En Algérie, la réglementation environnementale est principalement encadrée par la loi n° 03-10 du 19 juillet 2003 relative à la protection de l’environnement dans le cadre du développement durable. Cette loi établit les principes fondamentaux de la protection de l’environnement et prévoit des mesures de prévention et de réparation des dommages environnementaux. Parfois, les entreprises industrielles polluantes ne sont pas assurées contre le risque pollution, même si elles sont tenues de contracter une assurance responsabilité civile environnementale pour couvrir les dommages causés à l’environnement. Expert en assurance, docteur en droit, Djamel Abbaci nous parle, dans cet entretien accordé à El Watan, de la couverture de ce risque et la responsabilité des entreprises industrielles par rapport à ce problème de pollution qui prend de l’ampleur.
Plusieurs wilayas industrielles sont connues pour leur important taux de pollution, comment la loi protège l’environnement en Algérie ?
La loi n°03-10 du 19 juillet 2003 relative à la protection de l’environnement, dans le cadre du développement durable, définit les règles de protection de l’environnement. Les articles 02 et 03 de ce cadre légal précisent la prévention de toutes formes de pollution ou de nuisances causées à l’environnement, en garantissant la sauvegarde de ses composants, en respectant les principes du pollueur/payeur, de précaution, d’information, de participation et d’action préventive et de correction par principe à la source. Il s’agit d’utiliser les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable qui s’imposent à toutes personnes dont les activités sont susceptibles d’avoir un préjudice important sur l’environnement. La correction par principe à la source vise la reconstitution du sol après son exploitation. Cette idée contenue dans la loi 03/10 se retrouve aussi dans la loi minière.
A partir de ce dispositif juridique, nos entreprises industrielles respectent-elles toutes les précautions et les mesures édictées pour protéger l’environnement contre toutes les atteintes dues à la pollution ?
Pas toutes, malheureusement. D’emblée, la notion de pollution que vous abordez dans ce sujet est définie par la loi relative à la protection de l’environnement comme toute modification directe ou indirecte de l’environnement provoquée par tout acte qui cause ou risque de causer une situation préjudiciable pour la santé, le bien-être de l’homme, la flore, la faune, l’air, l’atmosphère, les eaux, les sols et les biens collectifs et individuels. Conscient des risques de pollution pouvant survenir dans l’exercice de l’activité de certaines industries, une autorisation est nécessaire pour toutes les entreprises à caractère industriel en relation avec les articles 18 et 19 de la loi en question. Cette autorisation est délivrée par l’autorité centrale, par les collectivités locales, de wilaya ou communale, ou tout autre organisme concerné par de telles questions. Par comparaison à la visite de risque pratiquée par les compagnies d’assurance avant chaque couverture ou acceptation de risque, la délivrance de l’autorisation prévue est précédée d’une étude ou d’une notice d’impact, d’une enquête publique ainsi que d’une étude relative aux dangers et incidents éventuels. Cette question n’est pas sans importance car elle peut servir à quantifier et à qualifier les risques de pollution, voire même calculer les possibilités de survenance d’un sinistre.
Quel est le rapport avec ces études et la couverture du risque pollution ?
Dans cet esprit, ces études préalables sont nécessaires, aussi, afin de permettre aux assureurs d’acheter auprès du marché des assurances les garanties nécessaires pour une couverture assurantielle. En s’adressant au marché de l’assurance, l’assureur et les réassureurs doivent connaître avec plus ou moins de précision leurs engagements financiers auxquels, éventuellement, ils feraient face. Cette méthode d’approche, qui relève du «risk management», nous pousse à remettre en question la distinction économique faite par les assureurs entre le risque de pollution, en séparant le risque de pollution entre accidentelle et graduelle, précisant tout de même qu’à la différence de la pollution accidentelle, les dommages liés à la pollution graduelle n’apparaissent qu’au-delà de l’échéance des polices d’assurance, parfois des années plus tard.
En tant qu’expert, que pensez-vous de la distinction entre le risque de pollution graduelle ou accidentelle, appliqué par les assureurs ?
Cette distinction, strictement micro-économique, n’a pas de raison d’être du point de vue de la loi sur la protection de la nature et de l’homme car tous les dommages causés doivent être réparés, et ce, quel que soit le risque de pollution à assurer, accidentel ou graduel. Dans ce sens, les textes juridiques suivant, comme le code des assurances, le code civil, ou la loi sur la protection de l’environnement, doivent prévoir des règles juridiques pour la prise en charge obligatoire du risque de pollution sans lui apporter des restrictions financières sous forme de limites de garantie ou d’une définition du risque à la notion accidentelle. Ici apparaît le sens exact du principe : tout pollueur est payeur.
La couverture de ce genre de risque est très coûteuse, quel modus operandi proposez-vous ?
