Des toxicomanes racontent l’enfer qu’ils ont vécu

27/08/2023 mis à jour: 03:58
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Des témoignages de jeunes toxicomanes, qui luttent pour se libérer de leur ravageuse addiction à la drogue qui les tue à petit feu, donnent le frisson. Ils ont l’âge de croquer la vie à pleines dents, mais leur vécu est devenu un infini cauchemar. Rencontrés au centre de désintoxication de Bouchaoui, ils viennent de toutes les régions du pays, mais partagent les mêmes souffrances et la même douleur.

Témoignages recueillis par Salima Tlemçani

- Abdelhak : «en prenant mon 1er ‘‘saroukh’’, je ne pensais pas que j’allais vivre des moments aussi douloureux»

Abdelhak, issu de la commune de Ain Benian, à peine 23 ans, les mains croisées, le regard figé, écoute attentivement le récit de ses compagnons. Il prend un grand souffle avant de nous raconter «le mal» qui a empoisonné sa vie et celle de ses parents. Il ne comprend pas comment il est devenu accro au «saroukh» (la fusée), ou «zerga el hamra» (la bleue rouge), des noms donnés à la Prégabaline, des comprimés utilisés dans le traitement des douleurs neuropathiques, l’épilepsie et les troubles de stress.

Son témoignage est plein de regrets mais aussi d’interrogations. «Il y a trois ans, lorsque j’ai pris mon premier comprimé, à aucun moment je n’ai pensé que j’allais vivre et faire vivre mes parents des moments aussi douloureux. J’ai mes études, j’ai appris à réciter le Coran, je faisais ma prière régulièrement et je lisais beaucoup. Je suis quelqu’un de sérieux. Je ne suis pas le type à se droguer. Ce comprimé que j’avalais, me donnait un courage inouï. Il n’y avait plus de barrières devant moi.

Ce sentiment d’euphorie, de liberté et de joie me poussait à chaque fois à augmenter la prise. Je ne mangeais plus. Je m’enfermais dans mon monde. Je commençais à perdre les personnes les plus proches en raison de mon comportement agressif. Mon corps s’affaiblissait à petit feu. Je sentais que je n’étais plus moi-même», raconte Abdelhak, ajoutant :  «Mes parents étaient très inquiets. J’ai tenté d’arrêter durant le ramadan mais impossible. Mon état s’est détérioré. Mon entourage commençait à me regarder d’une autre manière.

L’inquiétude de mes parents s’accentuait. Ils ne savaient plus comment m’aborder sur le sujet. Après l’Aid, ils m’ont parlé de manière sereine. Ils m’ont conseillé le centre pour une prise en charge». Abdelhak n’a pas hésité à suivre le conseil de ses parents. Il a décidé de faire le pas. «Je suis venu. Les paroles que j’ai entendues m’ont réveillé.

Depuis que j’ai commencé la cure, je n’ai plus touché aux comprimés. Au début, c’était un peu dure, mais au bout de deux semaines, je sens une amélioration. Ce n’est pas facile de sortir de ce monde. Je ne dormais pas, j’étais tout le temps agressif, je ne supportais plus la présence des gens. Physiquement, je sentais que mon corps périssait. Aujourd’hui, je me sens bien. J’espère qu’au bout des 15 séances de cure, je sortirai de cet enfer et je ne toucherai à rien, même pas à la cigarette…».

- Nourredine : «j’avais 10 ans lorsque j’ai pris mon premier joint de zetla»

Noureddine, (Meftah), est le plus jeune parmi les pensionnaires du centre. Un corps frêle,  visage enfantin, il a à peine 15 ans. Très dynamique, il a une envie folle de sortir de «cette folie» qui l’a éloigné de ses études, de sa famille et de ses amis. Dans son quartier, connu sous le nom de la Colombia (Colombie), «la drogue est comme le pain», dit-il, rares sont ceux qui s’en éloignent.

