Docteur Mourad Ahmim. Enseignant chercheur en écologie et environnement à l’université de Béjaïa : «L’organisation de galas à l’Akfadou devrait être bannie»

10/06/2023 mis à jour: 09:54
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Une nouveauté : des galas musicaux sont désormais organisés au niveau du massif forestier de l’Akfadou. Une démarche qui n’enchante pas les défenseurs de l’environnement. Dans cet entretien, le Dr Mourad Ahmim, spécialiste en biodiversité, explique les raisons  d’interdire ces galas à l’Akfadou.

 

Par Sofia Ouahib 

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-De nombreuses excursions sont souvent organisées au niveau de la forêt de l’Akfadou. En quoi celles-ci sont nocives pour la forêt ?
 

Beaucoup d’excursions ont déjà été organisées vers l’Akfadou et ses célèbres lacs, comme le lac noir (Agoulmime Averkhane) et le lac Aroufel (Ahoulmime Ouroufel) ainsi que Asroune Taghat ou Hadjret Lemaiz. Et des dégâts ont été malheureusement constatés. Il y a par exemple le piétinement d’une végétation importante à haute valeur patrimoniale, comme les plantes médicinales. Il y a aussi la perturbation de la quiétude de la faune, surtout du singe magot Macaca sylvanus, une espèce mondialement menacée, classée en danger par l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN). Si une excursion sonne normalement avec loisir, observation, respect du milieu naturel, nous avons malheureusement constaté que certains automobilistes lavaient leurs bus et véhicules dans les lacs, et les détergents utilisés sont fortement nocifs. Les excursions sont normalement un acte pédagogique durant lesquelles on apprend le respect de la nature et de la biodiversité. Malheureusement, ce qui est constaté sur le terrain est tout à fait le contraire. 
 

-Qu’en est-il alors des galas qui en sont programmés ? 

Malheureusement, il n’y a pas que des excursions qui sont organisées vers l’Akfadou. Ces derniers temps, des galas sont aussi prévus au niveau de cette forêt et cela est une aberration. Si les excursions provoquent des désagréments, les effets de galas musicaux vont perturber, pour longtemps et insidieusement, l’écosystème et les espèces qui y vivent. Et pour cause : qui dit gala, dit assistance qui se compte en centaines de personnes, voire des milliers. Cela conduira au piétinement des plantes de la strate herbacée et arborescente ainsi que le peuplement entomologique marchant ou rampant (les insectes) et d’autres espèces par la nombreuse assistance qui viendra assister au gala. Les moyens de transport (bus et voitures) auront également leur impact que ce soit en termes de piétinement ou encore en pollution en raison du gaz d’échappement. De plus, la sonorisation des galas provoque de son côté une pollution sonore, également nocive pour la biodiversité. Finalement, tout cela engendrera forcément des migrations, des déplacements et parfois des avortements et des morts d’animaux. C’est pour toutes ces raisons qu’il est important d’interdire l’organisation de galas dans une forêt de manière générale et surtout pas dans la forêt de l’Akfadou. 
 

-L’Akfadou est un sanctuaire de biodiversité. Y a-t-il des espèces qui ont disparu depuis qu’on organise ce type de sortie à son niveau ? 

Au vu de tous les désagréments causés par les sorties en masse, il y a obligatoirement un impact négatif, ce qui nous laisse penser que certaines espèces ont sûrement disparu. D’ailleurs, les scientifiques sont en train de faire un état des lieux en proposant des thématiques de master et de doctorat aux étudiants universitaires pour avoir une idée précise sur la consistance de la biodiversité de l’Akfadou. On peut dire que des plantes, dont uniquement quelques pieds subsistent à l’Akfadou, ont sûrement été piétinées ou arrachées. Des animaux qui fréquentent et vivent dans la forêt de l’Akfadou ont été obligés de quitter les lieux et se déplacer et migrer vers d’autres lieux moins fréquentés.
 

-L’Akfadou a une importance majeure dans notre environnement. Pourquoi ? 

