Les migrants piégés en Libye sont réduits à l'esclavage sexuel, un crime contre l'humanité, a dénoncé lundi la mission d'enquête de l'ONU sur la situation des droits humains dans ce pays, qui pointe la responsabilité de l'UE. Ce groupe d'experts avait déjà évoqué de probables crimes contre l'humanité dans les centres de détention et contre les migrants en Libye, mais c'est la première fois qu'il se penche sur la question de l'esclavage, à l'occasion de la publication de son dernier rapport. "Nous avons constaté des cas d'esclavage en général et d'esclavage sexuel en particulier", a déclaré Tracy Robinson, membre de la mission, lors d'une conférence de presse à Genève. L'esclavage sexuel touche en particulier les femmes, mais la mission a également constaté des violences sexuelles visant les hommes, "en particulier ceux exprimant des opinions politiques dissidentes ou perçues comme tel". Selon la mission, les migrants sont réduits en esclavage dans des centres de détention officiels ainsi que dans des "prisons secrètes", où des viols sont commis, le tout constituant des crimes contre l'humanité. En matière d'esclavage sexuel, le rapport pointe deux plaques tournantes du trafic de migrants: Bani Walid et Sabratah. Le chaos qui a suivi la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011 a fait de la Libye une voie privilégiée pour des dizaines de milliers de migrants cherchant à rejoindre l'Europe. La mission se dit profondément préoccupée par la détérioration de la situation des droits humains en Libye, concluant une fois de plus qu'"il y a des raisons de croire qu'un large éventail de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité ont été commis par les forces de sécurité de l'État et les milices armées". Ces exactions sont commises "contre des Libyens et des migrants" dans divers lieux de détention. La mission, qui n'a pas été autorisée à se rendre dans le sud du pays ni dans les centres de détention, a également documenté de nombreux cas de détention arbitraire, de meurtres, de torture, d'exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées
Responsabilité européenne
La mission fait état "de crimes contre l'humanité commis à l'encontre de migrants dans des lieux de détention placés sous le contrôle (...) de la Direction de la lutte contre la migration illégale (DCIM), des garde-côtes libyens et de l'Autorité de soutien à la stabilité", a déclaré aux journalistes le président de la Mission Mohamed Auajjar, soulignant que ces entités reçoivent un soutien technique, logistique et financier de l'Union européenne. A cet égard, Chaloka Beyani, un autre membre de la Mission, a pointé la responsabilité de l'UE. "Nous ne disons pas que l'UE et ses Etats membres ont commis ces crimes. Le fait est que le soutien apporté a aidé et encouragé la commission de ces crimes", a-t-il martelé. L'UE a indiqué pour sa part lundi qu'elle allait demander des "explications" aux autorités libyennes après un incident impliquant les garde-côtes de ce pays, accusés d'avoir empêché le navire Ocean Viking de secourir des migrants en tirant des coups de feu en l'air. Au-delà de cet incident, le président de la mission d'enquête de l'ONU a appelé la communauté internationale, et en particulier les Européens, à agir car des "millions de migrants et de Libyens ... attendent avec impatience la fin de ce cauchemar". La mission, établie en 2020 par le Conseil des droits de l'Homme pour enquêter sur les violations commises par toutes les parties en Libye depuis 2016, a conduit plus de 400 entretiens. Elle entend partager ses informations avec la Cour pénale internationale, y compris la liste des individus qui pourraient être tenus pour responsables des exactions, mais demande également à l'ONU de mettre en place une nouvelle commission pour poursuivre le travail d'enquête.