Mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres. LaoTseu
Au fil du temps, surgissent des personnages qu’on n’attendait pas, auxquels on n’a pas prêté une attention particulière, mais qui sont devenus héros d’un moment, d’une prouesse politique de haut vol, à contre-courant des conformismes qui les ont fait accéder à la postérité en faisant un bon clin d’œil à l’histoire !
Ainsi en est-il de Dominique de Villepin, auteur d’un coup de tonnerre lors d’un discours le 14 février 2003 qui a fait vibrer Manhattan, agacé l’Amérique et secoué les membres du Conseil de sécurité de l’ONU, qui ne s’attendaient sans doute pas à une telle sortie du ministre français des Affaires étrangères qui se fait la figure de proue de l’opposition à une intervention militaire précipitée en Irak. Il dénonce ses risques et exprime le niet catégorique de la France face à une éventuelle intervention militaire alliée contre l’Irak. «L’option de la guerre peut apparaître, a priori, la plus rapide, mais n’oublions pas qu’après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. Et ne nous voilons pas la face. Ce sera long et difficile, car il faudra préserver l’unité de l’Irak, rétablir, de manière durable, la stabilité dans un pays et une région durement affectés par l’intrusion de la force.»
CONTRE LA GUERRE DU GOLFE
Ce discours aux accents gaulliens, qui défie l’hégémonie américaine, lui vaut le respect et la reconnaissance de ses pairs de l’Assemblée onusienne. Comme lui, dans leur for intérieur, ils pensent la même chose, sans pouvoir le dire. «La guerre que mène Bush est maladroite et non productive. De plus, l’appel à la guerre contre le terrorisme est risqué, parce qu’il donne aux différents groupes insurgés une légitimité et une audience auxquelles ils aspirent. Il valorise le combat qu’ils conduisent avec les armes de l’aveuglement et du fanatisme.» De Villepin met en avant les résultats positifs des inspections de l’ONU. Il remet aussi en question l’affirmation de Powel selon laquelle il existerait un lien entre le régime irakien et Al Qaïda, en se fondant sur les sources françaises de la DGSE. Le discours est applaudi par l’auditoire, fait rare dans cette enceinte d’habitude sage dans un climat plutôt apaisé et solennel. Quelques semaines plus tard, la guerre contre l’Irak est néanmoins déclenchée, emmenée par les Etats-Unis, sans l’aval de l’ONU. Enième entorse au droit, et pied de nez magistral à la paix. Les va-t-en-guerre restent droits dans leurs bottes, non échaudés par le souvenir dramatique du Vietnam.
Résultats des courses, Powel, le ministre de la Défense américain, avait honteusement menti non seulement sur les accointances de Baghdad avec Al Qaïda, mais aussi en faisant croire à l’existence d’armes de destruction massive du côté de l’Euphrate. Pur mensonge, infâme supercherie sur laquelle ce ministre, toute honte bue, viendra s’excuser après la guerre terminée auprès de ses chefs, mais aucun mot pour le peuple martyr irakien. Les Etats-Unis ont fait comme si de rien n’était en regardant ailleurs, alors qu’ils laissent un pays dévasté et écartelé, des dizaines de milliers de morts, un avenir inconnu... Arrogants, les Américains n’ont écouté que leur orgueil et leur intérêt, ignorant les mises en garde de De Villepin. Ces mises en garde, l’historien Henri Amoureux avait pris soin de les consigner dans son ouvrage, en faisant remarquer que Dominique, dans son discours, a insisté sur le fait «que personne ne peut affirmer, aujourd’hui, que le chemin de la guerre sera plus court que celui des inspections».
L’histoire a donné raison au diplomate français. La guerre qui s’est enlisée a été destructrice, menée sous de faux prétextes et enfonçant davantage cette région dans le désarroi, le malheur et le désespoir. De Villepin, prévoyant, avait prévenu, mais on ne l’a pas écouté. Pourquoi ? De Villepin avait-il raison ? L’historien Sudhir Hazar Singh donne la réponse dans son livre How the French Think. «Ce discours du Français est construit sur un rythme d’opposition binaire entre conflit et harmonie, intérêt privé et intérêt général, morale politique et politique de puissance. Il utilise des valeurs considérées comme universelles comme base d’une réflexion politique», explique l’historien britanno-mauricien, conférencier à Oxford, qui a tapé dans le mille.
DES MENACES PLUS QUE JAMAIS
De Villepin est bien le produit d’une culture qui fait du pragmatisme une vertu cardinale. Il est l’échantillon abouti d’une partie de l’intelligentsia française qui a tendance à se raréfier. Il est l’homme de l’efficacité et des résultats. Visionnaire ? Peut-être. Après lecture de son livre, paru il y a 15 ans, La Cité des hommes Plon 2009, j’avoue que j’ai eu un soupçon de certitude. Il y a écrit : «Au tournant du XXIe siècle, d’autres menaces existent : un Moyen-Orient plus dangereux que jamais, une rupture possible de la construction européenne ou encore un raidissement nationaliste de la Chine. Enfin, les crises parachèvent des mouvements de fonds, déjà amorcés de longue date. La dépression de la fin du XIXe siècle a accéléré la montée en puissance des nouveaux pays industrialisés : Etats-Unis, Allemagne, Japon. 1929 a entériné le déclin européen et préparé la bipolarisation entre Russes et Américains.
