Les travaux de relance du Barrage vert sont entamés par la direction générale des forêts (DGF). Djamel Touahria, directeur général de la direction générale des forêts (DGF), explique dans cet entretien que tous les efforts sont consentis pour réussir la nouvelle approche de ce rempart. La monoculture est désormais bannie et la population locale est plus que jamais sensibilisée pour une démarche participative au programme.
- Quel est l’état actuel de l’ancien Barrage vert ?
Avant même l’existence du Barrage vert, il faut dire qu’il existe un peuplement naturel, c’est-à-dire des forêts naturelles de pins d’Alep. L’idée du Barrage vert est survenue dans les années 1970 et a été réalisée par le président Boumediène, et ce n’est que maintenant que la plupart des pays commencent à réfléchir à cette solution.
Ce barrage a été mis en place avec les moyens existants, notamment en matière de main-d’œuvre, comme les éléments du service national et les forestiers. A cette époque, il a été procédé à la mise en place de ce barrage avec une seule espèce, soit dans la continuité de pins d’Alep qui caractérisaient la zone de Djelfa.
C’était donc logique qu’on continue dans la même espèce, dans la mesure où ces forêts de pins d’Alep avaient donné des résultats. C’est vrai que la monoculture ne donne pas beaucoup de choix à la biodiversité, mais elle a tout de même joué le rôle de stabilité et de couvert végétal et d’enrichissement en matière de faune. Les forêts créées ont atteint alors les 180 000 hectares et c’était une initiative réussie. Aujourd’hui, le programme de relance de ce barrage a été confié au ministère de l’Agriculture, et c’est la DGF qui s’en charge.
- Les anciennes plantations connaissent une sérieuse dégradation… Comment comptez-vous y remédier ?
Avant de reprendre ce barrage et de décider de sa relance suite aux instructions du président Tebboune, un état des lieux a été élaboré. Il a été fait en collaboration avec plusieurs autres ministères, tout en prenant en charge la nouvelle donne. Il ne s’agit pas en effet des mêmes conditions des années 1970.
La population, la croissance démographique et le nouveau découpage administratif dessinent un nouveau contexte qu’il faut absolument prendre en considération dans cette nouvelle démarche. Il fallait trouver une solution, comment faut-il reprendre cet espace dans ce nouveau contexte ? Comment replanter un espace vert dans une région qui a explosé démographiquement ? Il faut savoir qu’en parallèle, un tapis vert existe déjà avec aussi des opérations de plantation et de reboisement isolées.
L’étude prise en charge en 2020 par le Bureau national d’études pour le développement rural (Bneder) révèle une dégradation totale des espaces. Des terres et parcours dégradés, un grand surpâturage avec un taux de chômage élevé dans toute la région avec le défi de sécheresse auquel nous faisons face. Cette zone fait aussi face à la désertification et aux effets du changement climatique.
Il s’agit de la zone la plus vulnérable du pays. L’étude a aussi révélé un état d’ensablement inquiétant suite à la dégradation de la végétation. A Djelfa, à Naâma ou El Bayadh par exemple, il y a eu un déplacement de la population suite à ce phénomène. Des familles ont en effet quitté leurs maisons à cause de ce phénomène. L’avancement du désert est maintenant visible et est une réalité.
- L’Algérie fait face la désertification et le Barrage vert sert d’unique rempart naturel face à l’avancée du désert. Peut-on s’attendre à des résultats à moyen terme de la relance du projet ?
La définition de la désertification a changé. Dans les années 1970, à l’époque de la réalisation de l’ancien Barrage vert, il était considéré comme barrière et rempart contre l’avancée du désert. Nous ne sommes plus dans l’ancienne définition ni même dans la même situation. La Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (UNCDD) a donné une nouvelle définition à cela.
Le désert se crée suite à la dégradation du tapis végétal. Il ne se déplace plus, il se crée sur place. La surexploitation des sols et le surpâturage par le bétail (exploitation excessive des ressources végétales d’une surface), l’absence de jachère dans le cycle des cultures, entraînant une désertification agricole… sont la nouvelle donne de l’UNCDD. L’arbre joue donc un rôle de fixateur, en son absence, on fait face à une désertification.
- Quelle est votre feuille de route actuelle ?
Il s’agit d’un programme qui s’étalera de 2023 à 2030. Le programme est bien étudié et il existe un besoin économique exprimé. Les étapes sont réparties en tranche pour une meilleure visibilité et aussi pour assurer la réussite. Dans cette nouvelle démarche, trois sous-secteurs interviennent, tous sous la tutelle du ministère de l’Agriculture : la forêt, dont les travaux sont suivis par la DGF, l’agriculture suivie par la direction des services agricoles (DSA) et la steppe suivie par le Haut-Commissariat au développement de la steppe (HCDS).
Le travail, pour arriver à une feuille de route, est fait en collaboration avec plusieurs partenaires et secteurs et surtout l’appui et les orientations des chercheurs et les scientifiques, notamment dans le choix des espèces. Ce choix est lié évidemment à la production et la création des pépinières. En plus, elles doivent être nécessairement créées dans ces régions pour une meilleure adaptation des sols et climat.