«J’avais 10 ans, lorsque j’ai pris mon premier joint de zetla (la résine de cannabis). Mon oncle, qui habitait à l’étage supérieur de notre immeuble, était un dealer. J’allais chez lui souvent et je le voyais vendre. Un jour, j’ai pris un morceau et j’ai essayé de fumer. Petit à petit, je commençais à m’habituer, puis je voulais augmenter la sensation, et là, je suis passé à la «kra3a» (la bouteille). Je mettais la «zetla» pure que je brûlais dans une bouteille puis je sniffais. C’est très fort. Une dose et vous êtes dans une sorte de bulle. Vous sentez un courage exceptionnel qui vous permet de faire et de dire tout ce qui vous paraissait avant comme impossible. Lorsque je suis en manque, je deviens agressif, violent. Il me fallait ma dose. L’argent n’était pas un problème.

Je faisais des petits boulots pour m’en procurer.» Très jovial, s’exprimant avec un humour incroyable, Noureddine est estimé de tous. Les cinq ans dans le monde de la «zetla» lui ont appris les secrets de tout le mal que cette drogue provoque chez ses consommateurs. Il parle longuement de cette envie de prendre des bonbons, après chaque prise pour soulager cette sensation douloureuse des dents qui se resserrent, de fumer une cigarette, de manger un sandwich à n’importe quelle heure de la nuit, moment propice pour fumer, «snifer une rame », avaler un comprimé ou s’injecter une dose.

Ces gestes vont s’installer et devenir une partie de vous. «De plus en plus, vous ne pouvez plus vous en passer. Ils vous prennent en otage». Pour Noureddine, le déclic a été violent. «Il m’a fallu voir un ami mourir d’une overdose par ‘‘el kar3a’’, pour prendre conscience de mon état. Lorsque mon père s’est rendu compte de ma situation, il m’a ramené au centre. Cela fait 20 jours que j’ai arrêté. Le début a été très difficile et douloureux. Mais, je sens une nette amélioration. Je ne sors plus de la maison. Je fais mes séances de cure, je prends beaucoup de tisane et je fais du sport. J’ai retrouvé ma joie au milieu de ma famille», raconte-t-il. 

- Ammar : «je compensais le manque d’Ecstasy par les gouttes ophtalmiques»

Ammar, 19 ans, sort à peine de l’adolescence et traine derrière lui de lourdes séquelles. Il est accro à l’Ecstasy, connu sous le nom de «halwa» (bonbon), une drogue, vendue sous forme de bonbons mais qui est en réalité une substance psycho-active qui agit sur le système nerveux. Ammar a passé 3 ans dans un hôpital psychiatrique, où il a «aggravé» son addiction dit-il. «J’en prenais un comprimé, mais la dose augmentait chaque jour.

Une heure après la prise, je sentais que l’effet d’euphorie, de courage, de sensation de liberté disparaissait. Il me fallait un autre comprimé. Il m’est arrivé de compenser le manque par des gouttes qu’on utilise pour les yeux. J’ai vu que de plus en plus je fonçais dans un abîme. A l’hôpital, et durant trois ans, je n’étais pas en manque. Mes amis me ramenaient les comprimés dissimulés dans des sandwichs. J’avais aussi le traitement qu’on me prescrivait qui me permettait de compenser.

Au lieu de sortir de cette drogue, je me suis enfoncé encore davantage. C’était la descente en enfer». Ammar a quitté l’hôpital, plus accro à l’Ecstasy.  Mais, il va vivre un évènement très grave qui va le secouer et lui faire prendre conscience. «A cause de cette drogue, j’ai été enlevé par trois personnes qui me réclamaient de l’argent. Elles m’ont emmené dans un appartement. J’ai vu des armes, des gens que je ne connaissais pas. Nous étions deux à être enlevés. J’ai failli mourir, mais Dieu m’a donné une chance pour sortir de ce chemin.

Avec l’aide de  ma famille, je suis venu au centre. Les trois premières séances de désintoxication ont été très dures pour moi. Le manque de ‘‘halwa’’ provoquait un stress permanent.Les nuits, où la sensation de manque se fait ressentir, étaient interminables. J’étais comme un fou. Je cognais  ma tête contre le mur durant toutes ces nuits interminables. Il fallait que je sorte de ce cauchemar. J’ai résisté. Au fur et à mesure que je passe mes séances, je sens une amélioration. Je commence à voir le bout du tunnel».

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