Curriculum LMD ou classique : La véritable problématique est surtout d’ordre pédagogique

21/05/2024 mis à jour: 03:13
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Récemment, les hautes autorités du pays ont décidé d’évaluer les curriculums des formations universitaires afin de les adapter aux réalités et contextes de l’enseignement supérieur algérien, espérant que, cette fois-ci, la consultation et la collaboration des experts en pédagogie universitaire et des sciences de la santé ainsi que l’implication des communautés universitaires seront sérieusement prises en considération.

Pour rappel, le système LMD a été adopté en 1999 en Italie à Bologne par les ministres de l’Education européens. Il visait à standardiser et uniformiser les cursus du système européen d’enseignement supérieur. C’est en réponse à la monture du cursus universitaire dans les pays anglo-saxons : Etats-Unis, Canada et Royaume-Uni. Mais aussi, pour répondre à l’évolution du contexte universitaire européen en cohérence avec leur besoin curriculaire et socio-économique pour concurrencer le système anglo-saxon prédominant. Hélas, nos responsables de l’époque ont-ils réellement pris en considération le contexte pédagogique, socio-économique et culturel de l’université algérienne? 
 

De plus, on se pose d’emblée les questions suivantes : quels sont les fondements de la réforme LMD, comment a-t-elle été importée en Algérie et quels sont ses objectifs réels ? Cette réforme est-elle adaptée aux contextes et aux réalités de l’université algérienne ? Quels sont les vrais enjeux de la réforme LMD ? Qui se cachait derrière la langue de bois de certains de nos responsables qui promettaient que le système 

LMD était le chaînon ultime et magique qui réglerait tous les problèmes de l’enseignement supérieur de notre pays ? 
 

En d’autres termes, on a fait miroiter à la communauté universitaire que la réforme était la solution finale et miracle au service d’une université publique et performante. Hélas, depuis l’introduction du LMD, les enseignants et les apprenants attendaient et espéraient beaucoup de ce curriculum sur le plan de l’amélioration des formations, des enseignements et des apprentissages, mais il n’en fut rien. Au contraire, il a été observé une régression de sa perception et sa valorisation à tel point que la communauté universitaire continue à préférer d’évoluer au sein d’un système classique déjà obsolète.
 

Le but de cette contribution n’est pas d’analyser en profondeur ni la réforme du cursus LMD ni de le comparer au cursus classique, mais surtout de proposer des pistes de réflexion pour rendre performantes les pratiques pédagogiques d’enseignement et des apprentissages au service du curriculum en vigueur, car peu importe ce dernier, les missions fondamentales et les valeurs dans le domaine de la formation universitaire sont principalement de fournir à la société des professionnels compétents et autonomes pour les besoins du marché du travail, mais aussi de créer des passerelles entre les établissements du supérieur et leur environnement socioéconomique afin de mobiliser le potentiel pédagogique et scientifique pour soutenir le développement humain et durable de la société algérienne. 
 

Il est important de signaler d’emblée que l’enseignement constitue la mission première de toute université, et cela devrait être plus que jamais au cœur des préoccupations des hautes autorités du pays, d’autant que les problématiques de l’université algérienne sont liées à des choix de la politique éducative. Hélas, pour faire de nos universités des lieux d’apprentissage crédibles et innovants au service de la société, un élément fondamental est souvent oublié : la pédagogie. Or, c’est par la pédagogie que fonctionne l’université en tant qu’instance de construction des savoirs. 


En effet, la refonte du curriculum LMD s’est faite sans encadrement des pratiques pédagogiques auprès des corps enseignants. Le soutien, notamment des équipes des enseignants formateurs et des comités pédagogiques, était quasi inexistant et l’infrastructure des enseignements n’a pas été coordonnée adéquatement. 

En d’autres termes, le véritable problème n’est pas le LMD, mais l’absence d’accompagnement pédagogique et de soutien structurel et organisationnel en milieu universitaire. 
 

Le curriculum LMD n’a pas eu le succès tant attendu par la communauté universitaire, mais il n’a pas connu de véritable échec non plus, pour la simple raison que les conditions pédagogiques nécessaires à sa réussite n’ont pas été réunies. En d’autres termes, le LMD n’était ni soutenu ni accompagné des approches pédagogiques modernes telles que «l’approche par compétence» et «l’approche programme» pour harmoniser et rendre les programmes de formation viables.

 Et surtout, qu’il n’y a pas eu de refonte ou de réingénierie des «programmes disciplinaires» selon les normes en vigueur, ni les «pratiques d’enseignement» ni des «évaluations des apprentissages». A vrai dire, peu importe le modèle du curriculum de formation, ce sont les approches et pratiques pédagogiques modernes qui lui donnent du sens et de la signification.

Par ailleurs, toute université moderne est reconnue pour son rôle social et pour son professionnalisme en termes de la qualité du curriculum de formation centrée sur les apprenants et les apprentissages. En d’autres termes, toute université est redevable socialement de la nécessité de procurer des pratiques pédagogiques de qualités à ses apprenants. Hélas, les enseignants algériens ont rarement bénéficié des apprentissages à la pédagogie universitaire ou des sciences de la santé. 

