Dr nadira benabdallah. Coordinatrice en santé scolaire et universitaire : «Protéger nos éléves»

22/12/2024 mis à jour: 16:30
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Photo : D. R.

Dans cet entretien, le Dr Nadira Benabdallah, coordinatrice en santé scolaire et universitaire, partage son expertise sur un enjeu crucial : la lutte contre la propagation de la drogue en milieu scolaire. Elle aborde l’ampleur du phénomène, les facteurs de risque, les substances les plus répandues, ainsi que les impacts psychologiques, physiques et sociaux sur les enfants. Le Dr Benabdallah qui œuvre en étroite collaboration avec l’association «Ettahadi de lutte contre les fléaux sociaux et la prévention contre les drogues en milieu des jeunes» met également en lumière les efforts déployés par les institutions de l’Etat et les associations, tout en proposant des mesures préventives pour protéger les élèves à risque et garantir un environnement éducatif sûr et sain.

  • Pouvez-vous nous donner une idée de l’ampleur du problème de la drogue dans les écoles, notamment primaires, en Algérie ?

Le problème de la drogue dans les écoles primaires en Algérie revêt une ampleur préoccupante, et il est crucial d’intervenir avant que les enfants n’atteignent des étapes critiques, telles que les 4e et 5e années primaires ou la 1re année du cycle moyen, en mettant en place des séances d’éducation sanitaire. Cette situation est exacerbée par plusieurs facteurs : tout d’abord, le taux élevé de divorces expose les enfants à des contextes familiaux instables.

Ensuite, la pauvreté constitue un terreau fertile pour l’engagement dans des comportements à risque. La disponibilité et l’accessibilité des drogues ainsi que l’influence de mauvaises fréquentations contribuent également à cette problématique. De plus, l’absence de supervision parentale, surtout lorsque les parents sont eux-mêmes consommateurs, laisse les enfants vulnérables. L’environnement scolaire, parfois entouré de risques, et l’absence de mécanismes de signalement des comportements louches rendent la situation encore plus difficile à gérer.

  • Quelles substances sont les plus répandues dans le milieu scolaire ?

Les substances les plus courantes incluent le tabac, les solvants comme la colle (Patex) et parfois des drogues légères telles que la «zatla» ou le «haschisch». Ces dernières années, le phénomène a évolué avec l’apparition de substances plus dangereuses comme la prégabaline (Lyrica) et des mélanges toxiques appelés «tchouchna». Ces substances, bien que mal connues des enfants, ont des conséquences graves sur leur santé physique et mentale.

  • Quels sont, selon vous, les principaux facteurs qui contribuent à l’introduction de la drogue dans ces environnements sensibles ?

Selon moi, plusieurs facteurs contribuent à l’introduction de la drogue dans ces environnements sensibles. Tout d’abord, la proximité des kiosques, cafés et salles de jeux crée un accès facile aux substances illicites. La présence de lieux abandonnés ou non surveillés offre également un espace propice à la consommation discrète.

De plus, la curiosité et le besoin d’aventures nouvelles poussent certains à expérimenter, tandis que le désir de s’intégrer à des groupes d’amis ou d’impressionner peut être un moteur important. L’usage de substances pour surmonter la timidité ou se sentir «plus à l’aise» socialement est également une motivation fréquente. Enfin, la tentation liée à des avantages financiers peut séduire ceux qui voient dans le trafic de drogue une opportunité rapide et lucrative.

  • Quels sont les effets psychologiques, physiques et sociaux de ce phénomène sur les enfants ?

Les effets de l’exposition à la drogue sur les enfants sont multiples et touchent différents aspects de leur développement. Sur le plan psychologique, cela peut entraîner des troubles cognitifs, affectant la mémoire, l’attention et les processus intellectuels. Ces difficultés mentales peuvent se traduire par de faibles résultats scolaires, car l’enfant peine à se concentrer et à assimiler les informations.

Sur le plan émotionnel et social, l’impact est également important, avec des troubles dans le développement des émotions, provoquant souvent de l’anxiété et un sentiment d’isolement. Physiquement, la consommation de drogue peut entraîner un retard de croissance et un affaiblissement du système immunitaire, rendant l’enfant plus vulnérable aux maladies. Enfin, sur le plan social, il peut y avoir une tendance à adopter des comportements antisociaux, comme des conduites violentes ou déviantes, ce qui complique encore plus ses relations avec les autres.

  • Quels signes les parents et enseignants devraient-ils surveiller pour détecter une éventuelle exposition à la drogue ?

Les parents et les enseignants doivent être vigilants face à certains signes pouvant indiquer une exposition à la drogue chez un enfant ou un adolescent. Parmi ces signes, on note un changement brusque de comportement ou des troubles de l’humeur, ainsi qu’une hyperactivité ou des difficultés d’attention. Des difficultés d’apprentissage et des troubles sensoriels peuvent également être des indicateurs. Une fatigue excessive ou une agitation inhabituelle, ainsi qu’un absentéisme répété et une perte d’intérêt pour l’école sont d’autres signaux d’alerte à surveiller attentivement. Ces signes, pris isolément ou en combinaison, peuvent suggérer une consommation de substances et nécessitent une intervention appropriée.