L’Akfadou a une triple importance. Il s’agit d’abord d’un sanctuaire d’une biodiversité importante. C’est aussi un haut lieu historique car c’est dans l’Akfadou qu’on retrouve le quartier général du Colonel Amirouche et de la Wilaya 3 historique. Et enfin, c’est un lieu de culture où il y a préservation de beaucoup de pratiques ancestrales et de traditions locales dans des villages comme Mehhaga. Il faut savoir que l’Akfadou est une forêt de 15 000 hectares de chêne zen (Quercus canariens is), chêne afares (Quercus afares), chêne liège (Quercus suber) avec des sous bois très diversifiés, comme la bruyère, la cytise, les cistes, le postachier lentisque, la ronce, etc. En ce qui concerne sa richesse en terme de faune, l’Akfadou abrite non seulement le plus grand peuplement de singe magot, mais aussi un nombre incalculable d’espèces. De plus, c’est dans cette forêt que le cerf de Berberie (Cervus elaphus barbarus), une espèce de mammifère emblématique, a été réintroduit. 
 

-Selon vous, faut-il interdire ce type de manifestation aux agences ? 

Il faut être réaliste : une forêt est un lieu de repos, d’excursion et de loisir. On ne va quand même pas interdire l’accès aux citoyens à nos forêts. Toutefois, il est important d’interdire certaines activités et réglementer d’autres. L’organisation de galas à l’Akfadou devrait être bannie par exemple surtout que la forêt fait l’objet d’études pour son classement en aire protégée (Parc national) dans le cadre d’un corridor écologique maghrébin qui va du Djurdjura à la Kroumeiri en Tunisie. 
 

D’autres activités telles que les excursions, les randonnées et les bivouacs devraient, quant à elles, être réglementées et encadrées convenablement par les services concernés et surtout par les forestiers. D’ailleurs, un excellent travail a été fait au niveau du Parc national du Djurdjura, ce qui a permis de bien gérer leur territoire. Ils ont délimité des parties du parc, les sentiers et les circuits aux randonneurs, bivouaqueurs et aux excursions. Cela a donné de très bons résultats surtout dans le cadre de la lutte contre les incendies, la pollution et l’érosion de la biodiversité.
 

-Encadrer oui, mais comment ? 

Avant de prévoir une excursion, les agences doivent par exemple prendre attache avec les responsables du secteur qui leur donneront des autorisations et des recommandations et pourquoi pas les encadrer. Il est grand temps de protéger le massif forestier de l’Akfadou par la création du Parc national de l’Akfadou, et cela, en une seule entité et non pas divisé en un Akfadou Ouest (Tizi Ouzou) et l’Akfafou- Est (Béjaïa). Si le massif forestier dépend certes administrativement de deux wilayas, cela ne l’empêche pas d’avoir une seule structure et une seule direction. Nous avons par exemple des parcs nationaux qui dépendent administrativement de deux wilayas mais qui sont gérés par une seule direction. Donc, il y a lieu de créer une structure officielle qui gérera le massif de l’Akfadou et ça permettra aux agences de tourisme et autres d’avoir un seul vis-à-vis et la gestion n’en sera que plus facile. 
 

-Que recommandez-vous pour mieux protéger l’Akfadou ?

Pour mieux protéger l’Akfadou, il faut créer le Parc national de l’Akfadou. Celui-ci aura toute une direction et un staff qui la gérera. Il faut savoir que dans l’état actuel des choses, les deux Conservations des forêts des wilayas de Béjaïa et de Tizi Ouzou, qui ont énormément de travail, n’ont pas suffisamment de personnel à affecter pour la protection d’un aussi grand massif forestier. 

Par ailleurs, il faut encourager les études scientifiques et les universités à s’intéresser un peu plus à cette forêt pour avoir une idée précise sur son importance que ce soit en termes de biodiversité faunistique ou alors floristique. Car, malheureusement, il n y a pas eu d’études d’envergure depuis la fin des années 90. Il est par exemple nécessaire de faire une estimation du nombre d’individus de singes magot qui y vivent. 


 

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