Développement international de l’hydrogène vert : Quel intérêt économique et quel avantage climatique ? (1re partie)

07/07/2024 mis à jour: 11:39
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Photo : D. R.

Dans une récente contribution (Exportation d’électricité vers l’Europe. Quel intérêt pour l’Algérie ?) publiée dans El Watan, nous nous étions posé la question de savoir quel intérêt il y avait à exporter de l’électricité vers l’Europe au lieu d’exporter le gaz utilisé pour la produire.

Nous étions arrivés à la conclusion qu’un tel projet serait préjudiciable à l’économie du pays résultant en une perte sèche estimée à environ $2887 millions annuellement pour les 2000 MW/an prévus être exportés dans un premier temps. Cette perte ne manquera pas de s’accroître proportionnellement à l’accroissement des exportations.

L’Algérie a décidé d’aller encore plus loin en envisageant de développer et d’exporter vers l’Europe d’importantes quantités l’hydrogène vert (H2 vert). Elle a décidé, pour commencer, de construire un pilote de 50 MW et il est question d’en ajouter trois autres de plus. En outre, un programme de développement est prévu se dérouler selon une feuille de route en trois phases avec l’ambition de produire 1,6 million de tonnes/an d’H2 vert en 2040 et d’en exporter jusqu’à 1, 3 million de tonnes/an (déclaration d’un responsable à la radio).

Cette décision s’est trouvée encouragée par le grand intérêt manifesté à travers le monde pour de tels projets et a incité l’Algérie à s’y impliquer au point de figurer parmi les tops priorités de son programme d’énergies renouvelables. Effectivement, un véritable engouement, prenant son essor dans certains pays pionniers, comme l’Allemagne, ne cesse de se propager tant au niveau des pays industrialisés qu’à celui des pays en voie de développement. Des investissements de plusieurs milliards de dollars sont envisagés pour le court terme et des dizaines voire des centaines de milliards à moyen et long termes.

L’objectif visé par les pays promoteurs de cette nouvelle source d’énergie est triple. Le premier consiste à renforcer leurs sécurités énergétiques dans le cadre de leurs transitions énergétiques respectives et à l’exporter pour certains d’entre eux. Le second, aussi important, sinon plus, consiste à réduire l’impact climatique des gaz à effet de serre (GES) tels que le gaz carbonique (CO2) ou le méthane (CH4) résultant de sources d’émissions fossiles.

Il est espéré qu’en remplaçant progressivement celles-ci par des énergies propres, comme l’H2 vert, on finira par réduire le réchauffement de la planète dû à l’effet de serre et limiter son accroissement à moins de 1,5° Celsius d’ici 2050. Le troisième est sa non-intermittence puisqu’il peut être utilisé jour et nuit (dispatchable) pour produire de l’énergie, notamment de l’électricité, contrairement aux autres énergies renouvelables (EnR) telles que le solaire ou l’éolien, ne fonctionnant que par intermittence, c’est-à-dire seulement en présence du soleil ou du vent.

Mais l’engouement affiché pour l’H2 vert à travers le monde est-il justifié ? La réponse est, d’après nous, négative car, comme nous le verrons plus bas, de tels projets entraîneront de lourdes pertes financière s’élevant à des milliards de dollars US par an pour les nombreux pays concernés, y compris l’Algérie.

Il sera également montré que ces pertes sont dues à des coûts de production excessifs auxquels s’ajouteront d’autres coûts très élevés résultant d’une consommation indirecte de gaz (et dont il ne semble pas avoir été tenu compte).

De plus, paradoxalement, cette consommation entraînera, bien qu’indirectement, les mêmes émissions de gaz à effet de serre (GES) qu’auparavant. A noter, à propos des coûts de production que, dernièrement, l’Energy Information Administration (EIA), un organisme du ministère US de l’Energie a émis des prévisions optimistes selon lesquels le kilo d’H2 vert, qui tourne actuellement autour d’une moyenne de $5, (soit environ $35 le MMbtu) chuterait à des coûts les plus bas de $2 ($14 le MMbtu) en 2026 et de $1 ($7 le MMbtu) en 2031.

Nous montrerons que, même en utilisant les coûts bas prévus par l’EIA, l’ensemble des pays ayant opté pour l’H2 vert, qu’ils soient importateurs ou exportateurs de gaz, accuseront d’importantes pertes financières, pertes qui s’accroitront pour des coûts plus élevés.

Procédés de production d’hydrogène

Il convient, avant d’aller plus loin et afin de mieux comprendre le reste, d’avoir une idée de trois des divers procédés de production de l’hydrogène identifiés par des couleurs.

L’hydrogène vert 

L’H2 vert est obtenu par électrolyse de l’eau. C’est un procédé qui la décompose en dihydrogène (H2) et en dioxygène (O2) recueillis au niveau de deux électrodes grâce à la circulation d’un courant électrique continu généré par des sources exclusivement renouvelables (solaires, éoliennes, hydrauliques, etc.).

L’hydrogène ainsi obtenu a le gros avantage d’être très pur, sans aucune émission de CO2 donc idéal pour lutter contre le réchauffement climatique d’où son appellation d’hydrogène vert. A noter qu’il n’est plus considéré comme vert s’il est produit directement ou indirectement à partir d’électricité fossile (émission de GES).

