- Des images choc en Espagne ou Portugal, manque de pluviométrie en Afrique du Nord, comme en Algérie, situation extrême aux USA. Quel état des lieux établissez-vous aujourd’hui ?
Dans le sud du bassin méditerranéen, et dans la Péninsule ibérique, on observe déjà une tendance à la baisse des précipitations hivernales, mais il y a une grande variabilité interannuelle et donc certaines années peuvent être très pluvieuses et d’autres très sèches, comme actuellement. On observe également une saison sèche estivale qui s’allonge.
Si on prend en compte l’augmentation des températures qui amplifie l’évaporation dans les sols et les réservoirs d’eau, le bilan hydrique diminue significativement. Pour le futur, cette situation va empirer et on calcule qu’il y aura une diminution des précipitations de 4% par degré de réchauffement global.
Cela peut sembler peu, car c’est une moyenne, mais cela va s’accompagner d’années sèches de plus en plus fréquentes et des périodes de sécheresse de plus en plus longues. Cela s’accompagnera d’incendies de forêt de plus en plus puissants, des mégafeux dont on n’a pas encore vraiment l’expérience en région méditerranéenne, mais qui sont déjà bien présents en Californie et en Australie.
- L’ONU avait alerté en juillet 2021 que la sécheresse sera la prochaine pandémie, avec évidemment des crises de famine et conflit... Comme une impression qu’on y est à nos débuts ?
Ce problème est mondial, mais en général les régions déjà actuellement en déficit hydrique, comme le sud de la Méditerranée, vont voir ce phénomène empirer, alors que d’autres régions à la pluviométrie élevée (par exemple l’Europe) verront leur pluviométrie augmenter.
Donc effectivement, le manque d’eau dans les régions vulnérables va entraîner des chutes de production agricole et des famines comme on en a vu cette année à Madagascar et ailleurs. Cela risque d’entraîner des migrations et des conflits dits climatiques. Je ne sais pas si on peut parler de pandémie, mais le nombre de morts risque d’être bien plus important que celui de la Covid-19.
Le MedECC qui a publié son rapport fin 2020 confirme qu’on en est au début de problèmes graves si on n’applique pas l’Accord de Paris qui préconise de diminuer drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre afin de limiter le réchauffement global à +1,5°C au-dessus de la période pré-industrielle. Malheureusement la récente COP26 de Glasgow a manqué d’ambition pour nous épargner ce type de catastrophes.
- C’est vrai que les périodes de sécheresse sont des phénomènes cycliques, mais nous assistons aujourd’hui à une situation extrême et sans précédent dans plusieurs pays n’est ce pas ?
Cyclique n’est pas le mot, car il n’y a pas de cycle naturel pour les sécheresses, mais certaines zones faiblement pluvieuses ont toujours connu des récurrences de sécheresses. Le réchauffement climatique, mais aussi l’artificialisation des sols (urbanisation, agriculture intensive) amplifient ce phénomène. C’est particulièrement vrai dans le sud du bassin méditerranéen qui subit une augmentation significative de sa population.
- En votre qualité d’experts ayant une force de proposition, dans quel état d’esprit vous êtes aujourd’hui face à cette situation et à quoi faut-il s’attendre ?
Très en amont, il faut mettre en place un changement radical de notre système économique afin de réduire de manière drastique les émissions de gaz à effet de serre, ce qu’on appelle l’atténuation du changement climatique. Cela veut dire sobriété dans tous les aspects de notre économie et décarbonation de notre énergie.
On pourrait dire que la prochaine COP à la fin 2022 est la COP de la dernière chance, car plus on tarde à mettre en place des mesures visant la neutralité carbone en 2050, plus ce sera difficile de rester à +1,5°C. En parallèle, il faut mettre en place des politiques d’adaptation, qui ne seront efficaces que si l’atténuation est suffisante.
L’adaptation consiste nécessairement à économiser l’eau mais ce sont les décideurs qui doivent choisir les solutions les plus adéquates pour leur population.