  • En quoi cette situation peut-elle affecter l’avenir des enfants et, par extension, celui de la société algérienne ?

Les drogues ne se limitent pas à affecter la santé des consommateurs et la stabilité de leur famille, elles impactent également l’ensemble de la société. Elles engendrent une dépendance chronique, contribuent à un échec scolaire accru et favorisent l’augmentation des comportements criminels. De plus, elles compliquent l’intégration sociale des individus, provoquent une instabilité familiale et génèrent des coûts économiques élevés pour la communauté. A cela s’ajoute la création de zones dangereuses et non sécurisées, dues à la prévalence du trafic de drogues et au nombre croissant de consommateurs, menaçant ainsi la sécurité et le bien-être de la société algérienne.

  • Quels efforts votre association déploie-t-elle pour sensibiliser et protéger les enfants contre ce fléau ?

L’organisation de campagnes d’information et de sensibilisation ciblées constitue une première étape essentielle pour lutter contre les dangers de la drogue en milieu scolaire. Ces initiatives s’accompagnent de la distribution de supports pédagogiques adaptés et de la réalisation de séances thérapeutiques de groupe pour un soutien concret. Par ailleurs, des études épidémiologiques sont menées afin de mieux comprendre les facteurs causaux du phénomène, permettant ainsi d’adopter des stratégies plus efficaces. L’implication active des parents et des enseignants est également primordiale dans la prise en charge des enfants concernés. Enfin, des ateliers éducatifs sont organisés au sein des écoles pour renforcer la prévention et promouvoir un environnement sain et sécurisé pour les élèves.

  • Quelles initiatives concrètes ont été mises en place en collaboration avec les écoles ?

L’intervention d’équipes de santé scolaire (médecins généralistes, dentistes, psychologues) pour des campagnes de sensibilisation dans les écoles : élèves, parents et enseignants. La formation est dispensée via les centres intermédiaires de soins et d’addiction depuis 2022-2023.

  • Quels sont les plus grands défis que vous rencontrez dans votre mission ?

Parmi les plus grands défis rencontrés dans ma mission, il y a d’abord le tabou qui entoure le sujet de la drogue, rendant difficile toute discussion ouverte et constructive. Ensuite, la réticence des familles et des écoles à aborder ce problème demeure un obstacle majeur, limitant les interventions nécessaires. De plus, l’accès aux zones éloignées représente un défi logistique important, compliquant la mise en œuvre des actions de terrain. Enfin, le manque de soutien sociétal pour réintégrer les élèves en échec scolaire constitue un frein supplémentaire, car ces jeunes se retrouvent souvent des laissés-pour-compte sans les ressources adéquates pour leur permettre de se remettre sur la voie du succès.

  • Comment évaluez-vous les mesures prises par l’Etat pour lutter contre la propagation de la drogue dans les écoles ?

Bien que l’Etat ait introduit des campagnes de sensibilisation et adopté des lois strictes, leur mise en œuvre est freinée par un manque de coordination et de suivi. L’implication des partenaires reste insuffisante.

  • Pensez-vous que les campagnes de sensibilisation actuelles sont suffisantes ? Que faudrait-il améliorer ?

Les campagnes doivent être renforcées en multipliant les séances d’éducation sanitaire. De plus, des activités parascolaires devraient être organisées pour occuper les élèves et combler leur temps libre de manière constructive.

  • Quelles actions préventives pourraient être mises en place pour protéger les enfants, notamment au niveau des écoles primaires ?

On peut faire des bilans périodiques pour dépister les signes de stress, d’anxiété ou de troubles psychologiques qui peuvent prédisposer les enfants à la consommation de drogues. Il y a aussi la promotion de l’activité physique en augmentant les heures dédiées aux activités sportives pour encourager une culture du bien-être physique et mental.

Cela favorise un équilibre psychologique chez les enfants et réduit les comportements à risque. L’organisation des campagnes de sensibilisation avec l’implication active des parents en les formant à reconnaître les signes précurseurs de l’addiction, afin qu’ils puissent intervenir rapidement et efficacement. Le soutien psychologique doit être ciblé à l’effet de prendre en charge les élèves identifiés comme ayant des comportements à risque ou des débuts de consommation, pour leur éviter le développement d’une dépendance. A ces actions, il faut créer des associations ou des clubs de sensibilisation au sein des écoles primaires, avec la participation des élèves des classes supérieures (4e et 5e années). Ces initiatives peuvent servir à éduquer et à responsabiliser leurs pairs sur les dangers des drogues, dans un cadre adapté et collaboratif.

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