En effet, elle nécessite une organisation ainsi qu’une harmonisation des activités du secteur des assurances dans le cadre d’une police coassurée et coréassurée. Le montage d’une police techniquement particulière, indépendante de la police mère relative à la responsabilité civile générale des entreprises, est nécessaire et doit constituer le risque principal et exclusif, non une extension au risque de responsabilité civile, régie par les articles 124 à 136 et 140 du code civil. Pour montrer l’importance des sinistres dans ce domaine, on peut citer quelques sinistres, tel le cas de Seveso en Italie en 1976, dû à l’émission accidentelle de dioxine qui a coûté 300 millions francs suisses à la firme Hoffmann-La Roche pour les seuls dommages au tiers, c’est-à-dire indemnisation des personnes mais aussi à la dépollution du site, le suivi d’un programme sanitaire et le démantèlement de l’usine. Le deuxième sinistre qu’on peut évoquer aussi est celui de Bhopal en Inde, qui constitue la plus grande catastrophe industrielle dans une usine de pesticides, filiale de la multinationale américaine Union Carbide. L’Etat réclame à ce jour 3 milliards de dollars de dédommagement. Ces deux exemples, qui ne sont pas limitatifs, nous poussent à réfléchir sur l’assurance du risque de pollution industrielle en Algérie.
Selon vous, nos entreprises industrielles sont-elles correctement et techniquement bien couvertes par les compagnies d’assurance algériennes ?
Si le principe de «tout pollueur est payeur» est juridiquement admis dans la loi portant sur la protection de l’environnement, nous allons remarquer, au niveau de certaines polices relatives à l’assurance de ce risque, des conditions de souscription conçues pour réduire, voire exclure de la procédure d’indemnisation les victimes de ces catastrophes. L’exemple de la police de Fertial en est explicite sur ce point car il est contractuellement précisé que les victimes d’un dommage de pollution seraient obligées de s’adresser aux tribunaux pour réclamer une réparation. Aussi, il est à remarquer l’absence de respect d’une procédure de règlement à l’amiable. Le montant global d’indemnisation, fixé par les réassureurs, retenu dans cette police d’assurance de Fertial est limité à soixante millions d’euros (60 000 000 d’euros).
Cette somme suffit-elle à couvrir les dommages d’une catastrophe, comme le fameux sinistre AZF de Toulouse ?
Votre question nous renvoie vers l’importance des conclusions des études d’impact sur l’environnement et les populations qui doivent servir de références assurantielles pour la fixation des sinistres maximum possibles ou, autrement dit, les limites de garanties financières à demander auprès des réassureurs. Ainsi, la prise en charge de ces importantes études justifie la compétence dont doivent disposer les experts techniques et pluridisciplinaires. Ici apparaît aussi l’importance de l’insertion obligatoire de certaines clauses contractuelles d’ordre public dans les polices d’assurance et, par conséquent, modifier en ce sens le cadre légal cité. Sur ce problème d’absence légale de souscription obligatoire de la garantie pollution nous avons remarqué que l’entreprise sidérurgique d’El Hadjar n’est pas assurée contre le risque pollution. Cette question reste tout de même gravement posée car en liaison avec une situation à caractère d’ordre public et pouvant causer des dommages importants que l’entreprise en cause doit prendre en charge assurentiellement. A travers ces quelques explications sommaires, on peut s’intéresser sur la question de l’assurabilité de ce risque dont les contours sont déterminés non pas par rapport l’objet de la loi sur l’environnement qu’on vient de citer mais de manière restrictive en fonction de l’intérêt et de l’engagement financier des compagnies d’assurance constituant le marché national ou international.
Est-ce que les compagnies d’assurances peuvent-elles supporter ce risque ?
Il est évident que le secteur de l’assurance algérienne est demandeur de garanties sur le marché de la réassurance nationale et en grande partie internationale. En s’adressant individuellement aux réassureurs, les compagnies d’assurance ne peuvent couvrir ce risque de manière satisfaisante à cause de l’ampleur des éventuels coûts des sinistres, mais aussi à l’absence de demande pour cette garantie par les industries classées et soumises à autorisation. C’est à partir de là que l’Etat doit intervenir pour l’enrichissement du cadre juridique en question. Il semblerait aujourd’hui dans le monde que la plupart des assureurs et réassureurs considèrent que le risque de pollution nécessite un contrat d’assurance de responsabilité spécifique. En France, par exemple, il existe un contrat particulier Assurpol, qui prend en charge l’assurance et la réassurance de cette garantie. Ce contrat obéit à une gestion particulière et indépendante des compagnies d’assurance, en d’autres termes, c’est un contrat à adhésion pour toutes les compagnies d’assurance intéressées par la commercialisation de ce produit d’assurance. En Algérie, comme pour la souscription de la garantie catastrophe naturelle prise en charge, actuellement, par la compagnie centrale de réassurance et les réassureurs étrangers, il ne serait qu’avantageux que le risque pollution des industriels soit conçu avec ses propres conditions, mais surtout dans le cadre d’une police d’assurance séparée de celle relative à la responsabilité civile générale des entreprises.