Culture : Pleins feux sur les chanteurs raï de l’émigration

16/06/2022 mis à jour: 04:38
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Photo : D. R.

«Maghreb K7 club» est l’intitulé d’une conférence donnée samedi dernier par Péroline Barbet à l’Institut français d’Oran, dont le thème s’est axé principalement sur cette communauté de chanteurs-interprètes algériens des années 1980 et 1990, établis en France, principalement à Lyon, et qui étaient, d’une certaine manière, les compagnons de route de «la mouvance raï» qui déferlait alors en France, en parallèle à celle qui avait cours en Algérie.

Ces chanteurs, en effet, n’avaient pas connu «la gloire» à proprement parler, n’accomplissaient pas, comme d’autres, des tournées dans les grandes salles de l’Hexagone, mais furetaient plutôt autour des cafés-concerts et autres salles des fêtes lyonnaises, se spécialisant dans des tours de chant plus intimistes, ce qui ne les empêchait pas d’avoir non seulement un public, fut-il restreint, mais aussi d’avoir marqué toute une époque.

«Des musiciens entre les deux rives, qui ont migré en France en s’installant à Lyon avec leurs bagages culturels, leurs sons, leurs musiques, qui ont mêlé leurs héritages musicaux et ont été les instigateurs de nouveaux métissages et avec pour emblème du projet la K7 qui est un symbole de cette époque-là», dira la conférencière précisant que la mode de la cassette audio, dite K7, avait fait son apparition au milieu des années 1970 avant de s’éteindre tout doucement au courant des années 1990 au profit des CD. Wassini Bouarfa, un des éditeurs principaux de la scène musicale de ces années-là, était également présent lors de cette conférence.

Péroline Barbet ne se définit pas, loin s’en faut, comme une historienne de la musique algérienne. Elle se veut plutôt une réalisatrice sonore, passionnée de musique, qui a longtemps travaillé dans une association versée dans les musiques traditionnelles et autres musiques du monde, allant des nouvelles fusions jusqu’aux musiques bien plus anciennes.

Au cours de sa conférence, elle proposera au public d’écouter un documentaire audio de l’artiste musicien lyonnais Richard Monségu, et de son expérience avec les musiciens algériens, marocains et tunisiens, qui l’avaient entraîné dans les bars, les mariages, fêtes traditionnelles, baptêmes, anniversaires et autres salles des fêtes à Lyon, et grâce auxquels il s’était imprégné de cette culture musicale proprement maghrébine.

Ce dernier avait déposé, au sein de l’association à laquelle appartenait Péroline Barbet des cassettes «contenues dans une boîte à chaussures» et collectée auprès de musiciens algériens avec lesquels il jouait jadis dans les cafés et autres établissements lyonnais.

En procédant à leur numérisation, Péroline Barbet a avoué être tombée amoureuse de cette musique «et de ce mélange étonnant et détonnant de ces boîtes à rythme et de ces instruments traditionnels etc.». «Il y a une dimension nostalgique certes pour les Algériens qui ont émigré, mais aussi pour tous ceux qui ont grandi à cette période. Il y a un son commun, qui est universel», argue-t-elle en précisant que les sons contenus dans ces cassettes sont remplis de références à Marseille, Lyon et Paris, ces trois villes qui se veulent «le grand axe par lequel les émigrés arrivaient».

«On entend ces dédicaces aux frères émigrés, ça dit beaucoup de choses, sur les lieux où ils habitaient. C’est plus que de la musique. Mais il y a aussi toute l’histoire que charrient ces cassettes, l’histoire sociale de l’émigration en France. Et puis surtout, Richard Monségu l’évoque aussi (Ndlr : dans le documentaire audio), en écoutant ces chanteurs, on sent à la fois une forme de liberté et une soif d’expression».

A partir du fond de ces cassettes ramenées par Richard Monségu, Péroline Barbet est partie à la recherche d’autres cassettes, en allant voir les familles, les musiciens, qui avaient, s’était-elle rendue compte, «très peu d’archives de leurs propres travaux». Cela dit, de fil en aiguille, les cassettes sont remontées à la surface, après avoir vraiment disparu. Elles étaient réapparues précisément lors de la période «où on jouait beaucoup moins dans les cafés». Les cassettes avaient alors reflué vers les marchés et autres greniers. «Les gens les jetaient en fait, et seulement quelques vendeurs les proposaient dans les marchés à Lyon», dit-elle.

Lors de la conférence de samedi dernier, un diaporama était également proposée à l’assistance où tout un chacun a pu apprécier les différentes affiches de ces K7 parues surtout durant les années 1980. Il y avait notamment Zaïdi El Batni, qui se voulait l’un des chanteurs les plus politisés de son époque et qui habite, aujourd’hui, avec sa famille à Saint-Etienne. Sur l’affichette de l’une de ses K7, on peut le voir portant un bleu d’ouvrier, une manière pour lui de sensibiliser, via ses productions musicales, sur la condition ouvrière. Il y avait encore Rabah El Maghnaoui, Mokhtar El Jimmali, Zaouch, Omar El Maghrabi, Djamel Staïfi, Amor Hafsouni, Mokhtar Mezhoud, Salah el Ghelmi, Nordine Staïfi, Salah El Annabi, ainsi que plein d’autres.

Le diaporama incluait aussi de très belles photographies, certaines en noir et blanc, des boui-bouis et autres tavernes où ces chanteurs-interprètes se produisaient à Lyon. En procédant, avec l’aide de son association, à numériser ces précieuses cassettes, collectées avec toutes les peines du monde, et de les déposer ensuite aux archives municipales de la ville de Lyon, la conférencière a expliqué que son intention était «de faire une sorte de travail de mémoire à la fois musicale mais encore de rendre hommage à tous ces musiciens».

 

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