Tous les espaces qui seront créés nécessitent ensuite une prise en charge et un suivi permanent. A l’exception de notre espace (forêts), les deux autres peuvent présenter une complexité dans le mode de gestion. D’abord, dans le domaine de l’Etat (espace forêts relevant de la DGF), des périmètres seront aussi créés, destinés à l’investissement. Des espèces résistantes et rustiques, comme les oliviers, pistachiers, amandiers… qu’on confiera plus tard, et au fur à mesure aux jeunes investisseurs. Puis vient, la partie agricole.
Il existe en effet des terrains privé-privé, de propriété privée, en parallèle avec des terrains qui appartiennent à l’Etat, avec des exploitations abandonnées qu’il fallait prendre en charge en plantant des espèces utiles. Pour la plantation pastorale, il a une grande demande d’opuncia (figue de barbarie).
Sachant aussi que ces espaces sont rudes, pauvres et difficiles, et beaucoup plus compliquées à cultiver que celles de l’Extrême Sud. Notre démarche vers le privé-privé se fait plutôt dans la sensibilisation pour ramener enfin le citoyen à s’intéresser. Autrement dit, la DGF, la DSA ou le HCDS plantent pour la population mais avec une formule participative.
La plantation des arbres, la réalisation des forages, notamment, seront à la charge de l’Etat, et le privé est appelé uniquement à suivre en entretenant les espaces, l’objectif étant la création d’emploi et l’acquisition d’une ceinture verte. Avoir une ceinture verte avec des objectifs écologiques est un rôle économique. Avec notre approche, la population investira d’elle-même, comme l’investissement effectué à la forêt de Bouhmama à Batna, où des pommiers ont été plantés et aujourd’hui ces pommes inondent le marché.
On arrivera aux mêmes résultats et objectifs au niveau de ce Barrage vert avec d’autres espèces. Nous opérons aussi de la même manière sur la partie privée de l’Etat. L’objectif est de réussir ces plantations et avoir un interlocuteur qui sera chargé de l’entretien à long terme. Maintenant, rien n’est fait au hasard et tout est soumis à l’étude.
- La sécheresse vient aussi compliquer la mission. Quelles solutions adoptez-vous pour y faire face ?
Là où il y a une possibilité de mobilisation de ressources hydriques, on n’hésitera pas. Il existe aussi les stations d’épuration des eaux usées (STEP), identifiées, mises en valeur et valorisées. Je dois aussi rappeler qu’en plus des efforts pour mobiliser l’eau, il prévu des plantations forestières pour produire le bois, comme l’espèce Paulownia, d’une croissance rapide. Il est même prévu de produire du miel.
On défendra tous les parcours, c’est-à-dire mettre en protection toutes les zones de parcours et donner la possibilité à cette nouvelle végétation de reprendre. L’accès y sera interdit et ne sera ouvert pour le pâturage et aux éleveurs qu’une fois la végétation bien poussée. La fermeture et l’ouverture se feront par alternance. Le parcours sera entièrement contrôlé et l’ouverture des espaces sera régulée.
- Quel est l’état d’avancement actuel de cette nouvelle approche ?
Nous avons commencé en 2023 avec une enveloppe de 10 milliards de dinars inscrite annuellement, dont 600 millions de dinars pour la partie étude. A la première année, les travaux étaient concentrés essentiellement sur les opérations de plantation et surtout le désenclavement de toutes les zones et régions pour faciliter la réalisation de travaux de 2024 et 2025.
Nous avons détecté toutes les possibilités de ressources hydriques, réalisables au fur à mesure. Les travaux de conservation des eaux et des sols (CES) sont aussi entamés, notamment à Djelfa. Des travaux qui servent à la protection des terres agricoles, ainsi les dernières inondations des zones steppiques ont épargné cette ville. Des travaux utiles surtout que ces régions connaissent ce genre d’intempéries à n’importe quel moment avec des dégâts colossaux. L’idée est aussi de canaliser l’eau pour sa réutilisation.
- Des erreurs ont été commises dans le passé et les chercheurs appellent à les éviter pour que ce rempart résiste mieux…
C’est surtout l’implication de la population qu’il faut susciter. Il ne s’agit pas forcément d’erreur mais les moyens nécessaires n’ont peut-être pas été mis à cette époque.
Maintenant tout ce qui se fait doit être au profit de la population. Nos services interviennent, réalisent, et le reste c’est à la population de s’en charger et de gérer de manière à ce qu’elle bénéficie directement des résultats. Nous avons d’ailleurs constaté l’intérêt que cette population porte à ce projet en dépit d’une certaine réticence enregistrée au début de la relance.
- Le président Tebboune a ordonné, lors du Conseil des ministres en avril, d’associer les jeunes aux projets de réhabilitation du Barrage vert. Qu’en est-il ?
Ces espaces seront confiés aux jeunes. Des cahiers des charges simplifiés sans conditions compliquées pour les faire participer à ces programmes. Il s’agit des entreprises de jeunes pour plantation et entretien de plantations, autrement dit, cela ne nécessite pas de matériel lourd ou un grand savoir-faire. Ils seront accompagnés par les conservations des forêts, la DSA et le HCDS.
Une activité qui créera aussi des pépinières en nombre important sur les lieux. Le secteur de la Formation professionnelle est prêt et disposé à les former et assister. Plusieurs activités sont programmées, à l’exemple des activités agricoles, la transformation, la production des fruits, du miel ou du bois… Des activités secondaires vont aussi suivre. Au niveau local, des comités locaux multisectoriels, avec la participation du mouvement associatif, sont mis en place.