De plus, ils doivent relever plusieurs défis tels que le renouvellement rapide des connaissances, la problématique linguistique, l’intrusion des nouvelles technologies de communication, les caractéristiques des étudiants, leur responsabilité administrative et de chercheur, et finalement leur contexte socioprofessionnel et socioculturel. «Comment font-ils pour s’adapter à tous ces environnements», se demandait Ramsden et comment font-ils pour s’accommoder au système curriculaire LMD sans de véritables soutiens et accompagnements pédagogiques ?

De plus, les responsables universitaires ont du mal à prendre une décision concrète pour donner de la visibilité à l’acte d’enseigner au sein du système LMD en lui accordant un appui qui va au-delà des paroles sur son intérêt. Leurs propos sont également perçus comme des craintes que le soutien à l’acte d’enseigner soit traduit comme un manquement à la vocation de recherche de l’université. 

En effet, la réglementation évoque rarement les réalisations des enseignants dans le domaine de la pédagogie, car les textes qui réglementent le fonctionnement de l’université accordent peu d’importance aux travaux et réalisations des professeurs en matière d’enseignement, en pédagogie universitaire et des sciences de la santé.
 

Par ailleurs, on se pose souvent les questions si l’université algérienne est vraiment centrée sur la recherche scientifique qu’on le prétend ? Est-elle réfractaire au changement et à l’innovation pédagogique? Et pourtant, la pédagogie représente l’un des facteurs essentiels à même de créer les conditions nécessaires pour que les enseignants du supérieur contribuent à l’émergence d’une culture pédagogique au sein de leurs établissements et à l’amélioration qualitative des formations universitaires, mais aussi de l’émergence d’une société plus prospère. Ainsi, les propositions pour améliorer la qualité des enseignements au sein du curriculum LMD sont nombreuses, mais faut-il encore que le ministère de l’Enseignement supérieur (MESRS) manifeste un écho favorable et qu’il soit sensible aux enjeux de la mutation de l’université dans le domaine de la pédagogie. 

Évaluer le système LMD est une nécessité pour corriger les manquements et les lacunes observées dans son fonctionnement. De plus, il est certain que l’apprentissage à la pédagogie universitaire facilite la mise en œuvre d’une véritable «approche par compétences» et de «l’approche programme» lors de la refonte de l’ensemble des programmes disciplinaires et des pratiques pédagogiques. Il est tout aussi nécessaire que le développement de nouvelles compétences pédagogiques auprès des enseignants serve directement la qualité des formations universitaires, promouvoir le LMD et surtout la valorisation de l’acte d’enseigner au sein de l’université et de la société.

Pour rehausser le curriculum LMD, il faut valoriser l’acte pédagogique d’enseigner en milieu universitaire. De plus, les textes réglementaires doivent prescrire des actions concrètes en faveur des enseignants et des enseignements. Cela signifie également d’encourager le développement des compétences pédagogiques et des habiletés d’enseignement en mettant la disposition des enseignants les moyens d’apprentissage à la pédagogie universitaire et des sciences de la santé.
 

Par ailleurs, pour que l’enseignement et les pratiques pédagogiques soient valorisés, les hautes autorités du pays et les responsables universitaires doivent lui donner une grande visibilité, faire des propositions et entreprendre des actions concrètes qui motivent les enseignants, appuient les universitaires et couronnent les réalisations et les travaux en pédagogie. 

C’est la condition sine qua non et elle exige une volonté politique et pédagogique. En d’autres termes, l’absence de valorisation de l’acte d’enseigner et de la reconnaissance institutionnelle de l’investissement en enseignement constitue une barrière majeure à l’implication et à l’engagement volontaire des enseignants universitaires à se former en pédagogie. 

De plus, encourager un universitaire à réfléchir sur ses pratiques pédagogiques constitue un signal fort de valorisation de l’acte d’enseigner et des pratiques pédagogiques. Pour ce faire, il faut encourager les enseignants à rédiger leur propre dossier d’enseignement. 

En d’autres termes, recommander la rédaction d’un dossier d’enseignement constitue un geste concret de la part du ministère de l’Enseignement supérieur (MESRS) et de son engagement certain en faveur de l’amélioration des enseignements. Cela constitue également un geste tangible et fort apprécié que l’acte d’enseigner et l’enseignement occupent des places importantes parmi les autres missions de l’université. 


En conclusion, pour rehausser tout curriculum, il faut valoriser autant l’enseignant que l’acte pédagogique d’enseigner en milieu universitaire. De plus, pour promouvoir la pédagogie, les hautes autorités du pays pourraient proposer de nouveaux modèles pour reconnaître et récompenser les enseignants universitaires sur les deux volets : recherche et pédagogie. 

Ce modèle peut prendre appui sur une parité claire et transparente entre le dossier pédagogique et le dossier recherche pour la progression de la carrière professorale. De plus, il est essentiel à ce que le MESRS révise les normes de progression des carrières tout en intégrant, dans le contexte de la formation continue (FC) ou du développement professionnel continu (DPC), la certification à la pédagogie universitaire et des sciences de la santé, comme critère de promotion, de recrutement, de nomination ou de titularisation. 

 

Par Dr Lardjane Dahmane

Conseiller et concepteur en pédagogie des sciences de la santé

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