Dans l’entretien accordé à El Watan, Salim Kebbab, docteur vétérinaire, estime que des mesures doivent être prises pour réguler la pratique de l’élevage ovin en Algérie. «Des mesures draconiennes doivent être mises en place pour débusquer ces pseudos-éleveurs qui font saigner le citoyen à chaque Aïd El Adha et lors du mois de Ramadhan, ceci non seulement dans un souci de régulation et de structuration du marché (à bestiaux et des viandes), mais avant tout et surtout pour la préservation et la conversation de cette ressource animale, notamment sur le plan génétique. Sachant que l’Algérie est riche de plusieurs lignées ovines», souligne-t-il. Le Dr Kebbab suggère : «Il faut un plan d’urgence et une vision prospective pour l’élevage ovin qui est au premier rang de toutes les productions animales du pays. L’Algérie étant connue traditionnellement comme un pays d’élevage ovin par excellence ; historiquement, l’élevage ovin a, depuis la nuit des temps, tenu une place prépondérante dans l’économie du pays et cette activité économique fait vivre aujourd’hui plus de 10 millions d’Algériens (principalement dans la steppe) et représente une part substantielle dans le secteur de l’agriculture, puisque la contribution de l’élevage ovin se situe, selon différentes études, dans fourchette comprise entre 50 et 60% dans la formation du PIB de l’agriculture. »
- Les éleveurs se plaignent de certains individus qui n’ont rien à voir avec leur activité. Selon eux, la concurrence déloyale imposée par ces derniers risque de faire disparaître le cheptel ovin. Qu’en pensez-vous ?
Il est grand temps de prendre des mesures plus dures, voire répressives en ce qui concerne la pratique de l’élevage ovin par des non-professionnels : les pseudo-éleveurs et les maquignons, les revendeurs qui s’autoproclament éleveurs. Ces gens-là, on les rencontre ces derniers jours sur le terrain, et les vétérinaires les reconnaissent facilement au bout d’une à deux questions.
Certes, il y a eu beaucoup de transformations sociales et économiques au niveau de la steppe, cependant, l’ovin a ses propres professionnels : les éleveurs qui portent encore (comme leurs aïeux) un intérêt pour la brebis et le mouton. Un intérêt qui dépasse la passion et l’altruisme, bien avant que cet intérêt soit d’ordre économique, ceci contrairement aux spéculateurs sans scrupules, qui n’hésitent pas à sacrifier de grands nombres d’agnelles aux fins de boucherie pour quelques dinars de plus.
C’est criminel ! On l’a remarqué sur le terrain, nous les vétérinaires, les vrais éleveurs, même lorsqu’ils ont parfois des soucis de santé, ils n’hésitent pas à vacciner et à porter des soins à leur troupeau avant même leur propre santé. Pour eux, la brebis et l’agnelle, c’est leur vie ! L’agneau et le mouton c’est pour la survie économique et les besoins financiers. Voilà ce qu’on appelle des éleveurs consciencieux et qui méritent toutes les aides de la part de l’Etat.
Des mesures draconiennes doivent être mises en place pour débusquer ces pseudo-éleveurs qui saignent le citoyen à chaque Aïd El Adha et lors du mois de Ramadhan, ceci non seulement dans un souci de régulation et de structuration du marché (à bestiaux et des viandes), mais avant tout et surtout pour la préservation et la conversation de cette ressource animale, notamment sur le plan génétique. Sachant que l’Algérie est riche de plusieurs lignées ovines.
- Justement, nous assistons à ce que les spécialistes qualifient de «lessivage génétique». Qu’en est-il au juste ?
Chaque région du pays est, en fait, le berceau d’une race. Aujourd’hui, au moment où des pays se basent sur la génétique pour développer ses ressources animales en faisant appel aux spécialistes du domaine, l’on assiste chez nous à des croisements sauvages entre différentes races sans avoir recours à des croisement de contrôle (test-cross) au préalable, accentuant ainsi le lessivage génétique de nos races et augmentant le nombre de sujets hybrides avec un taux de stérilité élevé au sein des troupeaux.
