urgences, 6 mois en soins ambulatoires (secteurs privé ou public)
Phase d’introduction 2 : 2 mois pharmacologie et en médico-économie, 2 mois en médecine légale, 2 mois en histoire et philosophie de la médecine, 2 mois d’anthropologie, 2 mois de sociologie et 2 mois de santé publique. 

Phase de spécialisation 1 : 6 mois en médecine adulte et 6 mois en santé de l’enfant. 
Phase de spécialisation 2 : 6 mois en santé de la femme et 3 mois en mangement médical et coordination des soins, 3 mois d’initiation à la recherche et à la rédaction d’articles scientifiques (préparation pour la rédaction de la thèse).

Au bout de 4 ans, une thèse est requise pour l’obtention du diplôme de spécialité qui permet une qualification de spécialiste en médecine de famille, dont la recherche est une partie intégrante de la pratique de la médecine de famille initie un travail de recherche dès l’entame de la quatrième année suivie par maître de stage médecin de famille.

Les thèses doivent porter sur des travaux de recherche parfois à partir de ses patients, études statistiques afin de proposer un avis de prise en charge (épidémiologie diagnostique ou thérapeutique ou un sujet médical historique). 

Par ailleurs avec une possibilité de sur-spécialiser.Replacer le médecin de famille au cœur de tout système de santé par une décision politique et bien sûr assurer une spécialisation du médecin de famille par des médecins de famille spécialistes et des maîtres de stage dans un futur proche. En pratique, c’est aux institutions et aux facultés de médecine de manager ces formations avec l’aide de l’expertise d’autres universités étrangères amies, dans le cadre de la coopération. 
 

Appréhensions des docteurs en médecine recalés au concours de résidanat

Cependant une difficulté est à appréhender, pour les docteurs recalés au concours de résidanat à orienter sur d’autres lieux de pratique, tels que des organisations humanitaires, management en santé et des écoles de formation paramédicales, laboratoires et industrie pharmaceutiques, et journalisme en santé, etc. 

Appel à la volonté politique

Ainsi pour terminer je saisis solennellement les hautes autorités de l’état pour prendre une décision nous concernant, nous étions fiers de nos facultés de médecine durant des décennies et de notre savoir-faire médicale algérien, hélas depuis quelque temps, au cours de nos échanges avec nos confrères généralistes étrangers, lors des congrès nationaux et internationaux, nous éprouvons une frustration, car au moment où ces derniers sont déjà des médecins généralistes ou des médecins de famille spécialistes, avec possibilité de se sur-spécialiser alors que nous, médecins généralistes algériens, nous sommes coagulés à la case départ d’il y a un lustre avec un titre de docteur en médecine, à l’inverse de nos spécialistes qui se projettent sur la su-spécialisation, ce qui du reste aggrave la dissymétrie entre confrères généralistes et spécialistes, car nous pensons que la réforme des études universitaires et particulièrement médicale doit être au cœur de tout projet politique.

Ainsi ces derniers temps, nous avons constaté que nos responsables sont moins friands de discours et sont surtout à l’écoute des doléances de leur peuple pour entendre des vérités et prennent des décisions justes et courageuses. Pour une nouvelle Algérie, nous devons faire preuve d’une nouvelle vision en changeant de paradigme en vue de favoriser la coopération et non la compétition et l’élitisme ou cultiver des conflits inutiles.

Nous demandons, à notre tour en qualité de médecins généralistes, une oreille attentive avec un espoir d’être entendu pour prendre ou faire prendre décision d’instituer la spécialisation du médecin de famille, car seul la volonté politique, peut le faire.

 

Dr BOUKAOUMA ALLAOUA , Médecin Généraliste - Spécialiste
en Mésothérapie.


 

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