Aujourd’hui, l’ascension des pays émergents, Chine et Inde surtout, mais aussi avec quelques bémols, Russie, Brésil et Mexique, semble inéluctable. Peut-être seront-ils plus secoués que d’autres, car ils demeurent fragiles. Néanmoins, ils devraient sortir renforcés de l’épreuve. Une nouvelle hiérarchie économique et de nouvelles règles de la compétition se mettent en place.» Cela ressemble aux BRICS, non ? De Villepin aurait-il tout prévu ? En ces périodes troublées, d’effervescence politique, dans un climat de guerre mondiale, dont on annonce les prémices et souligne l’imminence, qui n’augure rien de bon, De Villepin est présent, voire omniprésent sur les plateaux, pour alerter et dire sa colère sur ce qui se passe à Ghaza, dans l’indifférence quasi générale.
Un génocide sans nom. Dans son style singulier, l’ancien secrétaire général de l’Elysée, fidèle parmi les fidèles de Jacques Chirac, reste égal à lui-même. On a du plaisir à apprécier ses envolées fortes, enflammées, mais justes, ses petites phrases, ce qui nous incite à prendre parti, par solidarité, pour son engagement avec bon goût et ferveur, lors de ses prises de bec avec des journalistes pyromanes, dont l’objectif n’est pas de le battre avec force arguments convaincants, mais de tenter de l’abattre avec leurs méthodes fallacieuses, vicieuses et perfides. Normal quand on sait qu’ils sont, pour la plupart, «missionnés» pour semer la haine et le mensonge. Calmement et avec moult détails, le diplomate réplique, d’une manière nette et précise, qui laisse souvent ses interlocuteurs pantois et marris. Ces gens-là, il y a longtemps qu’ils souffrent de ruptures entre l’intelligence et la réalité, dont la traduction médiatique est constamment triturée et travestie.
CETTE «DÉMOCRATIE» DOIT RENDRE DES COMPTES
«400 000 personnes sont aujourd’hui enfermées dans le nord de Ghaza et soumises à cette terrible épreuve de la faim», a dénoncé hier De Villepin. Selon lui, «la communauté internationale doit savoir ce qu’il se passe. On ne doit pas laisser dans l’obscurité un territoire de 365 km2, dont on ne peut pas sortir. Rappelant que les civils sont assiégés. Ils n’ont pas de quoi se nourrir et où des dizaines de milliers de femmes et d’enfants ont été tués ces derniers mois. A un moment, une démocratie doit rendre des comptes devant la société internationale. Nous n’avons pas le droit à l’indifférence, en dépit du silence assourdissant, de l’invisibilité de ce qui s’y passe. Comme pour l’Ukraine, il faut faire respecter les principes du droit humanitaire. Le Hamas a été éradiqué. Selon les Israéliens, il ne constitue plus pour eux une menace existentielle. Quels sont donc les objectifs ? Pourquoi continuer ? Pourquoi continuer à bombarder la zone nord ? Est-ce que l’ambition, c’est d’annexer, d’occuper, de coloniser le territoire de Ghaza ?
Les intentions commencent à se préciser. Il faut toujours rappeler les principes du droit international. En commençant par faire respecter le droit humanitaire avec un cessez- le-feu puis faire respecter le droit international, et là c’est Ghaza, c’est la Cisjordanie et c’est la question de Jérusalem-Est.» De Villepin «estime qu’il est dorénavant devenu impératif de poser la question de la Palestine dans son entièreté, à savoir la reconnaissance d’un Etat palestinien». En conclusion, l’ancien diplomate lance un ultime appel. «La conscience internationale n’en peut plus de cette impuissance et doit agir, car Israël est engagé dans un processus qu’il ne maîtrise plus.»
Dans un autre chapitre, le soutien de Paris au plan d’autonomie marocain sur la question du Sahara occidental a fait réagir de Villepin. «Nous aurions dû faire tout cela dans le cadre des Nations unies et en liaison avec l’Algérie.» La tentative de remise en question par la France des accords de 1968, qui octroient un statut particulier aux Algériens, en matière de circulation, de séjour et d’emploi, ainsi que le «froid» qui s’est installé dans les relations entre les deux pays l’ont aussi interpellé. «Je regrette la tentation en France de faire de l’Algérie le bouc émissaire d’un certain nombre de problèmes, notamment en matière d’immigration. L’Algérie n’a pas à porter cela, et nous avons à trouver avec les Algériens des réponses et des solutions.»
Par Hamid Tahri
BIO EXPRESS
Déjà petit, Dominique de Villepin avait le goût de la France, de sa grandeur et de ses héros. Il se dit qu’il rêvait de rendre un jour à son pays quelque «service signalé». Il s’interrogeait sur les grands hommes qui ont laissé leur empreinte dans cet Hexagone, si divers, si volubile, si fragile. Dominique a été séduit par la vie de Napoléon et il en a fait un livre intitulé Les Cent jours, ou l’esprit du sacrifice. Un gros questionnement sur le goût du risque. Cet ouvrage trône dans sa bibliothèque aux côtés de plus d’une vingtaine d’autres de sa signature. Né le 14 novembre 1953 à Rabat, il y a fait ses premières études. Obtient le bac à 16 ans. Issu d’une famille savante, riche en universitaires. Diplomate et avocat, proche de Chirac, il a été ministre des Affaires étrangères, secrétaire général de l’Elysée, ministre de l’Intérieur, Premier ministre et ambassadeur. Passe la majeure partie de sa vie en Afrique, aux Etats-Unis, au Venezuela et en Côte d’Ivoire. Marié, il est père de 3 enfants.