A ce rythme, nous allons perdre toute la «pureté» de nos races. Même la Ouled Djellal est aujourd’hui menacée par ce phénomène d’absorption génétique. En effet, tout le monde a dû certainement remarquer dans nos marchés à bestiaux, qu’une grande partie de moutons et agneaux est tachetée d’une auréole «noire» au niveau de la tête et cerclant les pattes du mouton. Ces taches noires seraient, selon nos confrères spécialistes qui travaillent sur la génétique, caractéristiques de la race marocaine dite «Sardi», alors que l’autre appellation de la race ovine Ouled Djellal est la «race arabe blanche» (Trouette, 1929 ; Sagne, 1950 ; Chellig, 1992).
Le problème n’est pas dans la couleur ou plutôt les taches noires, nous avons en Algérie nos propres races noires, à l’image de la «D’men» et une variété du «Rembi», elles sont aussi meilleures voire très recherchées et prisées par certains de nos concitoyens, notamment pour le sacrifice de l’Aïd El Adha. Cependant le noir qui caractérise nos races est particulier, il vire vers le roux brunâtre et en plus, le noir englobe soit toute la tête, soit une moitié de la toison ou bien tout le corps et non pas un noir sous forme d’une tache très prononcée.
Le problème n’est pas dans la race «Sardi» laquelle, faut-il le reconnaître, est à l’instar de la Ouled Djellal une des meilleures races au monde : chacune des deux a ses propres qualités. Toutefois, si le Sardi devance légèrement la Ouled Djellal en termes de gabarit, notre race est de loin meilleure sur le plan de la qualité gustative et organoleptique de la viande ainsi qu’en matière de résistance aux différentes maladies, comme le charbon bactéridien. Inconsciemment, certains de nos éleveurs ont adopté le Sardi ces dernières années en tant que géniteur par des accouplements avec la brebis Ouled Djellal, pour des considérations économiques, à savoir la rentabilité en termes de poids.
Ce qui porte préjudice à l’une des meilleures races du pays. Et donc entacher nos races par l’auréole noire du «Sardi» qui est très spécifique, sachant qu’en génétique le noir est un caractère dominant, risque de faire disparaître toutes les caractéristiques phénotypiques de la Ouled Djellal et des autres races algériennes (Rembi, Taadmit, Berbère, Hamra..) qui sont déjà en danger d’extinction. Il faut savoir que la législation européenne définit une race locale comme «une race majoritairement liée, par ses origines, son lieu, et son mode d’élevage, à un territoire donné» et selon les principes de l’agropastoralisme, pour qu’une race soit dite locale, il faudrait que plus de 50% de son effectif soit lié à un territoire donné.
- Que faudrait-il faire pour préserver ces races ?
Il faut un plan d’urgence et une vision prospective pour l’élevage ovin qui est au premier rang de toutes les productions animales du pays. L’Algérie étant connue traditionnellement comme un pays d’élevage ovin par excellence; historiquement, l’élevage ovin a, depuis la nuit des temps, tenu une place prépondérante dans l’économie du pays et cette activité économique fait vivre aujourd’hui plus de 10 millions d’Algériens (principalement dans la steppe) et représente une part substantielle dans le secteur de l’agriculture, puisque la contribution de l’élevage ovin se situe, selon différentes études, dans une hauteur comprise entre 50 et 60% dans la formation du PIB de l’agriculture.
Des plans qui doivent être mis en place en collaboration avec des spécialistes de la génétique animale issus de plusieurs disciplines, à savoir ceux de la médecine vétérinaire, les ingénieurs zootechniciens en agronomie et les biologistes de la branche animale.
Comme en médecine humaine, où le généraliste oriente vers le spécialiste, l’apport des vétérinaires (généralistes) qui sont sur le terrain s’avère incommensurable en orientant l’éleveur vers le confrère spécialiste. Il faut sensibiliser nos éleveurs via leurs associations, les chambres d’agriculture, les DSA, et les services vétérinaires communaux.
Comme il faut définir en urgence des standards pour d’autres races non encore catégorisées et l’homogénéisation du type par la recherche de la conformité à ses standards, surtout que des chercheurs ont travaillé sur ce plan, mais les conclusions de leurs travaux sont restés en dormance.
Il est grand temps de passer à l’acte sur le terrain. Nous avons une diversité de races, et selon des spécialistes en agropastoralisme, il est très dangereux pour un pays de compter que sur une seule race. Il serait donc judicieux de développer de façon simultanée les races rustiques de la steppe dont l’élevage peut se pratiquer selon un mode allant du semi-extensif au semi-intensif et celles des régions nord du pays, à l’image de la Tazagzawth (la bleue de Kabylie), qui peuvent être exploitées selon un mode intensif.