Cependant, l’électrolyse a l’inconvénient d’être très coûteuse et de consommer 10 à 11 tonnes d’eau, préalablement purifiée, par tonne d’H2 vert produit. Actuellement, l’H2 vert représente, selon l’AIG, environ 1% de l’hydrogène gazeux produit dans le monde.

L’hydrogène gris

Totalement différente de l’électrolyse, sa production se fait par vaporeforming (Steam Methane Reforming SMR). Ce procédé consiste à provoquer une réaction chimique entre le gaz et de l’eau portés à très haute température, jusqu’à environ 1000° C, avec production d’un mélange d’hydrogène et de gaz carbonique CO2.

C’est un procédé peu coûteux mais qui présente l’inconvénient de consommer environ 20 tonnes d’eau par tonne d’H2 produit et d’émettre d’importantes quantités de gaz à effet de serre CO2 d’où son appellation d’H2 gris.

L’hydrogène bleu 

C’est de l’hydrogène gris dont on a extrait l’essentiel du CO2 afin de réduire les émissions dans l’atmosphère (Carbon Capture Utilisation and Storage : CCUS). Le CO2 extrait peut être valorisé dans diverses applications ou stocké dans des réservoirs souterrains. Mais l’utilisation du CO2 et son stockage sont très limités, contribuant peu à réduire les émissions de GES.

L’hydrogène bleu est moins polluant que l’H2 gris et se rapproche donc de l’hydrogène vert .

 

Une faible production d’H2 vert par électrolyse au prix d’une forte consommation de gaz naturel

De nombreux pays, à l’instar de l’Algérie, produisent, consomment et exportent du gaz naturel à partir duquel ils génèrent l’essentiel de leur électricité conventionnelle. Ils commencent aussi à produire d’importantes quantités d’électricité verte avec l’ambition de les développer à grande échelle pour économiser le gaz et réduire les GES.

C’est dans cet environnement énergétique que vient s’intégrer l’H2 vert, dont la production est techniquement et économiquement liée à ces sources d’énergie. En effet, il sera nécessaire de consommer du gaz pour obtenir un supplément d’électricité conventionnelle en vue de remplacer la même quantité d’électricité verte détournée de la consommation locale vers les électrolyseurs produisant l’H2 vert. 

Si cette électricité n’avait pas été détournée dans ce but, on aurait pu se passer de produire l’électricité conventionnelle de remplacement, ce qui aurait permis d’éviter de consommer le gaz l’ayant produite et de l’exporter avec un profit considérablement plus élevé que celui qu’aurait rapporté l’H2 vert.

A titre d’exemple, supposons que, au cours d’une certaine année, 100 000 MW seront produits dont 30 000 MW d’électricité verte et 70000 MW d’électricité conventionnelle.

Supposons, aussi, que 15000 MW d’électricité verte en soient soutirés pour alimenter les électrolyseurs. Il en résultera alors un déficit électrique affectant la consommation locale puisqu’il ne restera que 100 000 MW moins 15 000 MW soit 85 000 MW qu’il sera nécessaire de compenser par un apport équivalent de 15 000 MW d’électricité conventionnelle. Donc, celle-ci entrainera la consommation d’un important volume de gaz soustrait aux exportations, pour la produire.

Tout compte fait, une grande quantité de gaz à contenu énergétique et à valeur financière élevés sera consommée au départ pour aboutir, en fin de course, à une production d’H2 vert à contenu énergétique et valeur financière très inférieurs. La différence de ces valeurs représentera une perte énorme à laquelle s’ajoutera celle, énorme elle aussi, du coût de production.

Ce qui vient d’être dit pour les pays exportateurs de gaz peut tout aussi bien se répéter, mais en sens inverse, pour les pays importateurs de gaz qu’il s’agisse de pays développés, comme l’Allemagne et le Japon ou de pays en voie de développement comme le Maroc ou la Tunisie.

Effectivement, les résultats de l’exemple précédent sont tout aussi valables pour ces pays avec la seule différence que, dans leur cas, le gaz produisant l’électricité de remplacement est importé. Le coût du gaz importé sera, là aussi, beaucoup plus élevé que la valeur de la faible quantité d’H2 vert produit. Il en résultera, de même, une lourde dépense occasionnée par le gaz importé à laquelle s’ajoutera le coût de production.

En conclusion à ce chapitre, nous pouvons dire que le problème ne se posera pas qu’en Algérie mais concernera aussi la quasi-totalité des pays envisageant de produire de l’H2 vert.

La question qui se pose est alors toute simple. Au lieu de détourner de l’électricité verte vers les électrolyseurs, ne serait-il pas, au contraire, hautement plus profitable de maintenir cette électricité à sa place dans l’approvisionnement local ?

On éviterait ainsi de la remplacer par la même quantité d’électricité conventionnelle et économiserait alors le volume de gaz, (importé ou exporté), requis pour la produire? Il suffira, pour y répondre, d’évaluer la rentabilité d’un projet d’H2 vert. (A suivre)          

 

 

Par Mohamed Terkmani ,  ancien directeur à Sonatrach , [email protected]            

  

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